Pourquoi
penser ?
Nous n’arrêtons pas de penser. Mais le sujet de ce soir n’est pas cette forme de pensée qui se déroule comme la respiration ou le battement du cœur. Penser, du moins pour les apprentis philosophes que nous sommes, c’est réfléchir, questionner, douter ….
Il y a une sorte de confort à
suspendre toute action de réflexion. « Ne pas se prendre la tête »,
locution à la mode, montre assez bien le niveau de la volonté de ne pas savoir.
La paresse intellectuelle. Mais pourquoi ? Il est doux et agréable pour
bon nombre de nos concitoyens de ne pas se poser de questions. A force de crier
partout que le monde est « complexe », que tout est relatif, qu’une
opinion en vaut une autre, pourquoi donc se « casser la tête ».
Des gourous et des « coachs » de
toutes sortes, ont sauté sur ce reniement de la pensée comme source de tracas.
Tel F. Réal qui publie un article qui
s’intitule « Le mal du siècle :
trop penser », et bien entendu on inverse les valeurs. Et on
écrit : « Le « Je pense donc je
suis » de Descartes est dépassé lui aussi, car nous pouvons être sans
penser. Les deux ne sont pas reliés, car si je vous dis d’arrêter de penser
10 secondes, vous serez d’accord avec moi que vous continuez d’être conscient,
peut-être même plus… Vous ne cessez pas d’exister pour autant. Or il y a cette
croyance enracinée dans l’inconscient collectif que penser est absolument
vital, que « si j’arrête de penser je meurs ».
Et nous voici dans le registre de
la « pensée faible ». Tous ces escrocs intellectuels savent bien
qu’ils ne peuvent s’attaquer frontalement à la réflexion, à l’analyse ;
alors ils modifient la sémantique « nous
pouvons être sans penser »- disent-ils - les arbres, les montagnes et les vaches
aussi ! L’intériorité devant quand même pouvoir s’exprimer, leur solution
est simple : être conscients de nos pensées : « Nous devons être conscients de nos pensées car nos pensées
ont un pouvoir, plus que nous le pensons. Si vous avez constamment
peur de perdre votre emploi, vous augmentez réellement la probabilité de vous
faire licencier. De même que si vous avez peur de contracter une maladie
mortelle ou une affection : plus vous envoyez d’énergie dans cette direction,
plus vous avez de chances de donner inconsciemment la permission à votre corps
de manifester cette affection. » « Dr » Kelly Neff.
Il y a en effet de quoi avoir
peur de penser ? Mais la logique des propos ci-dessus, au-delà de la
charlatanerie, porte surtout sur la validation « intellectuelle » de
l’homme comme représentation, de l’homme comme monade isolé, de l’homme
(individu, pas communauté) comme créateur de sa propre réalité, qui est au fond
la seule réalité qui compte ! « nos
pensées créent notre réalité avec le temps » scande K. Neff.
La dé-liaison du lien social est
la caractéristique de ces points de vue qui, au fond, ne visent qu’à une
chose : assujettir certains individus en déviant leur capacité réflexive
vers une poignée de nouveaux prêtres agissant pour une multitude de petites
religions. Leurs mots d’ordre : « parlez
moins, respirez plus, pratiquez la pleine conscience, abandonnez vous à
l’univers…. ».
Et il n’y a que sur le terreau
pollué d’une pensée faible, ou rendue faible, que peut s’exercer cette emprise.
Et la philosophie dans tout
cela ? Si nous devons commencer à répondre à la question « Pourquoi penser ?» il nous faut
au préalable, et de manière indispensable nous pencher sur les travers de
l’exercice philosophique au sein du café philo.
Le café philosophique n’échappe
pas à la « pensée faible ». Le café philosophique, atelier de
philosophie pratique, en dévoile fréquemment le mécanisme. Le triomphe de « l’opinion »
l’emporte souvent sur l’argumentation. « Mettons une chose au clair: toutes les
opinions ne sont pas égales. En fait, toutes les opinions ne sont pas vraiment
des opinions. Qui que ce soit qui a dit cette absurdité, n’a pas compris le
sens de l’éducation. C’est le travail de collecter et évaluer les faits,
données, et informations qui valide une opinion donnant à certaines plus de
valeur qu’à d’autres ou même en les traitant non plus comme des opinions, mais
comme des faits concrets. » D. Deafe - Source: https://fr.sott.net/article/28363-Non-toutes-les-opinions-ne-sont-pas-egales-un-article-d-opinion-sur-les-opinions
.
