NOTRE AMIE, LA CARTE
BLEUE ?
Et
zoum, je passe ma Carte ! Ah,oui, ‘sans contact’. Et zoum, non, vite mon
doux portable « sans contact » ! Et bientôt, je suis sur tous
les écrans. Et même plus : plus besoin de toute cette quincaillerie.
L’adjonction d’un nano-élément à mon génome (!) me connecte à tout. Tout. J’ai
dit tout. Et je suis débité « à l’insu de mon plein gré ». Indolore
car inaperçu. Vive la bonne vie facile ! Pratique. Je suis le tout
consumériste omnipotent en soi, l’individu-roi sui generis. Celui qui
croit être sa propre création et non celle de la société. Mais en réalité, je
ne suis néanmoins que par l’entremise de la connexion « tout
numérique » ! En fait je suis le produit, l’objet d’un système conçu
par d’autres, « anonymes » que j’ignore (toujours à l’insu de mon
plein gré. Hé,hé !). Mais qui me déterminent de bout en bout (Spinoza). Je
suis fier et heureux comme le chien domestique pataud de La Fontaine, Huxley,
Fukuyama.
Dans la
société du tout consumérisme, la Carte Bleue de paiement numérique
n’offre-t-elle pas un univers sans limites à l’image de l’azur profond et
infini d’un ciel serein et sans nuages ? En effet, y a-t-il meilleure amie
que celle qui me donne un accès immédiat et illimité aux promesses sans bornes
du marché capitaliste de toutes les pulsions et désirs marchands ? Surtout
quand les dépenses que permet la Carte se font sans la moindre espèce monétaire
(« Allons les poches vides ! ») et surtout ‘sans contact’
physique. Le Covid règne ! Comme si cette Carte était aussi immatérielle
et immédiate que Dieu ou que l’instant présent aussitôt venu qu’évaporé. La
technologie existe pour que la simple idée ou intention inconsciente
d’un achat, sans que mon corps n’y participe aucunement, se fasse
bientôt comme passent les anges. Corps et esprit seraient ainsi séparés.
Cela sera encore plus et mieux une fois que sera acquise l’acceptation que la
Carte se réduise en une imperceptible nano-trace numérique, stockée en tant que
données de tout mon être sur une particule infime de mon génome. Je serai alors
une marchandise totale. Par mes comportements n’ai-je pas implicitement accepté
cette évolution ? Une fois encore « à l’insu de mon plein
gré » ?
Mais
avant cela, par un grand laisser-aller paresseux, ne me suis-je donc pas déjà
réduit à régler tous mes achats par Carte Bleue ? La Carte fiche et code,
mémorise et analyse en permanence son usager. Et, une fois sa puissance
intégrée à celle d’un portable, elle le fait pour toutes mes envies, au gré de
mes pérégrinations ou même sans que je bouge, y compris avant achat. Centrée
sur l’ignorance généralisée des causes qui déterminent l’intégralité de la vie
de l’usager (Spinoza), cette évolution ouvre grand la porte à une réalité
numérique encore plus totalisante : le métavers Zuckerberg.
Le
métavers est une gigantesque architecture d’espaces virtuels interconnectés
(commerce, culture, famille,…) dans lesquels des milliards d’utilisateurs
partageront leurs expériences (y compris des essais de matériels, de vêtements
ou de santé, etc.) en se dotant de multiples personnalités. Ce sont celles
d’avatars numériques, mais bien réels par leurs effets d’immersion, induits par
un système de réalité virtuelle selon des effets marketing et de manipulation
mentale et pulsionnelle ou de celle portant des peurs induites par une terreur
concertée (conjectures du Covid, syndrome de fin du monde climatique, de
biodiversité ou de ressources naturelles). Les enseignements d’Epicure sur le
nécessaire tri des désirs, envies et passions sont mis à mal.
Ces progrès fulgurants et les problèmes attenants soulèvent d’immenses questions
repoussant les limites de l’éthique. Serons-nous bientôt intégralement
pris dans les filets des machines qui nous scrutent dans le but de nous
identifier, de connaître toutes nos habitudes et nos pensées les plus intimes
pour en tirer une valeur marchande et politique et nous réduire à des
marchandises ? Le régime chinois y serait-il déjà presque parvenu par son
Système de Crédit Social ? (cf la chaîne LCP : « Ma femme a du
crédit »)
Dans
l’immédiat, comme dans la caverne de Platon, la ‘Carte Bleue sans contact’ ne
permet-elle pas d’infinis prodiges ? Même s’ils n’existent qu’à l’aune des
possibilités de mes comptes, emprunts et dettes bancaires. D’une part, grâce à
la Carte, la satisfaction de toutes mes envies a la vitesse de l’électron. Ce
qui, face à mes pulsions, ne m’autorise pas le temps de la réflexion. C’est
l’anti tétrapharmakon , quadruple remède d’Epicure menant à la vie la
plus heureuse possible.
D’autre
part – et ce n’est pas rien – au niveau des milliards d’hommes peuplant la
terre cela permet potentiellement aux banques privées de surmultiplier
indéfiniment l’argent, existant initialement sous forme de billets, tout en le
supprimant en même temps que les contraintes que ce type de monnaie
(fiduciaire) leur imposait. (Relisons bien cela.) Pour, par cette opération, le
remplacer par une production presque infinie de monnaie scripturale
électronique appartenant en propre au système bancaire qui la crée par
les crédits-dettes que, dans sa grande mansuétude, il consent à nous accorder.
Ainsi
ce système oriente, à l’infini et à l’insu de presque tous (Spinoza),
potentiellement toutes les activités humaines selon les valeurs marchandes du
capitalisme bancaire financiarisé. Ce processus réduit les hommes à des produits
ou objets de même nature. Les hommes deviennent intégralement des
marchandises. Ce n’est pas une mince affaire même s’ils la négligent à
l’instigation des plaisirs et facilités innombrables que cette « bonne
amie » leur prodigue.
Précédé
de multiples crises toujours plus profondes, à terme ce processus est une
impasse. Mais ces crises permettent néanmoins au capitalisme de se régénérer
sans cesse (ce qui, au passage, nécessite guerres et conflits). Entre temps le
système est géré avec doigté afin de bien exploiter les hommes (« puisqu’il
n’y a de richesse que d’hommes » selon Jean Bodin, philosophe de la
Renaissance) en les réifiant au niveau d’un « bien-être »
consumériste supposé auquel on les induit à accéder avec avidité. Epicure, où
es-tu ?
Pour
échapper à ce sort, un premier acte d’autoprotection serait de refuser l’usage
systématique et compulsif de la Carte de paiement dans nos transactions (depuis
la boisson conviviale partagée au café jusqu’à infiniment plus) que les banques
privées promeuvent activement par l’avantage pratique et immédiat du
« sans contact ». Ce faisant elles font disparaître les billets
(monnaie fiduciaire de banque centrale). Cela assujettit plus sûrement les
populations à des inégalités sociales et politiques toujours plus grandes qu’on
voit partout. Va-t-on stupidement te nourrir encore longtemps, Big Brother
d’Orwell d’autant plus redoutable que tu es aujourd’hui devenu doux et souriant
comme un grand panda géant ?
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