lundi 14 octobre 2019

Sujet du Merc. 16/10/2019 : Peux-on critiquer les « 30 glorieuses » ?


Peux-on critiquer les « 30 glorieuses » ?


Afin de vérifier si notre perception de l’environnement est bonne, judicieuse et pertinente, l’exercice va consister à observer une époque qui fait l’unanimité.  
Une des sources de confusion importantes proviendrait d'un regard simpliste sur l'histoire économique depuis la deuxième guerre mondial. Tout particulièrement en France où le bilan macro-économique est extrêmement flatteur pour la période de 1945 à 1974. La croissance, le plein emploi, et l'émergence d'une classe moyenne sont là pour témoigner d'une réussite. La transition à partir du premier choc pétrolier est particulièrement flagrante sur exactement les mêmes critères. Cette perception unanimement reconnu, nous conduit à penser très logiquement que la politique économique était parfaite avant 1974 et donc mauvaise après.
Pourtant plusieurs signes négatifs dans la période faste des trente glorieuses sont perceptibles et auront une influence que bien plus tard. Il est extrêmement rare d'entendre la moindre critique dans ce sens. L'exercice est périlleux, presque tabou.
L'INFLATION
Une inflation mal contrôlé sera le critère le plus visible de cette séquence. Avec pour preuve de très forte dévaluations. Juste après la guerre en 1948, elle sera de 44 %. On peut l'expliquer par une volonté de sacrifier délibérément la monnaie ou presque, aux priorités de la reconstruction et du redressement économique. En 1958 suite à une grave crise monétaire de 29,1 % ; et en 1969 de 11,1 %. Pour finir par une série en 1981, 1982, et 1983 trois mini dévaluations dont les taux seront beaucoup plus faibles allant de 2,5 % à 5,5 %. Mais toujours en 1958  De Gaulle déclenchera le plan Piney Ruef qui n’est autre qu’une véritable politique d’austérité (au sens de réduction des dépenses publiques) avec un vrai succès.
SITUATIONS DES ENTREPRISES
Le secteur privé dans les années soixante est fortement réglementé avec une très volontaire politique industrielle. L'industrie lourde en partie détenu par l'état, des plans quinquennaux d'inspiration marxiste, un impôt sur les sociétés à 50 %, et une TVA à 33,33 % sur les produits de luxes qui concernait toute l'automobile et l’électronique grand public sauf la télévision, étaient les caractéristiques d'une économie interventionniste vieillissante. Même si la balance commerciale était plus équilibrée que de nos jours, les exportations étaient très faibles. Le secteur des produit de consommations ne vont guère mieux, plusieurs grandes entreprises n'ont pas de rentabilité. Des sociétés comme  Bull dans l'informatique, soutenu à bout de bras par les pouvoirs publics, Saint Gobin pourtant très ancienne et jouissant d'un quasi-monopole dans la fabrication du verre sont aussi concerné. L'automobile n'y échappe pas, avec Citroën qui appartient à Michelin à l'époque et qui n'arrivera jamais à retrouver une indépendance malgré le succès de la DS. Et sera cédé à Peugeot dans de mauvaises conditions. Panhard encore plus novateur sera repris auparavant en 1965 par Citroën et Michelin pour complètement disparaître. Simca aura une histoire également compliqué ballotté entre Ford, Chrysler et PSA. Pour finir par Renault encore nationalisé dans cette période, mais qui perd de l'argent sur plusieurs années. On peut ajouter Motobecane qui vendra 14 millions de mobylettes sans aucune rentabilité et qui échouera lamentablement sur le marché de la moto pour être vendu à  Yamaha. Toutes ces entreprises peinent à faire des profits, disparaîtront, ou auront d'énormes difficultés à innover. Certaine en viennent à rechercher « l'obsolescence programmée» dans la fabrication de leur produit pour se garantir une consommation captive, d’une économie relativement fermé par un protectionnisme mal assumé. On peut ajouter les échecs commerciaux du concorde où du paquebot France. Et pourtant elles sont dans une économie de 5 % de croissance par an depuis trente ans.

