"Le
passé m'encourage, le présent m'électrise, je crains peu l'avenir" Sade
« Mme de Lorsange : exempte de toutes
craintes religieuses, sachant me mettre au-dessus des lois, par ma discrétion
et par mes richesses, quelle puissance, divine ou humaine, pourrait donc
contraindre mes désirs ? Le passé m'encourage, le présent m'électrise, je
crains peu l'avenir ; j'espère donc que le reste de ma vie surpassera de
beaucoup encore tous les égarements de ma jeunesse. La nature n'a créé les
hommes que pour qu'ils s'amusent de tout sur la terre ; c'est sa plus
chère loi, ce sera toujours celle de mon cœur. Tant pis pour les victimes, il
en faut ; tout se détruirait dans l'univers, sans les lois profondes de
l'équilibre ; ce n'est que par des forfaits que la nature se maintient, et
reconquiert les droits que lui enlève la vertu. Nous lui obéissons donc en nous
livrant au mal ; notre résistance est le seul crime qu'elle ne doive
jamais nous pardonner.
Oh !
mes amis, convainquons-nous de ces principes : dans leur exercice se
trouvent toutes les sources du bonheur de l'homme. Allons, mes amis, réjouissons-nous,
je ne vois dans tout cela que la vertu de malheureuse : nous n'oserions
peut-être pas le dire, si c'était un roman que nous écrivissions.
- Pourquoi donc craindre de le publier, dit Juliette, quand la vérité même arrache les secrets de la nature, à quelque point qu'en frémissent les hommes ? La philosophie doit tout dire. »
- Pourquoi donc craindre de le publier, dit Juliette, quand la vérité même arrache les secrets de la nature, à quelque point qu'en frémissent les hommes ? La philosophie doit tout dire. »
Marquis de Sade (1740 - 1814) - Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice.
De quel
temps est Sade ? Du dix huitième siècle ? De la Révolution française, du
dix-neuvième siècle ? Lui le petit féodal victime d’une lettre de cachet
qui le jeta en prison, passera treize années de sa vie emprisonné ou à l’asile.
Chacun de
nous aurait pu, envisageant le contexte historique, faire dire à un des
ses personnages ; et pourquoi pas à Sade lui-même (et c’est notre propos) la
phrase de Mme de Lorsange :
« Le passé m’encourage » :
lui qui vécut la fin de sa destinée de petit noble en dilapidant sa fortune en
représentations théâtrales des pièces de Voltaire, Destouches….. Diderot. Lui
qui, soldat du roi, s’enfuit en Italie, par amour, avec sa jeune belle sœur et
qui va finir embastillé.
Lui qui
sortira de la Bastille un jour de 1789. Son passé ne pouvait que l’encourager à
faire face. Les leçons qu’il en tira le feront rentrer de plain pied dans le
présent au moment même ou la Grande Révolution allait renverser un vieux monde
ancien. L’histoire se fabriquait sous ses yeux au présent.
« Le
présent m'électrise » : et quel présent !, la
Bastille est abattue, le roi a la tête tranchée. Sade rentre au « comité
des Piques » (Vendôme). En Octobre 1793 il prononce le Discours aux
mânes de Marat et de Le Peletier lors de la cérémonie organisée en hommage
aux deux « martyrs de la liberté ».
Le 15
novembre, délégué à la Convention, il est chargé de rédiger et d'y lire, en
présence de Robespierre qui déteste l'athéisme et les mascarades
antireligieuses, une pétition sur l'abandon des « illusions religieuses » au nom de six sections :
« Législateurs, le règne de la philosophie
vient anéantir enfin celui de l'imposture (…) Envoyons la courtisane de Galilée
se reposer de la peine qu’elle eut de nous faire croire, pendant dix-huit
siècles, qu’une femme peut enfanter sans cesser d’être vierge ! Congédions
aussi tous ses acolytes ; ce n’est plus auprès du temple de la Raison que
nous pouvons révérer encore des Sulpice ou des Paul, des Magdeleine ou des
Catherine… ». Condamné à la guillotine quelques mois plus tard il en
réchappe et est incarcéré puis libéré peu après.
En moins
de 6 années comment ne pas être galvanisé par la participation à ces événements
révolutionnaires ?
« Je crains peu l'avenir » :
dès lors s’ouvre le troisième temps de Sade, celui dont après tout il n’a rien
à craindre. Lui qui a échappé à la mort, à la prison. Lui qui n’a jamais
cessé d’écrire. De quoi aurait-il donc peur ?
La société le
redoute. Ses écrits affolent. Pour qui a-t-il écrit pour que la société le
pourchasse ainsi ? Est-il châtié pour son « immoralité » ?
De quelle société parle t il ? Qui décrit-il ?
C’est décidé :
il est fou, on l’enferme à Charenton. Mais c’est trop peu, on l’envoie au fort
de Ham. En 1810, Sade a soixante-dix ans. Mais l’auteur de Justine fait
toujours peur aux autorités. Le nouveau ministre de l’Intérieur, le comte de
Montalivet, resserre la surveillance : « considérant
que le sieur de Sade est atteint de la plus dangereuse des folies ; que
ses communications avec les autres habitués de la maison offrent des dangers
incalculables ; que ses écrits ne sont pas moins insensés que ses paroles
et sa conduite, (…) il sera placé dans un local entièrement séparé, de manière
que toute communication lui soit interdite sous quelque prétexte que ce soit.
On aura le plus grand soin de lui interdire tout usage de crayons, d’encre, de
plumes et de papier. »
Il mourra en
1814.
EPILOGUE :
"Nous craignons…une prochaine révolution dans le royaume. Plus le
peuple s'étend, plus il est dangereux ; plus il s'éclaire, plus il est à
craindre : on n'asservit jamais que l'ignorance. Nous allons…supprimer d'abord
toutes ces écoles gratuites dont les leçons, se propageant avec rapidité, nous
donnent des peintres, des poètes et des philosophes où il ne doit y avoir que
des crocheteurs. Quel besoin tous ces gens-là ont-ils donc de talents, et
quelle nécessité y a-t-il de leur en donner ? Diminuons bien plutôt leur
nombre; la France a besoin d'une vigoureuse saignée, et ce sont les parties
honteuses qu'il faut attaquer. Pour parvenir à ce but, nous allons d'abord
vivement poursuivre la mendicité : telle est la classe où se trouvent presque
toujours les agitateurs. Nous démolissons les hôpitaux, les maisons de piété ;
nous ne voulons pas laisser au peuple un seul asile qui puisse le rendre
insolent. »
A.D. de
Sade - Histoire de Juliette ou les prospérités du vice - extrait.
« Si la leçon de Sade n'a
encore à ce jour été entendue que des profiteurs du crime, c'est aux victimes
qu'elle est destinée, sauf pour elles à consentir à faire les délices des
assassins; une telle œuvre possède, aujourd'hui comme hier, des vertus
intactes; elle offre, à qui veut l'entendre, tous les moyens de la rebellion"
C. Carle - La société du crime - 1996 - Editions de la passion.
C. Carle - La société du crime - 1996 - Editions de la passion.
« Oui, je suis libertin (NDLR : du latin « libertinus », était employé comme synonyme d'affranchi de la religion) je l'avoue ; j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais.
Je
suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel
ni un meurtrier, et puisqu'on
me force à placer mon apologie à côté de ma justification, je dirai donc qu'il
serait peut-être possible que ceux qui me condamnent aussi injustement que je
le suis ne fussent pas à même de contrebalancer leurs infamies par des bonnes
actions aussi avérées que celles que je peux opposer à mes erreurs. » Sade à sa femme – 20 février 1781
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