Les sens nous coûtent trop cher.
Il y a sens et sens. Comme il y a
coûter et coûter. Car coûter a au moins deux sens : celui qui indique un
payement (cette sono coûte cher) et celui qui relève d'une cause (cette musique
hard me coûte ma tranquillité).
Ayons donc du sens pratique, et même du bon sens : chaque fois que nous prendrons un sens unique, il y aura au moins un double sens. Et quand ça part dans tous les sens ? Sous l'empire des sens, suffit-il d'être sensible ou faut-il, en plus, être sensé ? Nous tenons là une question philosophique essentielle (pour ne pas dire « essencielle ») qui émerge depuis cette polysémie autour même du mot sens, mot dont l'un des sens est censé nous éclairer sur la problématique suivante :
Ayons donc du sens pratique, et même du bon sens : chaque fois que nous prendrons un sens unique, il y aura au moins un double sens. Et quand ça part dans tous les sens ? Sous l'empire des sens, suffit-il d'être sensible ou faut-il, en plus, être sensé ? Nous tenons là une question philosophique essentielle (pour ne pas dire « essencielle ») qui émerge depuis cette polysémie autour même du mot sens, mot dont l'un des sens est censé nous éclairer sur la problématique suivante :
- Notre
connaissance n'est-elle possible que par nos sensations ? N'est-elle due qu'à
l'empirisme sensualiste ? Ou bien notre intuition sensible n'est-elle pas
précédée, à priori dans notre esprit, par un fondement qui organiserait
l'expérience et aiderait à la structuration et à la conceptualisation de la
représentation du monde qui nous constitue et qui nous entame ?
C'est sans
doute parce que nous avons récemment par trop versé dans le sensualisme
démagogique et érigé des doctrines vite perverties comme l'hédonisme ou
l'épicurisme mal compris, en livrant la recherche de la vérité aux seules voies
des satisfactions sensitives et des plaisirs sensuels, que nous avons déjà payé
très cher nos prétentions à connaître le réel par les seules sensations,
fussent-elles intenses, pleines et même dopées de sensationnel.
En déclassant
trop rapidement l'intelligence au profit du sensitif, en valorisant outre
mesure le jugement sensible au détriment de l'analyse intelligible, en tournant
le dos à l'abstraction rationnelle pour avantager le " je ne crois que ce
que je vois " (qui n'est rien d'autre qu'un prétexte fallacieux pour
tenter de légitimer d'autres croyances), on paye encore plus cher le prix des
conséquences de ces changements de sens vers l'illusoire et la tromperie.
Car ce n'est
évidemment pas un progrès humain que de se complaire dans l'état animal en
pensant que l'utilisation du système sensoriel et neuronal ne se justifie que
pour obtenir la satisfaction des instincts basiques et des besoins charnels
fondamentaux. Même si cet usage s'accompagne de quelques colorations
esthétisantes ou artistiques plus ou moins sensibilisatrices et d'un supposé
sens moral généralement subordonnés à un égoïsme et un individualisme
ridiculement revendiqués.
Retrouvons
donc un début de sens en redécouvrant précisément nos sens, au sens
physiologiste de ce mot.
Oui les cinq
sens nous coûtent déjà cher lorsque nous les utilisons dans leur fonctionnalité
organique normale. Voir clair, bien écouter, toucher juste, goûter fin, sentir
bon : cela a un prix. Ils nous coûtent évidemment encore plus cher quand ils
sont affaiblis de pathologies limitant leurs spectres de perception (…) ou
lorsque nous voulons les forcer, artificiellement, au delà de leurs limites
intrinsèques (voir dans l'infra-rouge ou entendre des ultra-sons par exemple).
Mais là où les
sens coûtent le plus cher, c'est lorsqu'on s'abuse en leur prêtant une trop
grande fiabilité. Car nos sens nous trompent puisqu'on peut très facilement les
leurrer, justement par de nombreux dispositifs (ex : les illusions d'optique)
qui doivent à l'intelligence humaine d'avoir pu les dépasser.
Dépasser les
sens : voilà enfin qui a du sens ! (il n'est même pas besoin d'inventer un
sixième sens qui n'est autre qu'une diversion douteuse pour bifurquer vers
l'irrationnel ou la métaphysique, déviances qui ont coûté déjà tellement cher à
l'humanité).
Dépasser les sens, c'est essayer de décrire la nature avec un esprit et un langage qui structurent l'espace et le temps, c'est à dire avec l'appui de la science mathématique, la recherche des lois physiques, des causalités et des déterminismes, tenter de déchiffrer la complexité avec objectivité, méthode, conscience, détachement et… une grande modestie. Bref, essayer de se convaincre que la connaissance rationnelle du monde réel est indispensable à quiconque veut donner le moindre début de sens à sa propre démarche de vérité et de liberté, qu'elle soit individuelle ou collective.
Cela nous
éviterait, au moins, de perdre le peu de sens qu'il nous reste dans le
totalitarisme de la subjectivité ou dans l'alibi qui prévaut souvent chez les
utilisateurs de la puissance magique de l'intuition, attributs évidemment
réservés de préférence à ceux qui ont été touchés par la grâce. Comme, par
exemple, le philosophe Bergson quand il déclare : " Nous appelons
intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet
pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable
".
Décidément, il
y a des sens qui nous coûtent tellement cher qu'on a du mal à les exprimer.
Comment pourrait-on éviter que des illuminés ne s'engouffrent dans les sens
interdits ?
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