FAUT IL ETEINDRE LES LUMIERES ?
Les
Lumières sont à la croisée des chemins de pensée et de vie. Elles procèdent à
l’élaboration du bien commun par la critique de la raison par la raison,
impliquant le rejet de l’autorité des préjugés, reçus sans libre examen et
prônant l’esprit d’obéissance. Mais les idées des Lumières inspirent-elles
encore un idéal collectif créateur d’espérance à long terme pour l’humanité et chacun
de ses membres?
Cette quête de la liberté ne sera-t-elle devenue que le
résultat abstrait d’un «feu» déjà éteint qu’il faudrait rallumer d’une
volonté animée par un «bois» nouveau? Une re-naissance, une re-fondation sont
nécessaires.
Mais comment? Par la raison pratique, la liberté collective
pour le bien commun et l’égalité entre tous? Ou par l’irrationnel du préjugé
des individus ou des totalitarismes fanatisant? Dès lors, quelle démocratie et
quel avenir pour elle :
1) l’individualisme extrême contemporain est-il à
mettre au compte de l’humanisme,
2) le progressisme humaniste est-il devenu
incapable d’inspirer un idéal collectif créateur d’espérance,
3) les hommes
ont-ils encore une volonté humaniste de gouverner leur avenir?
L’individualisme
démocratique devrait rester ce droit
à la liberté, parce qu’elle est une valeur que chacun partage avec les
autres hommes dans la solidarité. L’individu conquiert ce droit
en agissant comme l’égal des autres et en choisissant de penser et
d’agir comme un sujet universel. Il s’agit de promouvoir la volonté de chacun
de devenir une personne juridique (le droit) dans le respect absolu d’autrui,
et non de consacrer la singularité de chacun.
C’est l’opposé de
l’individualisme actuel niant l’idéal d’égalité et affichant son indifférence
aux valeurs universelles qu’il remplace par celles de la consommation et de la
communication: un matérialisme instinctif, versatile et indifférent aux
principes premiers. Ce spontanéisme individualiste se veut différentialiste et
singulariste, en quête d’identités interchangeables. Il ne saurait
procéder de l’humanisme qui reste un projet collectif de liberté personnelle.
Le
progressisme humaniste est un idéal d’émancipation éthique et juridique,
culturel et politique. Mais les hommes se sont donnés la puissance de dominer
la nature par la science qui la met en péril. Les Lumières ne seraient donc qu’un
moyen, non une fin, d’accroître toujours plus le pouvoir des hommes? D’où
le rejet de toutes leurs valeurs dans une diabolisation du progressisme humaniste.
Les Lumières semblent être arrivées à l’épuisement de l’espérance humaniste
face à une croyance de fin supposée de l’histoire. Ceci n’est recevable qu’à la
condition de confondre Lumières avec technicisme et positivisme.
Ce dernier juge abstraites les idées des Lumières en tant que faux concepts,
tandis que le technicisme considère comme faux problèmes tout ce qui n’est pas
scientifique et soumis à la vérification de l’expérience. Ceci reflète une
espérance déçue qui forge un préjugé défavorable sur la modernité et
occulte l’intentionnalité critique des Lumières.
C’est pourquoi
l’humanisme doit aujourd’hui redonner vie à ses ressources critiques premières
et s’appréhender comme responsabilité devant l’avenir. Voilà le vrai
défi d’une refondation nécessaire de l’éthique humaniste face aux effets
secondaires majeurs de la science. Et puisque la science ne dit pas ce qu’il
faut faire, il faut définir les raisons d’agir ensemble dont nous devons faire un
idéal à atteindre en commun pour forger notre destin. Telle est la
re-création de l’humanisme : toujours à réaliser.
Veut-on
une clef? Les Lumières ont introduit la nouveauté du présupposé
fondateur de l’activité de penser : la possibilité de s’entendre et de
se comprendre comme seul moyen qui rende possible un accord
universel sur les mêmes principes de base. Ainsi, la connaissance
rationnelle étant d’abord celle de soi de la raison, cette condition est le
présupposé de l’objectivité nécessaire à la science.
De plus, le présupposé des
règles de la morale et du droit - qui accordent les volontés - est que les
hommes peuvent s’entendre à reconnaître que la liberté, l’égalité et la dignité
de chacun sont des principes de base qui doivent déterminer les relations entre
les hommes. (Nous-y conformons-nous au Proche Orient et partout dans le tiers
monde?)
A cet égard, la différence entre préjugé et présupposé est capitale
pour l’humanisme en recréation. Considérer que l’égalité entre les hommes
n’est qu’un préjugé, c’est limiter ce principe au monde occidental, étant
sous-entendu que le préjugé adopté par cet ensemble humain ne concernerait pas
les autres. Par contre, admettre que le principe d’égalité présuppose
l’accord universel de tous les hommes, c’est faire de la reconnaissance de ce
principe sa seule condition de validité: il n’est valide qu’à la condition de
l’être pour tous!
Le
préjugé limite ou empêche la communication (nous n’avons pas les mêmes
préjugés, je vous applique ma violence : «Vous êtes avec nous ou contre nous» ;
«Nous instaurerons la démocratie», sous-entendu de gré ou de force).
Le présupposé,
par contre, rend la communication possible (nous pouvons débattre de nos
préjugés respectifs). On pense à l’interventionnisme dans le monde opposé par
les adhérents du principe contraire, qui eux-mêmes l’appliquent rarement.
D’où
ressort le béant écart entre une infime minorité nantie et la condition abjecte
des 85% de reliquat de l’humanité.
Il reste fort à faire à l’humanisme pour
réduire le problème majeur de tous les hommes, outre les
multiples fanatismes renaissants que sous-tendent les croyances
gratuites et la bonne conscience : ces préjugés absolus.
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