« Savoir ce qu’on sera, ce
serait vivre comme les morts » P. Nizan
"L'idée
ils s'en étaient aperçus les premiers, mais elle était comme un gaz essentiel
dans l'air que tout le monde respirait, un air irrespirable à cause de tout cet
azote de mort… Pendant des années, on ne pense pas à la mort. On a de simples
avertissements de sa présence, soudain au milieu de la vie, et il y a des gens
qui pensent à elle plus souvent que les autres : ils naissent ainsi. Elle passe
comme un nuage, et elle pourrit brutalement tout le territoire de la vie sous
son ombre ; l'angoisse aspire tout l'esprit." Le
cheval de Troie P. Nizan 1905-1940.
Tout à la fois philosophe, journaliste, auteur, P. Nizan, compagnon
d’études de Sartre, obtient son agrégation de philosophie en 1929 et meurt en
1940 alors que son régiment résiste à l’avancée nazie.
La vie et l’œuvre de Nizan sont remplies par la question de
l’engagement politique et de son fondement philosophique
Dans une de ses œuvres « la conspiration » (1938) on peut lire les dialogues suivants :
Dans une de ses œuvres « la conspiration » (1938) on peut lire les dialogues suivants :
«C’étaient cinq jeunes gens qui avaient tous
le mauvais âge, entre vingt et vingt-quatre ans ; l’avenir qui les
attendait était brouillé comme un désert plein de mirages, de pièges et de
vastes solitudes. Ce soir-là, ils n’y pensaient guère, ils espéraient seulement
l’arrivée des grandes vacances et la fin des examens.
— À la rentrée, dit Laforgue, nous pourrons donc publier cette revue, puisqu’il se trouve des philanthropes assez naïfs pour nous confier des argents qu’ils ne reverront pas. Nous la publierons, et au bout d’un certain temps, elle mourra
…— Bien sûr, dit Rosenthal. Est-ce que l’un de vous est assez corrompu pour croire que nous travaillons pour l’éternité ?
— Les revues meurent toujours, dit Bloyé. C’est une donnée immédiate de l’expérience.
— Si je savais, reprit Rosenthal, qu’une seule de mes entreprises doive m’engager pour la vie et me suivre comme une espèce de boulet ou de chien fidèle, j’aimerais mieux me foutre à l’eau. Savoir ce qu’on sera, c’est vivre comme les morts. Vous nous voyez, dans des quarante ans, dirigeant une vieille Guerre civile, avec les sales gueules de vieillards que nous aurons, façon Xavier Léon et Revue de Métaphysique !… Une belle vie, ce serait une vie où les architectes construiraient des maisons pour le plaisir de les abattre, où les écrivains n’écriraient des livres que pour les brûler.
Il faudrait être assez pur, ou assez brave, pour ne pas exiger que les choses durent… »
— À la rentrée, dit Laforgue, nous pourrons donc publier cette revue, puisqu’il se trouve des philanthropes assez naïfs pour nous confier des argents qu’ils ne reverront pas. Nous la publierons, et au bout d’un certain temps, elle mourra
…— Bien sûr, dit Rosenthal. Est-ce que l’un de vous est assez corrompu pour croire que nous travaillons pour l’éternité ?
— Les revues meurent toujours, dit Bloyé. C’est une donnée immédiate de l’expérience.
— Si je savais, reprit Rosenthal, qu’une seule de mes entreprises doive m’engager pour la vie et me suivre comme une espèce de boulet ou de chien fidèle, j’aimerais mieux me foutre à l’eau. Savoir ce qu’on sera, c’est vivre comme les morts. Vous nous voyez, dans des quarante ans, dirigeant une vieille Guerre civile, avec les sales gueules de vieillards que nous aurons, façon Xavier Léon et Revue de Métaphysique !… Une belle vie, ce serait une vie où les architectes construiraient des maisons pour le plaisir de les abattre, où les écrivains n’écriraient des livres que pour les brûler.
Il faudrait être assez pur, ou assez brave, pour ne pas exiger que les choses durent… »
« Vivre
comme les morts », étrange formule. Peut-être.
Si on veut avoir une
idée de la certitude c’est peut être la mort qui nous fournit la clef. Une fois
privée d’actions conscientes, qu’est notre matière (dans laquelle il faut
inclure l’esprit, l’âme, la conscience et tout ce qu’on voudra et qui
s’anéantit avec notre mort) ? Elle devient un long processus quantifiable,
mesurable qui de pourriture nous transforme en poussière, en éléments de base
d’autres modalités à venir : les atomes (tous les atomes de notre corps
tiendraient dans un dé à coudre).
La matière inerte que nous sommes devenus suit des processus sans surprises, inexorables, certains.
La réflexion du personnage de Rosenthal dans la citation ci-dessus « Savoir ce qu’on sera, c’est vivre comme les morts » est à bien saisir dans cette acception.
La matière inerte que nous sommes devenus suit des processus sans surprises, inexorables, certains.
La réflexion du personnage de Rosenthal dans la citation ci-dessus « Savoir ce qu’on sera, c’est vivre comme les morts » est à bien saisir dans cette acception.
