L’ETAT, C’EST
LE PERE NOEL ?
Ceci serait-il
un texte de « philosophie faible » ? L’État, c’est notre petit
Papa Noël ou plutôt le Père fouettard ? Ou les deux à la fois ? A
doses variables ? L’État ne s’institue-t-il pas à la faveur de l’émergence
de la propriété privée -- récente par rapport aux débuts de l’espèce sapiens --
peu après l’apparition de l’agriculture, de la guerre, de l’esclavage, du
patriarcat.
Les
sociétés du paléolithique – la dernière ayant récemment disparu -- étaient très
différentes de celles de l’agriculture. Les hommes étaient des prédateurs de la
nature et non des producteurs de denrées alimentaires en surplus, conservées
comme stocks représentant un capital de travail accumulé et donc à protéger
d’éventuels prédateurs. Cette protection a requis la constitution d’un corps
spécialisé de « gens d’armes », de guerriers constitués en une
institution de guerre dominant tant leur propre société que des sociétés
étrangères par le biais de la violence organisée, débouchant sur le meurtre de
masse systématique d’hommes, de femmes et d’enfants.
Ainsi,
l’État exerce la violence légale pour assurer a minima la pérennité de
la société qu’il fonde et dirige. Il assure le « bien » de celle-ci
et, par là en priorité, le sien propre. Les droits et fonctions régaliens
incluent successivement la sécurité, la loi et la justice, la monnaie, la santé
(alimentation, un toit, …), l’éducation, la provision de ressources
énergétiques telles que bêtes de somme, esclaves et, si jugé utile, la mise au
pas à bon compte d’une force citoyenne de travail et de guerre.
L’État
devient à la fois le « Souverain Bien », Dieu sur terre et le Père
Noël ; et son pendant, la force de coercition du Père fouettard. Ensemble,
ne constituent-ils pas les facteurs de pérennité et de développement d’une
société organisée post-paléolithique ? Dans ce contexte historique, voici
quelques philosophies, aux conceptions partielles et largement contradictoires,
relatives au pacte ou contrat social censé ordonner la société en Etat pour le
bonheur des hommes.
Selon
Hobbes, philosophe anglais du 17e siècle, les hommes sont
foncièrement (de nature !) des propriétaires égoïstes et violents provoquant
une guerre perpétuelle de tous contre tous. « L’homme est un loup pour
l’homme ». Dès lors, l’État Tout-Puissant doit garantir la sécurité car l’état
de nature n’est que violence sans sociabilité. Pour être heureux ensemble et
garantir sa sécurité personnelle, il faut que chacun délègue le monopole de la
violence à un Souverain absolu. Un pacte est passé avec lui selon lequel chacun
renonce à sa liberté naturelle afin que la puissance publique s’exerce par la
force et par la loi. Chacun peut alors, en contrepartie, chercher son bonheur
en vaquant, sans crainte, à ses affaires personnelles et privées. En résumé,
j’abandonne mes droits au souverain. Il ne me doit aucun compte.
Par
contre pour Locke, le souverain garantit justice et liberté. L’état de
nature correspond à une sociabilité naturelle. Pour être heureux en société
chacun doit pouvoir jouir de sa vie, de sa liberté et de ses biens (propriété
privée). Mais comme chacun pourrait alors empiéter sur les droits naturels de
tout autre, l’État doit être capable de garantir le droit de chacun à la
propriété. Un pacte social est passé entre chacun et le souverain. En
contrepartie, je suis prêt à céder mon droit naturel à me faire justice
moi-même. Je ne puis punir moi-même. C’est une condition de la concorde
sociale. Néanmoins, le pouvoir du souverain est limité. Ses deux leviers pour
garantir mes droits sont la justice et la police. L’État garantit mes droits
naturels. Il me doit des comptes.
Pour
Rousseau, le souverain est le peuple lui-même. L’état de nature prodigue
abondance, indépendance et innocence. Sans propriété privée. Car c’est la
société qui corrompt les hommes sans qu’ils puissent échapper à cette
situation. Dès lors, comment chacun pourra-t-il approcher de sa liberté
naturelle ? Réponse de Jean-Jacques : pour être heureux avec mes
congénères, j’ai besoin d’égalité avec eux et de pouvoir jouir de ma liberté
personnelle. Mais comment vais-je conjuguer ma liberté avec celle
d’autrui ? Il faut instituer la création collective d’un cadre général.