LES BIDONVILLES
Encore plus paradoxale à la fin des années 50 les industriels vont être confrontés à un manque de main d'œuvre. Dans une telle situation les règles du marché sont simples et évidentes, il suffit d'augmenter les salaires pour rééquilibrer le système en utilisant les moyens de recrutement disponible, et créer un appel des individus vers le travail. L'émigration était totalement libre à l'époque, l'histoire de France dans un grande partie du XX° siècle s'est réalisé progressivement de cette manière-là.
Or la droite traditionnelle, les gaullistes et les élites vont choisir une solution bien différente. Ils vont aller chercher en Algérie une main d'œuvre en quantité et créer un sous-prolétariat mal payé car le salaire minimum n'était pas très élevé à l'époque. Attitude interventionniste à classer entre la facilité et le réflexe réactionnaire le plus détestable (le concept de sous-prolétariat nous vient de Karl Marx). Pour moi j'y vois un signe de faiblesse de l'économie française car les entreprises ne faisaient pas assez de bénéfices pour augmenter leurs salariés. Sinon, pourquoi toutes les autres périodes migratoires s'étaient bien passés auparavant. Les conséquences seront immédiates avec l'apparition de bidonvilles comme preuve, de la fin d'un développement pas très harmonieux. Le premier foyer SONACOTRA sera construit en 1959.
MAI 68
C'est au départ un vaste mouvement étudiant, qui va gagner le milieu ouvrier pour finir par une très grande grève nationale généralisée. Caractérisée par une vaste révolte spontanée, qui se transforme en contestation multiforme de tous les types d'autorités. Le fait que les étudiants soient à l'origine du mouvement est paradoxal, car à l'époque ils étaient les futures élites de la société, dans un univers de plein emploi. Ils ne croyaient pas en leur avenir, et n'avaient pas envie de se rendre utile dans une société qui ne leur plaisait pas.
On sait maintenant qu'une grande partie des rigidités culturel et administratives dénoncées, étaient  justifiées. Très éloignées de la liberté recherchée par les libéraux.
Les syndicats qui n’étaient pas à l’origine du mouvement, vont obtenir les accords de grenelle qui ne seront jamais signés et pourtant appliqués, heureusement que les maoïstes n'ont pas pris le pouvoir.

Naissance d’un mythe ?
Voilà 4 symptômes que l'on peut distinguer d'un patient bien portant, dont la maladie se déclenchera à la première hausse des prix de l'énergie. Autrement dit la fin des trente glorieuses n'était pas l'idéal de développement économique que l'on peut imaginer.
Ajoutons à cela la pénurie et la vétusté des logements, la faiblesse des loisirs, la part importante de l’alimentation dans le budget des ménages (20%), la faiblesse du pouvoir d’achat ne suivent absolument pas  la formidable création de richesse. La comparaison avec le niveau de vie de la classe moyenne américaine est de l’ordre du simple au double en 1960.
Alors, comme certains auteurs le proposent, et au regard de ce qui est indiqué ci-dessus, ne peut-on pas parler d’un mythe ?
·         « Il y a premièrement le mythe de la rupture avec Vichy. Les « Trente Glorieuses » s’inscriraient en rupture avec le retour à la terre et à la tradition prôné par le régime pétainiste. Or, c’est dans les années 1930, en réponse à la Grande Dépression, qu’un dirigisme modernisateur étatique émerge. Plusieurs historiens en ont montré les continuités à travers les régimes politiques de 1936 jusqu’aux années 1960.
Au-delà des affichages traditionnalistes, le régime de Vichy était en fait déjà dominé par des technocrates modernisateurs qui ont pensé le premier Plan, par exemple. Le mythe des Trente glorieuses a eu pour fonction, en réalité, de disqualifier toute critique du modèle de développement d’après-guerre en assimilant ces critiques au vichysme, au passé, à la réaction.

·         Un deuxième mythe est celui d’une France métropolitaine qui accède à la modernité seule, grâce à la perte du « boulet » des colonies, comme ont pu l’écrire certains historiens... Or, la croissance des décennies d’après-guerre est inséparable d’un échange inégal avec le Tiers-Monde et du pillage des ressources naturelles limitées de la planète. 

·         Enfin, un troisième mythe est celui d’un consensus social autour du « progrès ». Dans la nostalgie collective, tout le monde aurait communié après-guerre dans une même société consumériste, avec un même rapport à la technique, au « progrès », à la croissance. Les historiens ont énormément étudié les clivages idéologiques Est-Ouest qui traversaient la France à cette époque, mais ils ont négligé d’étudier les oppositions au machinisme et à l’emprise de la technique, ou les centaines de conflits socio-environnementaux qui se sont produits. »  (Pessis, Topçu, Bonneuil  - Une autre histoire des 30 glorieuses, Ed. La découverte)

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