vendredi 15 janvier 2016

Sujet du Mercredi 20 Janvier 2016 : "Le passé m'encourage, le présent m'électrise, je crains peu l'avenir" Sade



      "Le passé m'encourage, le présent m'électrise, je crains peu l'avenir"  Sade

«  Mme de Lorsange : exempte de toutes craintes religieuses, sachant me mettre au-dessus des lois, par ma discrétion et par mes richesses, quelle puissance, divine ou humaine, pourrait donc contraindre mes désirs ? Le passé m'encourage, le présent m'électrise, je crains peu l'avenir ; j'espère donc que le reste de ma vie surpassera de beaucoup encore tous les égarements de ma jeunesse. La nature n'a créé les hommes que pour qu'ils s'amusent de tout sur la terre ; c'est sa plus chère loi, ce sera toujours celle de mon cœur. Tant pis pour les victimes, il en faut ; tout se détruirait dans l'univers, sans les lois profondes de l'équilibre ; ce n'est que par des forfaits que la nature se maintient, et reconquiert les droits que lui enlève la vertu. Nous lui obéissons donc en nous livrant au mal ; notre résistance est le seul crime qu'elle ne doive jamais nous pardonner.
Oh ! mes amis, convainquons-nous de ces principes : dans leur exercice se trouvent toutes les sources du bonheur de l'homme. Allons, mes amis, réjouissons-nous, je ne vois dans tout cela que la vertu de malheureuse : nous n'oserions peut-être pas le dire, si c'était un roman que nous écrivissions.
    - Pourquoi donc craindre de le publier, dit Juliette, quand la vérité même arrache les secrets de la nature, à quelque point qu'en frémissent les hommes ? La philosophie doit tout dire.
 »
Marquis de Sade (1740 - 1814)  -  Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice.

De quel temps est Sade ? Du dix huitième siècle ?  De la Révolution française, du dix-neuvième siècle ? Lui le petit féodal victime d’une lettre de cachet qui le jeta en prison, passera treize années de sa vie emprisonné ou à l’asile.
Chacun de nous aurait pu, envisageant le contexte historique, faire dire à un des ses personnages ; et pourquoi pas à Sade lui-même (et c’est notre propos) la phrase de Mme de Lorsange :

« Le passé m’encourage » : lui qui vécut la fin de sa destinée de petit noble en dilapidant sa fortune en représentations théâtrales des pièces de Voltaire, Destouches….. Diderot. Lui qui, soldat du roi, s’enfuit en Italie, par amour, avec sa jeune belle sœur et qui va finir embastillé.
Lui qui sortira de la Bastille un jour de 1789. Son passé ne pouvait que l’encourager à faire face. Les leçons qu’il en tira le feront rentrer de plain pied dans le présent au moment même ou la Grande Révolution allait renverser un vieux monde ancien. L’histoire se fabriquait sous ses yeux au présent.

 « Le présent m'électrise » : et quel présent !, la Bastille est abattue, le roi a la tête tranchée. Sade rentre au « comité des Piques » (Vendôme). En Octobre 1793 il prononce le Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier lors de la cérémonie organisée en hommage aux deux « martyrs de la liberté ».
Le 15 novembre, délégué à la Convention, il est chargé de rédiger et d'y lire, en présence de Robespierre qui déteste l'athéisme et les mascarades antireligieuses, une pétition sur l'abandon des « illusions religieuses » au nom de six sections :
« Législateurs, le règne de la philosophie vient anéantir enfin celui de l'imposture (…) Envoyons la courtisane de Galilée se reposer de la peine qu’elle eut de nous faire croire, pendant dix-huit siècles, qu’une femme peut enfanter sans cesser d’être vierge ! Congédions aussi tous ses acolytes ; ce n’est plus auprès du temple de la Raison que nous pouvons révérer encore des Sulpice ou des Paul, des Magdeleine ou des Catherine… ». Condamné à la guillotine quelques mois plus tard il en réchappe et est incarcéré puis libéré peu après.
En moins de 6 années comment ne pas être galvanisé par la participation à ces événements révolutionnaires ?

« Je crains peu l'avenir » : dès lors s’ouvre le troisième temps de Sade, celui dont après tout il n’a rien à craindre. Lui qui a échappé à la mort, à la prison. Lui qui n’a jamais cessé d’écrire. De quoi aurait-il donc peur ?
La société le redoute. Ses écrits affolent. Pour qui a-t-il écrit pour que la société le pourchasse ainsi ? Est-il châtié pour son « immoralité » ? De quelle société parle t il ? Qui décrit-il ?
C’est décidé : il est fou, on l’enferme à Charenton. Mais c’est trop peu, on l’envoie au fort de Ham. En 1810, Sade a soixante-dix ans. Mais l’auteur de Justine fait toujours peur aux autorités. Le nouveau ministre de l’Intérieur, le comte de Montalivet, resserre la surveillance : « considérant que le sieur de Sade est atteint de la plus dangereuse des folies ; que ses communications avec les autres habitués de la maison offrent des dangers incalculables ; que ses écrits ne sont pas moins insensés que ses paroles et sa conduite, (…) il sera placé dans un local entièrement séparé, de manière que toute communication lui soit interdite sous quelque prétexte que ce soit. On aura le plus grand soin de lui interdire tout usage de crayons, d’encre, de plumes et de papier. »
Il mourra en 1814.  

EPILOGUE :
"Nous craignons…une prochaine révolution dans le royaume. Plus le peuple s'étend, plus il est dangereux ; plus il s'éclaire, plus il est à craindre : on n'asservit jamais que l'ignorance. Nous allons…supprimer d'abord toutes ces écoles gratuites dont les leçons, se propageant avec rapidité, nous donnent des peintres, des poètes et des philosophes où il ne doit y avoir que des crocheteurs. Quel besoin tous ces gens-là ont-ils donc de talents, et quelle nécessité y a-t-il de leur en donner ? Diminuons bien plutôt leur nombre; la France a besoin d'une vigoureuse saignée, et ce sont les parties honteuses qu'il faut attaquer. Pour parvenir à ce but, nous allons d'abord vivement poursuivre la mendicité : telle est la classe où se trouvent presque toujours les agitateurs. Nous démolissons les hôpitaux, les maisons de piété ; nous ne voulons pas laisser au peuple un seul asile qui puisse le rendre insolent. »
A.D. de Sade - Histoire de Juliette ou les prospérités du vice - extrait.


« Si la leçon de Sade n'a encore à ce jour été entendue que des profiteurs du crime, c'est aux victimes qu'elle est destinée, sauf pour elles à consentir à faire les délices des assassins; une telle œuvre possède, aujourd'hui comme hier, des vertus intactes; elle offre, à qui veut l'entendre, tous les moyens de la rebellion"
C. Carle - La société du crime - 1996 - Editions de la passion.       

« Oui, je suis libertin   (NDLR : du latin « libertinus »,  était employé comme synonyme d'affranchi de la religion) je l'avoue ; j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais.
Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier, et puisqu'on me force à placer mon apologie à côté de ma justification, je dirai donc qu'il serait peut-être possible que ceux qui me condamnent aussi injustement que je le suis ne fussent pas à même de contrebalancer leurs infamies par des bonnes actions aussi avérées que celles que je peux opposer à mes erreurs. »  Sade à sa femme – 20 février 1781

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