Avons-nous
besoin d’une élite ?
Définitions (du « Robert
») : Elite en français moderne
s’emploie à propos de personnes considérées comme les meilleures dans un
groupe, une communauté. Élitiste mot
devenu usuel pour évoquer la tendance à maintenir et développer les hiérarchies
socio-intellectuelles.
C’est sur l’élitisme de nos
gouvernants que je m’interroge.
En effet je n’ai aucune raison de
m’interroger sur l’intérêt des élites : les meilleurs scientifiques, les
meilleurs médecins, les meilleurs artisans, les meilleurs sportifs…Ils ne
constituent pas une catégorie sociale et leur apport à la société humaine est
bénéfique ou neutre selon que l’on s’intéresse à leurs performances. Je peux ne
pas m’intéresser aux championnats de foot ou au meilleurs chefs cuisiniers sans
que ma vie quotidienne n’en soit bouleversée. Je m’intéresse plus volontiers
aux scientifiques dont les découvertes ouvrent des champs d’application
bénéfiques à l’homme, telles les découvertes pasteuriennes ou einsteiniennes…
Donc quand je parle d’élite je pense au groupe social qui nous gouverne,
c’est à dire la classe sociale dominante. Cette question n’est pas
nouvelle : Platon (428-348 avant J.-C.) prônait déjà dans sa cité
idéale décrite dans la « République » le gouvernement des meilleurs,
et ceux-ci étaient les philosophes-rois, un monarque philosophe roi avait sa
faveur…
Sans être exhaustif, esquissons
le rapport de l’homme du peuple à son élite politique au cours de l’histoire
occidentale et plus particulièrement dans notre pays depuis l’antiquité, en
somme d’où venons-nous ?
La condition des esclaves, ils
sont considérés comme des « meubles » et laissés comme tels au
bon vouloir de leurs maîtres. C’est eux qui travaillent, produisent, ils
peuvent assumer des responsabilités économiques (gestionnaire de domaine), ils
peuvent être affranchis. Ce statut évoluera en hommes « non-libres »
au VIème siècle de notre ère, et perdurera longtemps.
La Démocratie athénienne établie par Solon en 594 avant
J.-C. sera une démocratie directe
réservée aux citoyens masculins athéniens. Un conseil de cinq cents citoyens ou
Boulé, renouvelé chaque année par tirage au sort sur des listes de citoyens
volontaires, seules conditions d’éligibilité : limite d’âge et
honorabilité. Elle reste une référence historique.
La Rome antique : succéda à la monarchie
étrusque, en 509 avant J.-C., la Res Publica (le bien commun). Le
« populus », c’est à dire l’ensemble des citoyens romains masculins
interviennent par les assemblées ou comices dans la vie politique de Rome. L’égalité
civile entre plébéiens et patriciens (familles aristocratiques) est à peu près
réalisée au IIème siècle. Les magistratures suprêmes : deux consuls
l’exercent pendant un an, l’un au moins est issu de la Plèbe. La Plèbe élit dix
tribuns inviolables qui ont un droit de veto et un fort pouvoir religieux, ils
peuvent intervenir en faveur de n’importe quel plébéien devant le sénat ou le
consul. Le sénat (300 aristocrates) détient l’autorictas et conseille les
consuls. Ceci jusqu’à la crise déclenchée par les généraux ambitieux (Marius,
Sylla, Pompée, César) qui la feront tomber en 31 avant J.C., Octave prendra le
titre d’Auguste, c’est à dire de guide vénéré. Dès lors le conseil de
l’empereur sera un groupe formé d’amis, de parents, les pouvoirs traditionnels
notamment le sénat entreront en décadence au profit du régime du Principat puis
du Dominat autoritaire des IIIème et IVème siècle.
