dimanche 15 décembre 2019

Sujet du Merc. 18/12/2019 : "Toute création est un acte de guerre" A. Artaud


          " TOUTE CRÉATION EST UN ACTE DE GUERRE" A. Artaud


Voici un texte  d’une conférence d’Antonin ARTAUD retrouvé au Mexique par son traducteur ALBERTO RUZ LHUILLIER :

« Toute création est un acte de guerre : guerre contre la faim, contre la nature, contre la maladie, contre la mort, contre la vie, contre le destin.
Le libéralisme capitaliste des temps modernes a relégué au dernier plan les valeurs de l’intelligence, et l’homme moderne,  face à ces quelques vérités élémentaires agit comme une bête ou comme l’homme affolé des temps primitifs. Pour s’en préoccuper, il attend que ces vérités deviennent des actes qu’elles se manifestent par des tremblements de terres, des épidémies, des famines, des guerres, c'est-à-dire par le grondement du canon.
Nous ne sommes pas pour que dans un monde désorganisé les intellectuels se livrent à la spéculation pure… Nous sommes pour que les intellectuels entrent eux aussi dans leur époque ; mais nous ne pensons pas qu’ils y puissent entrer autrement qu’en lui faisant la guerre. La guerre pour avoir la paix »

Il y a certainement une ambiguïté à relever avant tout débat, celle de ne voir au travers de cette citation qu’un seul moment de la « création » tant ce mot est souvent accolé aux artistes ou aux dieux.

Pourtant et assurément Artaud  nous propose un texte dont le champ l’application est vaste et dans lequel il nomme et exhorte une catégorie : « les intellectuels » desquels il exige qu’ils se dégagent de la « spéculation pure ».

Les processus qui permettent une « création » sont multifactoriels. De l’apparition des premiers outils taillés en silex, en passant par la rupture épistémologique introduite par Galilée ou encore la maîtrise des semi-conducteurs, peut on parler d’une « acte de guerre ». Le terme parait lourd, disproportionné, et pourtant. De proie, l’homme par de lents processus évolutions endogènes et exogènes, va devenir le prédateur. Question de survie, mais aussi lutte pour inventer des procédés de fabrication (lien entre main et cerveau).

Avant Galilée, Giordano Bruno est mis au bûcher. Les croyances ne tolèrent pas qu’on les conteste. La lutte entre les idées fausses et le réel se payent au prix fort. Plus tard les conceptions modernes de la médecine devront triompher de l’enseignement de la doctrine de Galien. Pasteur et Koch devront balayer l’opposition vive des partisans de la génération spontanée. Darwin se voit encore mis sur le même plan que le créationnisme chrétien dans certains états des USA …

Si on observe en détail les progrès de l’humanité il est aisé de s’apercevoir que tous les champs de l’évolution humaine sont touchés par la nécessité de combattre (au sens propre du terme) sans cesse pour faire triompher des idées justes : fondées scientifiquement, éthiquement en ce qui concerne les rapports sociaux (esclavagisme, travail des enfants, position sociale des femmes, colonialisme, révolutions…).

Ces formes de « guerres » au long cours ne sont pas vaines. A. Artaud précise : « …..La guerre pour avoir la paix ». Tout progrès technique, intellectuel, scientifique s’inscrit dans un processus de temps qui s’oppose aux visions fixistes des partisans de la « nature humaine », de notre prétendu destin, du « dessein intelligent ».

Intellectuel, poète, écrivain, dramaturge, Artaud peut sans nul doute être classé parmi les intellectuels. Son œuvre à fleur de peau, sa peau et celle des autres dont il a toujours été proche dans les temps où il vécu : deux guerres, la psychiatrie … « L'artiste qui n'a pas ausculté le cœur de l'homme, l'artiste qui ignore qu'il est un bouc émissaire, que son devoir est d'aimanter, d'attirer, de faire tomber sur ses épaules les colères errantes de l'époque pour la décharger de son mal-être psychologique, celui-là n'est pas un artiste. » Mexique -1936.

Et c’est face à cette guerre qui s’annonce, implacable, en Europe, qu’Artaud en appelle à tous les intellectuels pour faire front. Bientôt la poésie ne suffira plus. Il n’y aura que deux cotés.

Mais Artaud est jugé dangereux pour l’ordre public. Il sera interné durant 9 années et « soigné » par les nouvelles techniques amenées en France par l’occupant nazi : les électrochocs !.
Il faudra attendre 1946 pour que reprenne sa vie.

Lui qui avait averti, lucide, de la nécessité de l’engagement des intellectuels, de la nécessité du combat, de la guerre  « …. guerre contre la faim, contre la nature, contre la maladie, contre la mort, contre la vie, contre le destin » fut du coté de ceux auxquels on enleva toute possibilité de créer, de se révolter, de résister. 

« la poésie n’est pas que la beauté d’un paysage, une mer, d’un amour, d’un hommage à quelqu’un, c’est un témoignage d’un vécu dans un siècle, d’une situation particulière, qu’il faut impérativement écrire pour dénoncer l’horreur, le sang, la mort, la guerre, tout ces actes de barbaries, de violences ne peuvent pas rester dans le silence. » Pablo Neruda – Résidence sur terre.

Vie si particulière que celle d’A. Artaud mais aussi réflexion sur ce qu’est et peut devenir un intellectuel :

«C'est une part de nous-mêmes qui, non seulement nous détourne momentanément de notre tâche, mais nous retourne vers ce qui se fait dans le monde pour juger ou apprécier ce qui s'y fait.» Maurice Blanchot (Les intellectuels en question).

 Nous-mêmes, donc n'importe qui, n'importe quand.



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