Aussi paradoxal que cela puisse
paraître, la pensée faible se manifeste aussi
dans un café philosophique par l’ignorance ou parfois même le mépris des œuvres
philosophiques de la part de certains protagonistes. « On fait sa philosophie soi-même »,
« on n’a pas besoin de Platon ou d’Aristote pour philosopher ».
Imaginons un apprenti matheux disant qu’il n’a pas besoin de connaitre les
tables de multiplication, ou encore un musicien qui ne voudrait pas apprendre
le solfège !
Tous ces personnages qui se vantent de leur ignorance, la revendiquent
comme un bienfait, se rendent-ils compte de l’opinion dominante qu’ils
véhiculent ?
« Je veux imaginer sous quels
traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde: je vois une
foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur
eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent
leur âme...Au-dessus de ceux-là
s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur
jouissance et de veiller sur leur sort… il pourvoit à leur sécurité, prévoit et
assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales
affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs
héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? ». A de Tocqueville.
Car l’enjeu du « pourquoi
penser ? », objet même de la philosophie, n’est il pas là ? Tous
ceux qui on pensé, réfléchi, analyse, douté….avant nous ; n’avaient qu’un
but : comprendre. La pensée était leur outil, comme la vue ou l’ouïe…. (et
ça s’éduque quoiqu’en pensent certains !). Comprendre COMMENT faire pour
lutter contre le malheur, contre l’apparence figée des choses et des
institutions, contre la pensé unique (qui a existé à toutes les
époques !).
Certes, toutes les philosophies
n’ont point été au service des hommes. Beaucoup même ont servi « à voiler les misères de l'époque, le vide spirituel des hommes, la
division fondamentale de leur conscience, et cette séparation chaque jour plus
angoissante entre leurs pouvoirs et la limite réelle de leur accomplissement…..
Elles ne servent point le Vrai qui
n'existe pas, l'Universel qui n'existe pas, l'Eternel qui n'existe pas, mais la
lutte contre une indignation et une révolte qui se font jour. Elle sert à
détourner les exploités de la contemplation périlleuse pour les exploiteurs de
leur dégradation, de leur abaissement. Elle a pour mission de faire accepter un
ordre, en le rendant aimable, en lui conférant la noblesse, en lui apportant
des justifications…. Elles les dirigent sur des voies de garage où la révolte
s'éteindra. Elle sert la classe sociale qui est la cause de toutes les
dégradations présentes, la classe même dont les philosophes font partie »
P. Nizan .
Certaines philosophies ont donc collaboré et collaborent encore à cette
mystification : BHL, Glüksman, Onfray, Ferry …. Font partie de ces clercs
là. « Nous vivons dans un temps où
les philosophes s’abstiennent. Ils vivent dans un état de scandaleuse absence.
Il existe un scandaleux écart, une scandaleuse distance entre ce qu’énonce la
philosophie et ce qui arrive aux hommes en dépit de sa promesse. Il faudra même
parler d’abandon de poste, de trahison. » P. Nizan
D’autres ont répondu à l’appel de Démocrite : « Beaucoup de réflexion et non beaucoup de
connaissances, voilà à quoi il faut tendre." Ceux-là se sont engagés dans une voie ou la
pensée ne s’abstrait pas, ou elle ne spécule pas. Ils recherchent la vérité
dans les faits.
Pourquoi penser ? D’abord
parce que c’est probablement le propre de l’homme et en tout cas c’est ce que
nous prouve son évolution, sa confrontation avec la nature et les éléments qui
l’ont conduit de l’animalité à l’humanité. Penser comme nous respirons, par
nécessité vitale.
Penser pour être une voix parmi des voix. Et non « la » voix de l’Esprit. Il est ici question d’être utile. Et non de faire l’apôtre. Pour mener à bonne fin des idées, il faut des hommes qui mettent en jeu une force pratique.
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