La théorie doit-elle conduire à la
pratique ?
(Texte de Bastiat – 1862 – Sophismes économiques Tome IV - Extraits )
« Ainsi donc, Messieurs les Monopoleurs, vous prétendez que les faits sont pour vous; que nous n'avons de notre côté que des théories.
Vous vous flattez même que cette longue série d'actes publics, cette vieille expérience de l'Europe que vous invoquez, a paru imposante à M. Say; et je conviens qu'il ne vous a pas réfutés avec sa sagacité habituelle. — Pour moi, je ne vous cède pas le domaine des faits, car vous n'avez pour vous que des faits exceptionnels et contraints, et nous avons à leur opposer les faits universels, les actes libres et volontaires de tous les hommes.
Que disons-nous et que dites-vous?
— Nous disons:
« Il vaut mieux acheter à autrui ce qu'il en coûte plus cher de faire soi-même. »
Et vous, vous dites:
« Il vaut mieux faire les choses soi-même, encore qu'il en coûte moins cher de les acheter à autrui. »
(Texte de Bastiat – 1862 – Sophismes économiques Tome IV - Extraits )
« Ainsi donc, Messieurs les Monopoleurs, vous prétendez que les faits sont pour vous; que nous n'avons de notre côté que des théories.
Vous vous flattez même que cette longue série d'actes publics, cette vieille expérience de l'Europe que vous invoquez, a paru imposante à M. Say; et je conviens qu'il ne vous a pas réfutés avec sa sagacité habituelle. — Pour moi, je ne vous cède pas le domaine des faits, car vous n'avez pour vous que des faits exceptionnels et contraints, et nous avons à leur opposer les faits universels, les actes libres et volontaires de tous les hommes.
Que disons-nous et que dites-vous?
— Nous disons:
« Il vaut mieux acheter à autrui ce qu'il en coûte plus cher de faire soi-même. »
Et vous, vous dites:
« Il vaut mieux faire les choses soi-même, encore qu'il en coûte moins cher de les acheter à autrui. »
Or,
Messieurs, laissant de côté la théorie, la démonstration, le raisonnement,
toutes choses qui paraissent vous donner des nausées, quelle est celle de ces
deux assertions qui a pour elle la sanction de l'universelle pratique?
Visitez donc les champs, les ateliers, les usines, les magasins; regardez au-dessus, au-dessous et autour de vous; scrutez ce qui s'accomplit dans votre propre ménage; observez vos propres actes de tous les instants, et dites quel est le principe qui dirige ces laboureurs, ces ouvriers, ces entrepreneurs, ces marchands; dites quelle est votre pratique personnelle.
Visitez donc les champs, les ateliers, les usines, les magasins; regardez au-dessus, au-dessous et autour de vous; scrutez ce qui s'accomplit dans votre propre ménage; observez vos propres actes de tous les instants, et dites quel est le principe qui dirige ces laboureurs, ces ouvriers, ces entrepreneurs, ces marchands; dites quelle est votre pratique personnelle.
Est-ce que l'agriculteur fait ses habits? est-ce que le tailleur produit le grain qu'il consomme? est-ce que votre ménagère ne cesse pas de faire le pain à la maison aussitôt qu'elle trouve économie à l'acheter au boulanger? est-ce que vous quittez la plume pour la brosse, afin de ne pas payer tribut au décrotteur? est-ce que l'économie tout entière de la société ne repose pas sur la séparation des occupations, sur la division du travail, sur l'échange en un mot? et l'échange est-il autre chose que ce calcul qui nous fait, à tous tant que nous sommes, discontinuer la production directe, lorsque l'acquisition indirecte nous présente épargne de temps et de peine?
Vous n'êtes donc pas les hommes de
la pratique, puisque vous ne pourriez pas montrer un seul homme, sur
toute la surface du globe, qui agisse selon votre principe.
