dimanche 26 mars 2017

Sujet du Merc. 29/03 : COMMENT JOUIR DU CARACTERE MORTEL DE LA VIE ?



COMMENT JOUIR DU CARACTÈRE MORTEL DE LA VIE ?

Les animaux savent-ils qu'ils vont mourir ? Non, mais bien les hommes. Est-ce un hic ou un bonus ? Comment les hommes ont-ils pris conscience de la mort à ce moment de leur évolution où ils ont commencé à ensevelir leurs défunts il y a plusieurs dizaines de milliers d'années ?

Constatant qu'un membre du groupe ne répond plus aux stimuli usuels, le souvenir de la situation antérieure a fait prendre conscience à chacun de cette condition commune : celle de la vie et de la mort, à savoir l'absence de vie. La reconnaissance de la mémoire de l'autre devenu inerte à jamais s'est traduite tant par la préservation de son corps des prédateurs à l'aide de quelques pierres amoncelées que par un processus de retour réflexif sur soi et sur le corps collectif de la vie en société. L'homme ne pouvant vivre seul, s'est fait sentir la nécessité de renflouer le groupe par de nouveaux membres afin de mieux jouir ensemble et pour soi de l'inéluctable caractère mortel de la vie. Ce constat a depuis incité à des pratiques de la vie diverses et a conduit à fonder l'ordre social de toute société sur le sens donné à la mort. Depuis sa prise de conscience de la mort chaque société a voulu la rendre tolérable, surtout pour les puissants, par l'organisation des psychè renforcée par des rituels et sacrifices que financera le peuple innombrable.

Si la terreur et le trouble dominent face à la vie et à la mort, certains chercheront des formules de confort illusoires, ce qui soulignent leur précarité. D'autres les tourneront alors à leur profit et structureront l'ordre social par la spécification spécieuse de chaînes de raisons déterminant la survenue de la mort. Ils remonteront jusqu'à la cause première imaginaire : un dieu que le mort aurait irrité pendant sa vie en contrevenant aux préceptes de la société que ceux-là mêmes avaient conçus pour la structurer à leur profit. Ce dieu conçu par eux à l'image des hommes auxquels ils le destinent ne se peut voir ni constater ni toucher, pas plus que sentir dans sa substance éthérée ni même entendre, sauf par pure imagination. Mais ce dieu saurait néanmoins tout sur tout et sur les actes des hommes. Il exercerait alors sa toute puissance en toutes choses d'ici et d'outre-tombe. A cette pensée, l'angoisse initiale est décuplée afin de mieux soumettre ceux qui s'y sont enfermés.

Partant de ce constat peut-on concevoir que, pour éviter de se terroriser par de tels troubles de l'esprit, il s'agit de tenir (les) dieu(x) hors de nos existences ? Cela n'est-il pas plus vite dit que fait ? La mort n'est-elle vraiment rien pour nous si nous ignorons les dieux ? Oui, sinon dieu deviendrait notre « refuge d'ignorance » si pour lui plaire nous obéissions à ses directives ? Ne faut-il pas en effet d'abord se situer en vérité dans le monde où nous vivons pour en avoir la connaissance (et non l'ignorance !) afin d'y situer à sa juste place le cours de notre vie et la mort ? Ne s'agit-il pas de ramener tout cela à la réalité, loin de toute fantasmagorie divine. « Qu'est-ce que le monde dont je suis partie prenante tout comme toi ? » se demandent Epicure, Spinoza et quelques autres. Qu'est-ce que vivre s'il faut mourir un jour ? Comment mener sa vie ?

D'abord, il s'agit de ramener les choses à ce qu'elles sont en les expliquant par elles-mêmes : la matière des « atomes » et le vide où ils se déplacent nécessairement car tout est mouvement (tiens celui-là est inerte parce que mort, mais en lui ça grouille quand même) dans toutes sortes de directions par effet de chocs survenant au hasard (Epicure et la science actuelle). Oui, les choses et nos vies sont déterminées. Mais la nécessité à laquelle on ne peut échapper ne s'allie-t-elle pas aux degrés de liberté inhérents au hasard de rencontres fortuites, qui permettent qu'évoluent les choses du monde et que nous fassions des choix ? Suivant les situations nous pouvons infléchir le cours de nos vies et en tirer le meilleur. Ainsi s'ouvre le choix de l'éthique et de l'équité.

Pour fonder ce paradigme, un postulat : la vie est d'abord faite de sensations toute matérielles qui disparaissent quand la mort venue la vie instantanément n'est plus. De là on conclut que la vie est tout pour nous et que la mort n'est rien, puisqu'une fois rendus à cet état nous ne ressentons plus rien. Reconnaître ce caractère mortel de la vie permet de choisir en éthique de construire nos vies au mieux du possible qu'offre la réalité du monde. C'est donc très précisément, j'insiste, parce que nous nous savons mortels que nous pouvons jouir au mieux de la vie et envisager à tout moment comment procéder à cet effet. A contrario, l'idée en vogue d'immortalité et de recherche de sa réalisation n'est qu'illusion qui annule cette jouissance. La mort et la vie sont tout ce que nous avons. De plus, ensemble elles nous donnent la liberté de faire advenir le meilleur et nous rapprochent du moins de troubles possible. Pas mal la condition d'hommes !

Néanmoins, reconnaissons que les choses ressenties peuvent l'être en plaisir ou en douleur. Une fois en vie nous ressentons désirs et aversions. Mais faut-il bondir sur tous les plaisirs sachant que nombreux sont ceux qui impliquent une avalanche de difficultés ? Eviter de se confronter à quelques vérités désagréables peut entraîner de sérieux déboires, tels ceux de brûler un feu rouge quel que soit le plaisir de le faire. De plus, certaines douleurs sont préférables « dès lors qu'un plaisir plus grand doit suivre des souffrances longtemps endurées ». Se restreindre à la frugalité alimentaire initialement ressentie comme une contrainte permet d'éviter des maladies.

Dans chaque cas la confrontation et l'analyse des avantages et désavantages permettent de se décider. Ainsi « l'autosuffisance est un grand bien non pour satisfaire à l'obsession gratuite de frugalité, mais pour que le minimum nous satisfasse au cas où la profusion ferait défaut ... Les nourritures savoureusement simples nous régalent aussi bien qu'un ordinaire fastueux, sitôt éradiquée la douleur du manque. Galette d'orge et eau dispensent un plaisir extrême, dès lors qu'en manque on les porte à la bouche », en toute quiétude (Epicure). Allez dire cela à nos contemporains et ils vous riront au nez. Mais ils se plaindront néanmoins de mal-être inexorable et de n'être pas heureux ...

Que dire sinon que, si le plaisir est un but essentiel, c'est dans la simple mesure où il permet qu'on ne souffre pas du corps et qu'on n'ait pas l'esprit perturbé; et que ce serait dans ces deux situations favorables que se situerait une approche de la félicité, toujours terrestre parce qu'il n'y a rien d'autre qui soit. N'est-ce pas là la meilleure façon de jouir de la condition d'homme se sachant mortel, tant pour ce qui le concerne personnellement que collectivement en société ? 


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