Pendant le moyen âge qui n’est
pas une période monolithique, s’est constituée surtout depuis les carolingiens,
au VIIIème siècle, une société aristocratique élitiste, dont l’idéologie
chrétienne devient la colonne vertébrale. Comme le dit Jacques Le Goff les
structures qui ont fonctionné en Europe du IVème siècle (Constantin le premier
empereur chrétien) au XVIII ème (la Révolution) délimitent un long moyen âge
avec une société reposant sur trois ordres les « oratores » ceux qui
prient les clercs, les « bellatores » ceux qui combattent et ceux qui
peinent les « laboratores ». C’était alors l’ordre tangible et
non transgressif de ce monde temporel établi par Dieu, dirigé par un monarque
sacré.
La révolution française, préparée par les philosophes
des « Lumières », dans sa déclaration des droits de l’homme « Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées
que sur l'utilité commune. », affirme donc que la carrière est
ouverte aux talents, en opposition à la société d’ordres de l’ancien régime (le
tiers état, le clergé, les Nobles). Ainsi nait le principe de la
« méritocratie ». C’est la procédure des concours et non plus la
naissance qui permettra d’accéder aux postes clés de l’État, haute
administration, armée…Dans l’esprit des
révolutionnaires le mérite remplace l’héritage.
Après le retour des régimes despotiques : deux empereurs et trois
rois, une défaite militaire cuisante en 1870, de 1875 à 1884 la IIIème république s’installe. Il s’agit d’une
démocratie parlementaire : les citoyens
français masculins élisent des députés qui font les lois et élisent le
gouvernement. La IVème, régime semblable, mais les femmes obtiennent
le droit de vote, succèdera en 1946 à l’épisode sombre du « régime de
Vichy » (40-44), qui l’avait abolie.
En 1958 la
constitution de la Vème république instaure un régime présidentiel avec
élection au suffrage universel du président de la République à qui l’essentiel
des pouvoirs échoit. Pouvoirs retirés à l’Assemblée Nationale, qu’il peut en
outre décider de dissoudre.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
La France a de grandes écoles (polytechnique, HEC,
ENA, etc.) qui forment une élite
endogamique. Seuls les enfants de parents ayant passés avec succès ces
concours peuvent espérer les réussir. Ceci est lié à l’acquisition de codes
comportementaux, à l’environnement culturel et géographique, que l’enfant né de
parents privilégiés par la richesse ou la situation sociale héritera. La
méritocratie ne permet pas d’éviter ces biais.
Les inégalités ne sont pas naturelles mais le produit
de l’histoire (Proudhon)
.
Si l’on considère l’élite comme groupe social,
représenté par ceux qui gouvernent ou ceux qui dirigent les grandes entreprises
ou ceux qui détiennent l’essentiel des richesses. Sachant que le rôle d’un chef d’état n’est pas
seulement d’assurer la sécurité de la population (Hobbes) mais aussi de
permettre aux citoyens d’être heureux (Aristote). Pourquoi ce dysfonctionnement
inégalitaire existe-t-il après plus d’un siècle de démocratie ?
Car
l’élite ce sont les plus riches et ceux qui les soutiennent. De plus ils ne sont pas
forcément dénués de talent et agissent pour conserver leur position privilégiée
en tentant d’inféoder la représentation politique. Enfin la mondialisation du
système économique a aggravé les inégalités et touche une population,
jusqu’alors consentante qui ne l’admet plus, car « l’ascenseur
social » ne lui permet plus d’espérer mieux pour sa descendance.
Oui
nous avons besoin
des meilleurs dirigeants pour que
notre société fonctionne harmonieusement, donc d’une élite, mais pas d’une nouvelle aristocratie pro-financière dirigeante,
quasi dynastique ou au mieux cooptée.
Cela pose une double question :
la
première est politique comment le peuple peut-il se réapproprier le
pouvoir démocratiquement ?
La seconde est éducative, doit-on favoriser les
mesures dites de discrimination positive pour compenser le déficit social lors
des concours (des essais en ce sens ont été menés pour le recrutement de
l’ENA) ?
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