L’humain a-t-il
vraiment conscience de la mort ?
« Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement »
écrivait La ROCHEFOUCAULD dans la maxime 26.
De fait, penser la mort
consisterait pour la conscience de soi que chacun est, à se placer dans un
rapport de transparence avec le non-être de cette conscience de soi. Or, il
m’est impossible de comprendre, au sein de ma certitude de vivre, ce que
signifie ne plus vivre, ne plus être. Dès que je veux penser la mort, je mets
quelque chose à la place du néant, ne serait-ce qu’un mot ; je m’éloigne d’elle
au moment où je veux m’en approcher. La mort ne peut donc pas être un objet de
pensée parce qu’elle est la négation de tout objet, l’absence, l’autre absolu.
Elle incarne l’altérité radicale, l’expérience qu’il n’est pas possible de
faire à la première personne puisqu’elle est la destruction de ce par quoi il
peut y avoir expérience.
Et pourtant, que la mort ne
puisse pas positivement se penser ne signifie pas que l’homme soit dans
l’ignorance de la mort. Au contraire, « la mort est l’honneur ontologique de
l’homme » (Romano GUARDINI), sa marque distinctive. L’homme est le seul animal
qui sait qu’il va mourir. Il existe et exister c’est expérimenter le mourir au
cœur de son existence, un mourir
irréductiblement sien. « Son
mourir, tout Dasein doit nécessairement, à chaque fois le prendre lui-même sur
soi. La mort, pour autant qu’elle “soit”, est à chaque fois essentiellement la
mienne » écrit HEIDEGGER, dans
« Etre et Temps ».
Il y a là, le principe d’un solipsisme existentiel. Dire que l’existant est en situation par rapport à la mort revient toujours à parler de sa propre mort. Le mourir n’est pas le “on meurt”, cette banalité du on, dans laquelle HEIDEGGER voit la forme la plus avérée de l’inauthenticité. La mort à la troisième personne, la mort des avis de décès, bref la banalité de l’événement anonyme affectant les autres, est ce qui masque le mourir, non ce qui le révèle. Il n’y a pas d’essence générale de la mort, pas plus qu’il n’y a d’essence générale de l’existence. Il y a une singularité et une unicité de l’expérience humaine absolument irréductibles.
Il y a là, le principe d’un solipsisme existentiel. Dire que l’existant est en situation par rapport à la mort revient toujours à parler de sa propre mort. Le mourir n’est pas le “on meurt”, cette banalité du on, dans laquelle HEIDEGGER voit la forme la plus avérée de l’inauthenticité. La mort à la troisième personne, la mort des avis de décès, bref la banalité de l’événement anonyme affectant les autres, est ce qui masque le mourir, non ce qui le révèle. Il n’y a pas d’essence générale de la mort, pas plus qu’il n’y a d’essence générale de l’existence. Il y a une singularité et une unicité de l’expérience humaine absolument irréductibles.
Ainsi l’homme ne sait pas ce
qu’est la mort mais il sait qu’il va mourir et c’est ce savoir qui le constitue
comme un être de pensée et de langage. L’être qui sait qu’il va mourir est
l’être qui pense. Il s’ensuit que la mort et la pensée sont liées par un
rapport interne. La « non-pensée » de la mort est la loi d’être de la
pensée tout court, ce qui la fait surgir comme une interrogation toujours à
recommencer et toujours mise en échec. L’anticipation du “jamais plus”, du
“nulle part” fonde la conscience du “maintenant” et de “l’ici”. Mais impossible
de dire ce que l’on sait lorsque l’on sait cela. C’est une sorte de “je ne sais
quoi” habitant l’homme sous la forme d’une angoisse fondamentale, une angoisse
lui collant à la peau et définissant sa manière d’exister. « Ce qui demeure pour la pensée une manière
convenable de réfléchir à la mort semble n’être rien d’autre que de penser
l’angoisse elle-même pour une pensée » écrit GADAMER dans « Langage et
vérité ».
L’angoisse est notre vécu le plus intime parce qu’il y a quelque chose d’inexplicable où s’enracine la vie. Impossible de constituer la mort comme un problème à résoudre. C’est un mystère à reconnaître. En toute rigueur, nul discours sur la mort n’est donc possible. « La mort est inexplicable, doit être le dernier mot à son sujet » selon KIERKEGAARD.
Ce qui seul peut être objet de discours est le rapport que l’être humain entretient avec sa mortalité. La seule manière conséquente de penser la mort revient ainsi à penser l’existence et à examiner les différentes manières dont l’homme vit son être pour la mort.
A l’impossibilité d’une ontologie
de la mort doit se substituer une phénoménologie de notre être-mortel.
PLATON établit que « philosopher c’est apprendre à mourir » à la vie selon l’ordre du temps pour vivre d’une vie spirituelle qui se sent hors du temps, extérieure à la dimension du périssable.