Rien n’est plus stérile que ce qui tapisse notre avenir de certitudes (à ne pas confondre la certitude (relative) des actions à mener – avoir une Rolex à 50 ans - avec la vérité des principes qui gouvernent la réalité : dans le référentiel terrestre la loi de l’attraction fait qu’un corps qui tombe chute vers le bas (absolu)).
Dès lors comment connaitre le principe qui nous
empêcherait d’être des morts…vivants ? Ce principe ne vient-il pas
lui-même de la vie ? Ou plus particulièrement de l’incertitude fondatrice
de la vie ? Nous naissons par hasard :
« On
choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille
On choisit pas non plus les trottoirs de Manille
De Paris ou d'Alger
Pour apprendre à marcher
nom'inqwando yes qxag niqwahasa » (Langue Zoulou) Quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus
Maxime Le Forestier 1987
On choisit pas non plus les trottoirs de Manille
De Paris ou d'Alger
Pour apprendre à marcher
nom'inqwando yes qxag niqwahasa » (Langue Zoulou) Quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus
Maxime Le Forestier 1987
Et après
ce « début » qu’est notre vie ? Une longue suite d’incertitudes,
dont les religions se sont délectées, dont elles ont fait « l’arôme
spirituel » en nous vendant leurs « solutions », leurs
destins, leur paradis et leurs enfers terrestres au nom de la foi et du fric.
Car l’homme qui côtoyait quotidiennement l’incertitude des climats, des animaux
de chasse, des fruits …. Est devenu sédentaire, puis propriétaire. Cette
sécurité dans le lendemain, certains en ont profité pour créer des chimères.
De
simples échanges inter humains, le commerce devint monétaire, déshumanisé.
Toutes les choses eurent des valeurs, les hommes aussi. Et l’homme crut qu’il
était sûr, plus sûr qu’avant, avec ses économies, sa carte bleue, rien !
Alors il
va falloir rejoindre ce groupe de jeunes gens que nous présente Nizan. Ces jeunes gens
qui ne s’imaginent pas vieillir autrement que …jeunes…..
VIVANTS ! C’est-à-dire
éternellement incertains du devenir mais si prompts à le décrire, à l’appeler
de leur vœu. La mort n’est pas leur problème.
Seul le mouvement compte. Seule
la dialectique du processus du changement les motive, comme elle motive nos
corps sans que nous n’y prenions garde. Tout le monde sait l’avenir : nous
sommes mortels, et avant ?
L’incertitude
est inscrite au fronton de leurs projets. Quel renversement par rapport à leur
temps et au nôtre ! Celui des illusions confortables, de la fin de
l’histoire. On va à la fac, on finira avocat ou médecin (forcément), on aura
une villa à crédit (bien sûr), on ira au ski et à la plage….. Avons-nous oublié
d’où nous venons ? Avons-nous oublié à ce point tous les autres, nos
semblables ?
« On
choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille
On ne choisit pas non plus les trottoirs de Manille » ….
On ne choisit pas non plus les trottoirs de Manille » ….
Mais ne nous y trompons pas. L’incertitude,
n’est pas indécision.
L’incertitude
ce n’est pas ne pas savoir ou l’on va : c’est savoir où l’on va sans
savoir comment on y va !
L’incertitude de Nizan est tout sauf une réponse philosophique idéaliste. Le métaphysicien de service nous aurait dit « l’important c’est de savoir pourquoi on y va ».
L’incertitude de Nizan est tout sauf une réponse philosophique idéaliste. Le métaphysicien de service nous aurait dit « l’important c’est de savoir pourquoi on y va ».
Mais, prédit Nizan : « Les simples têtes humaines ne sont pas à l’aise
dans le ciel glacial des idées » (Les chiens de garde) – Que les métaphysiciens
passent leur chemin.
Nizan dans ses œuvres nous propose une totalité de la volonté, de l’espoir, pour un but. La seule question qui vaille c’est le « Comment ». Le pourquoi est en lui-même une incertitude potentielle, une stagnation possible. Le comment résout la contradiction en nous donnant les moyens de l’action.
Dans cette incertitude féconde du devenir de l’homme, Nizan ne sera pas un tiède. Dans Aden Arabie il déclare « « Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère….Pureté de la colère : que de crimes commis en ton nom ! », ce que rappelle le refrain en langue zoulou du texte de M. le Forestier « nom'inqwando yes qxag niqwahasa » Quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus.
L’incertitude impose la
réflexion. La croyance dispense de tout examen critique.
La colère ou la violence sont inévitables
lorsqu’on a conscience du présent et du devenir. La suggestion de Nizan c’est
que ces sentiments, ces passions, participent de l’action mais n’en soient pas
le moteur.
On peut s’indigner dans le calme et le repos d’un bureau de philosophe
MAIS, ne l’oublions jamais nous pourrions tout aussi bien nous trouver sur les
« trottoirs de Manille », et en tout cas d’autres s’y trouvent !
Cette seule certitude n’impose t elle point le
combat ?
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