Peux-on critiquer les « 30 glorieuses » ?
Afin de vérifier si notre
perception de l’environnement est bonne, judicieuse et pertinente, l’exercice
va consister à observer une époque qui fait l’unanimité.
Une des sources de confusion importantes proviendrait d'un regard simpliste sur l'histoire économique depuis la deuxième guerre mondial. Tout particulièrement en France où le bilan macro-économique est extrêmement flatteur pour la période de 1945 à 1974. La croissance, le plein emploi, et l'émergence d'une classe moyenne sont là pour témoigner d'une réussite. La transition à partir du premier choc pétrolier est particulièrement flagrante sur exactement les mêmes critères. Cette perception unanimement reconnu, nous conduit à penser très logiquement que la politique économique était parfaite avant 1974 et donc mauvaise après.
Une des sources de confusion importantes proviendrait d'un regard simpliste sur l'histoire économique depuis la deuxième guerre mondial. Tout particulièrement en France où le bilan macro-économique est extrêmement flatteur pour la période de 1945 à 1974. La croissance, le plein emploi, et l'émergence d'une classe moyenne sont là pour témoigner d'une réussite. La transition à partir du premier choc pétrolier est particulièrement flagrante sur exactement les mêmes critères. Cette perception unanimement reconnu, nous conduit à penser très logiquement que la politique économique était parfaite avant 1974 et donc mauvaise après.
Pourtant plusieurs signes
négatifs dans la période faste des trente glorieuses sont perceptibles et
auront une influence que bien plus tard. Il est extrêmement rare d'entendre la
moindre critique dans ce sens. L'exercice est périlleux, presque tabou.
L'INFLATION
Une inflation mal contrôlé sera
le critère le plus visible de cette séquence. Avec pour preuve de très forte dévaluations.
Juste après la guerre en 1948, elle sera de 44 %. On peut l'expliquer par une
volonté de sacrifier délibérément la monnaie ou presque, aux priorités de la
reconstruction et du redressement économique. En 1958 suite à une grave crise
monétaire de 29,1 % ; et en 1969 de 11,1 %. Pour finir par une série en 1981,
1982, et 1983 trois mini dévaluations dont les taux seront beaucoup plus
faibles allant de 2,5 % à 5,5 %. Mais toujours en 1958 De Gaulle déclenchera le plan Piney Ruef qui
n’est autre qu’une véritable politique d’austérité (au sens de réduction des
dépenses publiques) avec un vrai succès.
SITUATIONS DES ENTREPRISES
Le secteur privé dans les années
soixante est fortement réglementé avec une très volontaire politique
industrielle. L'industrie lourde en partie détenu par l'état, des plans
quinquennaux d'inspiration marxiste, un impôt sur les sociétés à 50 %, et une
TVA à 33,33 % sur les produits de luxes qui concernait toute l'automobile et
l’électronique grand public sauf la télévision, étaient les caractéristiques
d'une économie interventionniste vieillissante. Même si la balance commerciale
était plus équilibrée que de nos jours, les exportations étaient très faibles.
Le secteur des produit de consommations ne vont guère mieux, plusieurs grandes
entreprises n'ont pas de rentabilité. Des sociétés comme Bull dans l'informatique, soutenu à bout de
bras par les pouvoirs publics, Saint Gobin pourtant très ancienne et jouissant
d'un quasi-monopole dans la fabrication du verre sont aussi concerné.
L'automobile n'y échappe pas, avec Citroën qui appartient à Michelin à l'époque
et qui n'arrivera jamais à retrouver une indépendance malgré le succès de la
DS. Et sera cédé à Peugeot dans de mauvaises conditions. Panhard encore plus
novateur sera repris auparavant en 1965 par Citroën et Michelin pour
complètement disparaître. Simca aura une histoire également compliqué ballotté
entre Ford, Chrysler et PSA. Pour finir par Renault encore nationalisé dans
cette période, mais qui perd de l'argent sur plusieurs années. On peut ajouter
Motobecane qui vendra 14 millions de mobylettes sans aucune rentabilité et qui
échouera lamentablement sur le marché de la moto pour être vendu à Yamaha. Toutes ces entreprises peinent à
faire des profits, disparaîtront, ou auront d'énormes difficultés à innover.
Certaine en viennent à rechercher « l'obsolescence programmée» dans la
fabrication de leur produit pour se garantir une consommation captive, d’une
économie relativement fermé par un protectionnisme mal assumé. On peut ajouter
les échecs commerciaux du concorde où du paquebot France. Et pourtant elles
sont dans une économie de 5 % de croissance par an depuis trente ans.
LES BIDONVILLES
Encore plus paradoxale à la fin
des années 50 les industriels vont être confrontés à un manque de main d'œuvre.
