D’où viennent les pensées ?
« La production des idées, des
représentations et de la conscience est d'abord directement et intimement mêlée
à l'activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage
de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des
hommes apparaissent ici encore comme l'émanation directe de leur comportement
matériel. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu'elle se
présente dans la langue de la politique, celle des lois, de la morale, de la
religion, de la métaphysique, etc. de tout un peuple. Ce sont les hommes qui
sont les producteurs de leurs représentations, de leurs idées, etc., mais les
hommes réels, agissants, tels qu'ils sont conditionnés par un développement
déterminé de leurs forces productives et des rapports qui y correspondent, y
compris les formes les plus larges que ceux-ci peuvent prendre. La conscience
ne peut jamais être autre chose que l'être conscient et l'être des hommes est
leur processus de vie réel. Et si, dans toute l'idéologie, les hommes et leurs
rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera obscure,
ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le
renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie
directement physique.
A l'encontre de la philosophie
allemande qui descend du ciel sur la terre, c'est de la terre au ciel que l'on
monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent,
s'imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu'ils sont dans les paroles,
la pensée, l'imagination et la représentation d'autrui, pour aboutir ensuite
aux hommes en chair et en os; non, on part des hommes dans leur activité
réelle, c'est à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi
le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital.
Et même les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations
résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle que l'on peut
constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles. De ce fait, la
morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l'idéologie, ainsi que
les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute
apparence d'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, elles n'ont pas de développement
; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production
matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui
leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n'est pas la
conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans
la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme
étant l'individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle,
on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l'on considère la
conscience uniquement comme leur conscience. …
C'est là où cesse la spéculation,
c'est dans la vie réelle que commence donc la science réelle, positive,
l'analyse de l'activité pratique, du processus, de développement pratique des
hommes. Les phrases creuses sur la conscience cessent, un savoir réel doit les
remplacer. Avec l'étude de la réalité la philosophie cesse d'avoir un milieu où
elle existe de façon autonome.
En fait, le tour de force qui consiste à démontrer que l'esprit est
souverain dans l'histoire (ce que Stirner appelle la hiérarchie) se réduit aux
trois efforts suivants :
1.
Il s'agit de séparer
les idées de ceux qui, pour des raisons empiriques, dominent en tant
qu'individus matériels et dans des conditions empiriques, de ces hommes
eux-mêmes et de reconnaître en conséquence que ce sont des idées ou des illusions
qui dominent l'histoire.
2.
Il faut apporter un
ordre dans cette domination des idées, établir un lien mystique entre les idées
dominantes successives, et l'on y parvient en les concevant comme des
"autodéterminations du concept". (Le fait que ces pensées sont
réellement liées entre elles par leur base empirique rend la chose possible ;
en outre, comprises en tant que pensées pures et simples, elles deviennent des
distinctions que produit la pensée elle-même par scissiparité.)
3.
Pour dépouiller de son
aspect mystique ce "concept qui se détermine lui-même", on le
transforme en une personne — "la conscience de soi" — ou, pour
paraître tout à fait matérialiste, on en fait une série de personnes qui
représentent "le concept" dans l'histoire, à savoir les "penseurs",
les "philosophes", les idéologues qui sont considérés à leur tour
comme les fabricants de l'histoire, comme le "comité des gardiens",
comme les dominateurs. Du même coup, on a éliminé tous les éléments
matérialistes de l'histoire et l'on peut tranquillement lâcher la bride à son
destrier spéculatif.
Dans la vie courante, n'importe
quel boutiquier sait fort bien faire la distinction entre ce que chacun
prétend être et ce qu'il est réellement ; mais notre histoire n'en est pas
encore arrivée à cette connaissance vulgaire. Pour chaque époque, elle croit
sur parole ce que l'époque en question dit d'elle-même et les illusions qu'elle
se fait sur soi. »
K. Marx, L’Idéologie Allemande 1845(extraits)
Alors
d’où viennent les pensées, les idées ?
« Tombent-elles du ciel ? Non.
Sont-elles innées ? Non.
Engagés dans des luttes diverses au cours de la pratique sociale, les hommes
acquièrent une riche expérience, qu'ils tirent de leurs succès comme de leurs
revers. D'innombrables phénomènes du monde extérieur objectif sont reflétés
dans le cerveau par le canal des cinq organes des sens - la vue, l'ouïe,
l'odorat, le goût et le toucher ; ainsi se constitue, au début, la connaissance
sensible.
Quand ces données sensibles se sont suffisamment accumulées, il se produit un
bond par lequel elles se transforment en connaissance rationnelle, c'est-à-dire
en idées.
C'est là un processus de la connaissance. C'est le premier degré du processus
général de la connaissance, le degré du passage de la matière, qui est objective,
à l'esprit, qui est subjectif, de l'être à la pensée. A ce degré, il n'est pas
encore prouvé que l'esprit ou la pensée (donc les théories, la politique, les
plans, les moyens d'action envisagés) reflètent correctement les lois du monde objectif
; il n'est pas encore possible de déterminer s'ils sont justes ou non.
Vient ensuite le second degré du processus de la connaissance, le degré du
passage de l'esprit à la matière, de la pensée à l’être : il s'agit alors
d'appliquer dans la pratique sociale la connaissance acquise au cours du
premier degré, pour voir si ces théories, politiques, plans, moyens d'action,
etc. produisent les résultats attendus. En général, est juste ce qui réussit,
est faux ce qui échoue ; cela est vrai surtout de la lutte des hommes contre la
nature.
En passant par le creuset de la pratique, la connaissance humaine fait donc un
autre bond, d'une plus grande signification encore que le précèdent.
Seul, en effet, ce
bond permet d'éprouver la valeur du premier, c'est-à-dire de s'assurer si les idées,
théories, politiques, plans, moyens d'action, etc. élaborés au cours du
processus de réflexion du monde objectif sont justes ou faux ; il n'y a pas
d'autres moyen de faire l'épreuve de la vérité.
Pour que s'achève
le mouvement qui conduit à une connaissance juste, il faut souvent mainte
répétition du processus consistant à passer de la matière à l'esprit, puis de
l'esprit à la matière, c'est-à-dire de la pratique à la connaissance, puis de
la connaissance à la pratique. »
Mao Ze Dong D’où viennent les
idées justes 1963 - Extraits
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