Il n’y a pas de libre arbitre ?
La notion de libre arbitre, synonyme de liberté,
désigne le pouvoir de choisir de façon absolue, c’est à dire d’être à l’origine
de ses actes. Autrement dit un sujet libre est sensé pouvoir choisir de
lui-même ce qu’il choisit, sans être poussé à l’avance d’un coté ou d’un autre
par quelque influence ou cause que ce soit. Le libre arbitre suppose un certain
contrôle de la part de l’agent : contrôle sur ses actions mais
aussi sur les pensées et les émotions à partir desquelles il va se
décider d’agir - contrôle qui suppose aussi la capacité de s’abstenir.
D’autre part, l’exercice du libre arbitre suppose des conditions
objectives : que les termes du choix soient des possibilités réelles.
Pour que je puisse choisir entre A et B (ou même pour que je
puisse m’abstenir de choisir (possibilité C)), il faut qu’A, B et C soient également
possibles.
Sur
quoi repose la notion de libre arbitre ? Deux points de vue s’opposent ici
qui traversent toute l’histoire de la philosophie à travers bien des
dénominations et des variantes différentes, opposition que nous essaierons de
résumer comme étant celle entre le point de vue de la première personne et
celui de la troisième personne.
Du point de vue de la première personne
c’est-à-dire du point de vue de la conscience ou du sujet, personne ne peut
décider à ma place, même ne pas décider est une décision, et la moindre action
digne de ce nom m’engage : pour faire une chose aussi simple que lever le
bras il faut que je le décide, tout au moins faut-il que j’y pense et
rien ne se passerait sinon. Le libre arbitre est la condition de la responsabilité.
Cela fait-il du libre arbitre et du contrôle
qu’il suppose une donnée évidente ? Est-il si évident que nous avons un
contrôle sur nos pensées et nos émotions ? La plupart de nos supposées
« actions », ne sont-elles pas en réalité des réactions mécaniques
qui répondent à autant de facteurs intérieurs (émotions, préjugés…) et
extérieurs (les circonstances) que nous ne contrôlons pas ? Certes, je
suis à l’origine de tous mes choix, mais ai-je choisi ce que je suis ?
Pour que nos actions soient vraiment les nôtres, il faudrait que nous puissions
nous choisir nous-mêmes, cela est-il possible ? Peut-on revendiquer un
choix absolu de soi-même? Il faudrait alors avoir conscience d’avoir
délibérément choisi sa naissance. Peut-être peut-on, plus raisonnablement,
revendiquer un choix relatif de soi-même, "choix" signifierait ici
soit acceptation (à partir d’un passé qu’on n’a pas choisi), soit refus (le
suicide en étant l’extrémité). Cela nous amène à la question des conditions
objectives du libre arbitre (celle des possibilités objectives du choix)
et au second point de vue.
Du
point de vue de la troisième personne, c’est-à-dire pour un observateur
extérieur «objectif », chacun des actes d’un agent donné s’explique par
des causes extérieures, s’insère dans une continuité. La science moderne en est
l’expression la plus aboutie, elle est globalement déterministe (nous laissons
de côté la question du probabilisme de la physique quantique), c’est-à-dire
qu’elle envisage l’état présent de l’univers comme étant l’effet nécessaire de
celui qui l'a précédé, et cela en vertu des lois de la nature. Ainsi, il
apparaît qu’un agent ne peut agir en réalité autrement qu’il n’agit en fait, et
que s’il s’est engagé dans une action A c’est que ni B, ni C (s’abstenir) n’était
possible en fonction de son passé. L’idée de libre arbitre semble ici
contradictoire avec celle de loi naturelle. Comment pourrait-on nier que nos
futurs possibles sont en réalité déterminés par notre passé réel ?
Faut-il nécessairement opposer ces deux points de vue ?
Objectivement le
présent est l’effet nécessaire du passé, mais cela rend t-il absolument
illusoire la nécessité face à laquelle nous nous trouvons (subjectivement) de
décider et d’agir ? Doit-on tenir notre expérience de première personne
(celle de nos hésitations, nos choix, notre responsabilité…) comme purement
illusoire ?
De ce point de vue les obstacles à notre liberté n’existent
que par rapport à elle, et la question n’est pas : « être ou ne pas
être libre ? », mais « comment se libérer ? » La
liberté deviendrait alors une pratique exigeante, le libre arbitre une
difficile conquête.
Vu
que nous sommes tous des sujets, n’est-ce pas le point de vue objectif qui est
abstrait ?
N’est-il pas nécessaire de tenir pour vrai les deux points de
vue : nous sommes à la fois libres (subjectivement et dans la mesure où
nous y travaillons) et non libres (objectivement, dans la mesure où nous sommes
une partie de la nature) ? - JS –
Sujet à venir : Mercredi
06 Avril 2016
La trahison des images.
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