PLATON établit que « philosopher c’est apprendre à mourir » à la vie selon l’ordre du temps pour vivre d’une vie spirituelle qui se sent hors du temps, extérieure à la dimension du périssable.
SPINOZA pour sa part pense dans
« Éthique » que « L’homme libre
ne pense à rien moins qu’à la mort, et la sagesse est une méditation non de la
mort, mais de la vie »… « L’homme
libre, c’est-à-dire celui qui vit selon le seul commandement de la Raison,
n’est pas conduit par la crainte de la mort, mais désire le bien directement,
c’est-à-dire qu’il désire agir, vivre, conserver son être selon le principe
qu’il faut chercher l’utile qui nous est propre. Et par conséquent il ne pense
à rien moins qu’à la mort ; mais sa sagesse est une méditation de la vie »
EPICURE exhorte à La sagesse
comme affranchissement de la crainte de la mort et ataraxie.
KIERKEGAARD et CIORAN établissent
dans les textes suivants que la mort n’est pas une invitation à deviner des
énigmes mais doit être une exhortation au vivant afin qu’il mette à profit sa
part d’irréalité, non pour succomber au sentiment de l’absurde et au désespoir
mais pour stimuler la vie et monter jusqu’au soir en homme libre et
responsable.
Mais il faut citer tout d’abord
Blaise PASCAL de MONS : « Qu’on
s’imagine un nombre d’hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont
les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient
leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns
et les autres avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour. C’est
l’image de la condition des hommes ». « Le dernier acte est
sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste, on jette enfin de
la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ».
CIORAN, dans « La tentation
d’exister » écrit : « La
séduction de certains problèmes vient de leur défaut de rigueur, comme des
opinions discordantes qu’ils suscitent : autant de difficultés dont
s’entiche l’amateur d’Insoluble.
Pour me “documenter” sur la mort, je n’ai pas plus de profit à
consulter un traité de biologie que le catéchisme : pour autant qu’elle me
concerne, il m’est indifférent que j’y sois voué par suite du péché originel ou
de la déshydratation de mes cellules. Aucunement liée à notre niveau
intellectuel, elle est réservée, comme tout problème privé, à un savoir sans
connaissances, J’ai approché nombre d’illettrés qui en parlaient plus
pertinemment que tel métaphysicien ; ayant décelé par expérience l’agent de
leur destruction, ils y consacraient toutes leurs pensées, de sorte que la
mort, au lieu d’être pour eux un problème impersonnel, était leur réalité, leur
mort. Mais parmi ceux-là mêmes qui, illettrés ou non, y songent constamment, la
plupart ne le font qu’atterrés par la perspective de leur agonie, sans
s’apercevoir un moment que, dussent-Ils vivre des siècles, des millénaires, les
raisons de leur terreur ne changeraient en rien, l’agonie n’étant qu’un
accident dans le processus de notre anéantissement, processus coextensif à
notre durée. La vie, loin d’être, comme pensait Bichat, l’ensemble des
fonctions qui résistent .à la mort, est plutôt l’ensemble des fonctions qui
nous y entraînent, Notre substance diminue à chaque pas; cette diminution
pourtant, tous nos efforts devraient tendre à en faire un excitant, un principe
d’efficacité, Ceux qui ne savent tirer bénéfice de leurs possibilités de
non-être demeurent étrangers à eux- mêmes : des fantoches, des objets pourvus
d’un moi, endormis dans un temps neutre, ni durée ni éternité. Exister, c’est
mettre à profit notre part d’irréalité, c’est vibrer au contact du vide qui est
en nous. Le fantoche, lui, reste insensible au sien, l’abandonne, le laisse
dépérir… ».
Finissons en avec la mort… par un
texte de KIERKEGAARD, « Sur une tombe » : « [La mort] est inexplicable, doit être le dernier mot à son sujet. Son
caractère inexplicable est la limite, et l’importance du mot consiste
uniquement à donner à la pensée de la mort force rétroactive, à en faire le
stimulant de la vie, parce qu’avec la décision de la mort, c’est fini et que
l’incertitude de la mort vérifie à chaque instant. Ce caractère inexplicable
n’est donc pas une invitation à deviner des énigmes, à faire preuve
d’ingéniosité, mais la grave exhortation de la mort au vivant : je n’ai besoin
d’aucune explication; songes-tu qu’avec cette décision, c’est fini, et qu’elle
peut à tout moment être là voilà ce qu’il vaut pont toi la peine de méditer.
Peut-être mon cher auditeur, trouves-tu que ce discours t’apprend fort
peu de chose ; tu en sais peut-être beaucoup plus toi-même; cependant il n’aura
pas été vain si, touchant l’idée de la décision de la mort, il a été pour toi
l’occasion de te rappeler qu’un grand savoir n’est pas un bien absolu ».
Extrait de l’essai « La mort est impensable », écrit par Simone
MANON (2009).
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