Mais,
direz-vous, nous n'avons jamais entendu faire de notre principe la règle des
relations individuelles. Nous comprenons bien que ce serait briser le lien
social, et forcer les hommes à vivre, comme les colimaçons, chacun dans sa
carapace. Nous nous bornons à prétendre qu'il domine de fait les
relations qui se sont établies entre les agglomérations de la famille humaine.
Eh bien, cette assertion est encore erronée. La famille, la commune, le canton, le département, la province, sont autant d'agglomérations qui toutes, sans aucune exception, rejettent pratiquement votre principe et n'y ont même jamais songé. Toutes se procurent par voie d'échange ce qu'il leur en coûterait plus de se procurer par voie de production. Autant en feraient les peuples, si vous ne l'empêchiez par la force.
C'est donc nous qui sommes les hommes de pratique et d'expérience; car, pour combattre l'interdit que vous avez mis exceptionnellement sur quelques échanges internationaux, nous nous fondons sur la pratique et l'expérience de tous les individus et de toutes les agglomérations d'individus dont les actes sont volontaires, et peuvent par conséquent être invoqués en témoignage. Mais vous, vous commencez par contraindre, par empêcher, et puis vous vous emparez d'actes forcés ou prohibés pour vous écrier: « Voyez, la pratique nous justifie! »
Vous vous
élevez contre notre théorie, et même contre la théorie en
général. Mais, quand vous posez un principe antagonique au nôtre, vous
êtes-vous imaginé, par hasard, que vous ne faisiez pas de la théorie?
Non, non, rayez cela de vos papiers. Vous faites de la théorie comme nous, mais
il y a entre la vôtre et la nôtre cette différence:
Notre théorie ne consiste qu'à
observer les faits universels, les sentiments universels, les calculs,
les procédés universels, et tout au plus à les classer, à les coordonner pour
les mieux comprendre.
Elle est si
peu opposée à la pratique qu'elle n'est autre chose que la pratique
expliquée. Nous regardons agir les hommes mus par l'instinct de la
conservation et du progrès, et ce qu'ils font librement, volontairement, c'est
cela même que nous appelons économie politique ou économie de la
société. Nous allons sans cesse répétant: Chaque homme est pratiquement
un excellent économiste, produisant ou échangeant selon qu'il y a plus
d'avantage à échanger ou à produire. Chacun, par l'expérience, s'élève à la
science, ou plutôt la science n'est que cette même expérience scrupuleusement
observée et méthodiquement exposée.
Mais vous, vous faites de la théorie dans le sens défavorable du mot. Vous imaginez, vous inventez des procédés qui ne sont sanctionnés par la pratique d'aucun homme vivant sous la voûte des cieux, et puis vous appelez à votre aide la contrainte et la prohibition. Il faut bien que vous ayez recours à la force, puisque, voulant que les hommes produisent ce qu'il leur est plus avantageux d'acheter, vous voulez qu'ils renoncent à un avantage, vous exigez d'eux qu'ils se conduisent d'après une doctrine qui implique contradiction, même dans ses termes.
Aussi, cette doctrine qui, vous en convenez, serait absurde dans les relations individuelles, je vous défie de l'étendre, même en spéculation, aux transactions entre familles, communes, départements ou provinces. De votre propre aveu, elle n'est applicable qu'aux relations internationales.
Et c'est
pourquoi vous êtes réduits à répéter chaque jour:
« Les
principes n'ont rien d'absolu. Ce qui est bien dans l'individu, la
famille, la commune, la province, est mal dans la nation. Ce qui est bon
en détail, — savoir: acheter plutôt que produire, quand l'achat est plus
avantageux que la production, — cela même est mauvais en masse;
l'économie politique des individus n'est pas celle des peuples, » et
autres balivernes ejusdem farinae.
Et tout
cela, pourquoi? Regardez-y de près. Pour nous prouver que nous, consommateurs,
nous sommes votre propriété! que nous vous appartenons en corps et en âme! que
vous avez sur nos estomacs et sur nos membres un droit exclusif! qu'il vous
appartient de nous nourrir et de nous vêtir à votre prix, quelles que soient
votre impéritie, votre rapacité ou l'infériorité de votre situation!
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