Dans une telle situation les règles du marché sont simples et évidentes, il
suffit d'augmenter les salaires pour rééquilibrer le système en utilisant les
moyens de recrutement disponible, et créer un appel des individus vers le
travail. L'émigration était totalement libre à l'époque, l'histoire de France
dans un grande partie du XX° siècle s'est réalisé progressivement de cette
manière-là.
Or la droite traditionnelle, les
gaullistes et les élites vont choisir une solution bien différente. Ils vont
aller chercher en Algérie une main d'œuvre en quantité et créer un
sous-prolétariat mal payé car le salaire minimum n'était pas très élevé à
l'époque. Attitude interventionniste à classer entre la facilité et le réflexe
réactionnaire le plus détestable (le concept de sous-prolétariat nous vient de
Karl Marx). Pour moi j'y vois un signe de faiblesse de l'économie française car
les entreprises ne faisaient pas assez de bénéfices pour augmenter leurs
salariés. Sinon, pourquoi toutes les autres périodes migratoires s'étaient bien
passés auparavant. Les conséquences seront immédiates avec l'apparition de
bidonvilles comme preuve, de la fin d'un développement pas très harmonieux. Le
premier foyer SONACOTRA sera construit en 1959.
MAI 68
C'est au départ un vaste
mouvement étudiant, qui va gagner le milieu ouvrier pour finir par une très
grande grève nationale généralisée. Caractérisée par une vaste révolte
spontanée, qui se transforme en contestation multiforme de tous les types
d'autorités. Le fait que les étudiants soient à l'origine du mouvement est
paradoxal, car à l'époque ils étaient les futures élites de la société, dans un
univers de plein emploi. Ils ne croyaient pas en leur avenir, et n'avaient pas
envie de se rendre utile dans une société qui ne leur plaisait pas.
On sait maintenant qu'une grande
partie des rigidités culturel et administratives dénoncées, étaient justifiées. Très éloignées de la liberté
recherchée par les libéraux.
Les syndicats qui n’étaient pas à
l’origine du mouvement, vont obtenir les accords de grenelle qui ne seront
jamais signés et pourtant appliqués, heureusement que les maoïstes n'ont pas
pris le pouvoir.
Naissance d’un mythe ?
Voilà 4 symptômes que l'on peut
distinguer d'un patient bien portant, dont la maladie se déclenchera à la
première hausse des prix de l'énergie. Autrement dit la fin des trente
glorieuses n'était pas l'idéal de développement économique que l'on peut imaginer.
Ajoutons à cela la pénurie et la
vétusté des logements, la faiblesse des loisirs, la part importante de
l’alimentation dans le budget des ménages (20%), la faiblesse du pouvoir
d’achat ne suivent absolument pas la
formidable création de richesse. La comparaison avec le niveau de vie de la
classe moyenne américaine est de l’ordre du simple au double en 1960.
Alors, comme certains auteurs le
proposent, et au regard de ce qui est indiqué ci-dessus, ne peut-on pas parler
d’un mythe ?
·
« Il y a premièrement le mythe de la rupture avec Vichy. Les « Trente
Glorieuses » s’inscriraient en rupture avec le retour à la terre et à la
tradition prôné par le régime pétainiste. Or, c’est dans les années 1930, en
réponse à la Grande Dépression, qu’un dirigisme modernisateur étatique émerge.
Plusieurs historiens en ont montré les continuités à travers les régimes
politiques de 1936 jusqu’aux années 1960.
Au-delà des affichages traditionnalistes, le régime de Vichy était en
fait déjà dominé par des technocrates modernisateurs qui ont pensé le premier
Plan, par exemple. Le mythe des Trente glorieuses a eu pour fonction, en
réalité, de disqualifier toute critique du modèle de développement
d’après-guerre en assimilant ces critiques au vichysme, au passé, à la
réaction.
·
Un
deuxième mythe est celui d’une France métropolitaine qui accède à la modernité
seule, grâce à la perte du « boulet » des colonies, comme ont pu l’écrire
certains historiens... Or, la croissance des décennies d’après-guerre est
inséparable d’un échange inégal avec le Tiers-Monde et du pillage des
ressources naturelles limitées de la planète.
·
Enfin,
un troisième mythe est celui d’un consensus social autour du « progrès ». Dans
la nostalgie collective, tout le monde aurait communié après-guerre dans une
même société consumériste, avec un même rapport à la technique, au « progrès »,
à la croissance. Les historiens ont énormément étudié les clivages idéologiques
Est-Ouest qui traversaient la France à cette époque, mais ils ont négligé
d’étudier les oppositions au machinisme et à l’emprise de la technique, ou les
centaines de conflits socio-environnementaux qui se sont produits. » (Pessis, Topçu, Bonneuil - Une autre histoire des 30 glorieuses, Ed.
La découverte)
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