Comment ? Eh bien, en obéissant à des lois que nous nous donnerons en
commun. Chacun et ensemble, nous respectons ce cadre légal fixé par une volonté
générale, celle de la majorité d’entre nous. Chacun respecte ce contrat social
Pour le bonheur de tous. Je trouve mon bonheur avec les autres dans le
« bien commun ». En fait, je suis l’État ... Ou, pour le moins, une
de ses parties intégrantes. Comme tout autre concitoyen.
Mill, philosophe et logicien anglais du
19e siècle, considère que prendre en compte les minorités participe
à la constitution d’un bonheur collectif. (On voit ce qu’il en est aujourd’hui
avec la déconstruction, voire la destruction, des valeurs majoritaires au
profit des minoritaires.) Le danger serait l’immobilité d’une pensée
majoritaire, figée et dominante. Comme s’il n’y avait qu’une seule Vérité. Ce
qu’avait déjà démenti le « cas Galilée ». Tout comme plus tard,
pendant la guerre 14-18, le fait que les femmes tiendraient tous les postes
précédemment réservés aux hommes et donc aussi de nombreuses rênes des pays en
guerre. Tout reste donc toujours à construire. La conclusion de Mill fut qu’une
société créatrice, idéale, qui se dirige ainsi deux fois plus vite vers le
bonheur est une société genrée et inclusive… Mais n’anticipe-t-on pas là un peu
une funeste dérive actuelle ?
Après
Rousseau, Marx et Mill, Thoreau (philosophe américain) put affirmer
qu’il ne faut pas avoir peur de penser différemment des autres. Car on n’est
pas seul à le faire ! Tiens, tiens. En effet, seul, je ne peux rien faire
contre ce qui me révolte. Le bonheur serait atteint en faisant un pas de côté,
hors de la société, en laissant parler ma conscience. Ensemble on peut alors
passer à l’action. Marx, dans une thèse sur Feuerbach, n’avait-il pas
déjà reconnu que les philosophes n’avaient jusqu’alors fait qu’interpréter le
monde et qu’il s’agissait dorénavant de le transformer ? En passant à
l’action !
Schopenhauer,
Nietzsche, Kierkegaard saisirent
l’occasion de la relativité du « penser » pour subrepticement passer
à l’irrationalité du « tout se vaut ». Et tenter de déconstruire,
voire ultimement anéantir les philosophies des Lumières du 18e
siècle. Cela se poursuivit au siècle dernier jusqu’à Heidegger fondant
le criminel irrationalisme nazi. Ne se perpétue-t-il pas aujourd’hui en version
hypocrite et douce, déjà perçue en germe au 19e siècle par Alexis de
Tocqueville en visite d’étude pratique en Amérique du nord. Les épigones de
Heidegger -- les Deleuze, Guattari, Foucault, Lacan et bien d’autres – ont
poursuivi cette déconstruction. Prêchant la « French philosophy »
déconstructiviste dans des universités étatzuniennes, ils induisent des
retombées qui pleuvent aujourd’hui sur le monde en mouvances politiques woke,
LGBTQ+ et tutti quanti.
Il
s’ensuit que le lien social se dissout en une collection d’individus consuméristes
à outrance. Rivés à leurs écrans (soi-disant privés bien que parfaitement
connus de leurs « maîtres »), ils dissolvent la société par leur
parfait égoïsme, ignorant non seulement tout lien collectif mais aussi les
« causes qui les déterminent » (Spinoza). Cela ne nous conduit-il pas
actuellement à des Etats totalitaires à la Hobbes ? Ou, alors, au
« tous en guerre contre tous » et au nihilisme nietzschéen instituant
comme conséquence logique le règne des plus forts regroupés en gangs et mafias
criminels ? Aujourd’hui, nous constatons cette évolution au quotidien.
La
philosophie peut réfuter et dépasser tout ce fatras boulgui-boulga de
propositions contradictoires, toutes plus indigentes les unes que les autres.
Indigentes surtout parce qu’elles s’interdisent d’office toute remise en cause
de la propriété privée et de l’accumulation induite des profits et du capital
en toujours moins de mains. On a montré le rôle de l’État-Papa Noël-Père
fouettard. Va-t-on s’atteler à une critique en règle des fondements historiques
de l’Etat ? Peut-être en faisant aussi appel aux contributions de
Marx ? Afin d’essayer de dégager les conditions « nécessaires et
suffisantes » à la dissolution de l’État.
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