Le temps
n’existe pas.
« ... le temps est un effet de notre ignorance des détails du
monde. Si nous connaissions parfaitement tous les détails du monde, nous
n'aurions pas la sensation de l'écoulement du temps. » (Carlo Rovelli –
in : Et si le temps n’existait pas - 2012 ».
Chaque jour, l'homme perçoit, éprouve
même, le temps qui passe. Les horloges, les réveils et les montres omniprésents
et égrenant les secondes. Les enfants qui grandissent. Ou les rides aux coins
des yeux. Tout, absolument tout, semble justifier sans discussion possible
l'existence implacable du temps et de ses effets.
Vraiment ? Pour celui qui voyage
peu, la terre ne semble-t-elle pas plate, ornée de quelques bosses et
creux ? L'idée d'une terre ronde avec « dessous » des gens qui
marchent « la tête en bas » sans « tomber », n'est-elle pas
également contraire à l'intuition ? Et que dire de cette terre qui tourne
autour du soleil alors que nous voyons tous et chaque jour, le soleil se
« lever » à l'Est et se « coucher » à l'Ouest ?
L'histoire de la science a confirmé ce
que les philosophes grecs avaient déjà compris il y a plus de 2500 ans :
nos sens peuvent nous tromper ; il est nécessaire d'aller au-delà de la
perception sensible immédiate pour accéder à la vérité
L'illusion du temps qui passe
Depuis Einstein, l'humanité sait qu'il y a un hic au
tic-tac de nos pendules : le temps est relatif. Il ne s'écoule pas partout
de la même manière. Plus la vitesse de déplacement est grande ou la gravité
forte, plus l'écoulement du temps ralentit. Par exemple : si deux horloges
atomiques (les plus précises à l’heure actuelle) sont déclenchées
simultanément, puis que l'une reste sur la terre ferme alors que l'autre part
faire un tour en avion afin de s'éloigner de 10 km de la masse de la terre et
de sa gravité, alors les cadrans indiqueront deux résultats différents, celle
qui s'est momentanément éloignée aura « vécu » moins longtemps de
quelques milliardièmes de secondes que son homologue.
Le temps n'est donc pas ce tic-tac régulier, immuable
et implacable. «« ...nous ne
mesurons jamais
le temps lui-même. Nous mesurons toujours des variables physiques A, B, C,…
(oscillations, battements, et bien d’autres choses), et nous comparons toujours
une variable avec une autre. Et pourtant, il est utile d'imaginer qu'il existe
une variable t, le 'vrai temps', que nous ne pouvons jamais mesurer, mais qui
se trouve derrière toute chose. [...] Plutôt que de tout rapporter au
'temps', abstrait et absolu, ce qui était un 'truc' inventé par Newton, on peut
décrire chaque variable en fonction de l’état des autres variables […].
Tout comme l’espace, le temps devient une notion relationnelle. Il n’exprime
qu’une relation entre les différents états des choses. » Carlo
Rovelli – op. cité. Autrement dit, l'Univers est constitué d'interactions permanentes,
d'une série infiniment complexe de causes et d'effets. A modifie B qui modifie
à son tour C mais aussi peut-être A lui-même, etc.
Ainsi l'Univers est en
mouvement, se modifie sans cesse et ce sont ces changements, ces interactions
que nous percevons. Seulement, notre existence se déroulant avec peu de
variables fondamentales, toujours sur terre ou à proximité et à des vitesses
extrêmement modestes comparées à celle de la lumière, toutes ces interactions
nous apparaissent comme dictées selon une composante physique de l’Univers que
l'homme a appelé « le temps ». A notre échelle, le tic-tac de la
pendule est imperturbable ; nous ne percevons jamais les différences de
quelques milliardièmes de seconde qui peuvent intervenir ici ou là sur terre
selon notre vitesse de déplacement ou notre altitude. Newton lui-même a intégré
cette notion « temps » comme une composante fondamentale de
l'ensemble de sa physique. Seulement, ce que nous dit Carlo Rovelli c'est que,
lorsque nous observons le pendule de l'horloge se balancer, nous avons
l'illusion d'observer l'écoulement de « secondes » alors que nous ne
faisons que mesurer un enchaînement d'interactions au sein du mécanisme de
l'horloge. Et c'est pourquoi la physique moderne peut se passer intégralement
de la notion « temps » au sein de ses équations : « au
lieu de prédire la position d'un objet qui tombe 'au bout de cinq secondes',
nous pouvons prédire sa chute 'après cinq oscillations du pendule'. La
différence est faible en pratique, mais grande d'un point de vue conceptuel,
car cette démarche nous libère de toute contrainte sur les formes possibles de
l'espace-temps » (Carol Rovelli – Op. cité).
Dynamisme
de la connaissance et relativisme
De la conception d'un univers en
constante évolution constitué d'une série d'interactions d'une infinie
complexité découle une vision dynamique de la science et de la vérité. Si
l'Univers est en mouvement, pour le comprendre la pensée doit l'être aussi.
Carlo Rovelli s’inscrit donc en faux contre une vision figée de la science, qui
établirait des vérités absolues et éternelles. Au contraire, pour lui, « La
pensée scientifique est consciente de notre ignorance. Je dirais même que la
pensée scientifique est la conscience même de notre grande ignorance et donc de
la nature dynamique de la connaissance. C’est le doute et non
pas la certitude qui nous fait avancer. C'est là, bien sûr, l'héritage profond
de Descartes. Nous devons faire confiance à la science non parce qu'elle offre
des certitudes mais parce qu'elle n'en a pas » (C. Rovelli – Op. cité).
Mais cette approche relative de la
vérité et de la science ne signifie nullement que Carlo Rovelli tombe dans le
relativisme. Bien au contraire. Il montre dans quelles aberrations mène le
relativisme en prenant l’exemple des États-Unis où le créationnisme fait
d’énormes dégâts, en particulier dans l’enseignement : « Ces visions déformées de la science ont pour
conséquences une diminution de son aura et la pensée irrationnelle gagne du
terrain… Aux États-Unis par exemple (le Kansas ‘rural’ mais aussi la très
civilisée Californie), les enseignants n’ont pas le droit de parler
correctement de l’évolution à l’école. Les lois qui interdisent d’enseigner les
résultats de Darwin sont justifiées par le relativisme culturel : on sait
que la science se trompe, et donc une connaissance scientifique n’est pas plus
défendable qu’une connaissance biblique. Interrogé récemment sur ce sujet, un
candidat à la présidence des États-Unis a déclaré ‘qu’il ne savait pas si les
êtres humains ont vraiment des ‘ancêtres communs’. Sait-il seulement si c’est
la terre qui tourne autour du soleil ou le soleil qui tourne autour de la
terre ?»
Plus généralement : « L’obsession scientifique de remettre toute
vérité en question ne mène pas au scepticisme, ni au nihilisme, ni à un
relativisme radical. La science est une pratique de la chute des absolus qui ne
tombe pas dans le relativisme total ou le nihilisme. Elle est l’acceptation
intellectuelle du fait que les connaissances évoluent. Le fait que la vérité
puisse toujours être interrogée n’implique pas que l’on ne puisse pas se mettre
d’accord. En fait la science est le processus même par lequel on arrive à se
mettre d’accord » ( C. Rovelli – Op. cité).
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