“On ne connaît personne sinon par
l’amitié ” Saint
Augustin
“Sois au moins mon ennemi!”—ainsi parle
le respect véritable, celui qui n'ose pas solliciter l'amitié. » Nietzsche
- Ainsi parlait Zarathoustra
« Parce que c’était lui, parce que c’était moi
» Montaigne
Il y a
d’abord un paradoxe dans cette citation de Saint Augustin à associer l’amitié à
la connaissance puisque l’amitié est un lien affectif et un état, alors
que la connaissance est une activité
intellectuelle. Comment et en quoi la sphère de l’affectivité, et plus
particulièrement ici de l’amitié, peut- elle apporter un type de connaissance,
de surcroît privilégié c’est à dire de
qualité supérieure de l’autre? Spontanément, on aurait plutôt tendance à croire
que l’amitié (comme l’amour) aveugle, rend complaisant envers ceux qu’on aime.
Le jugement y perd en objectivité. Peut-être qu’Aristote (384-322
av.J.-C.) nous apporte un élément de réponse : dans l’Ethique à
Nicomaque (Livre VIII, 1) il définit l’amitié (philia, en grec)
comme une « vertu », en même temps
qu’il estime qu’elle est "ce qu’il
y a de plus nécessaire pour vivre". Il en distingue cependant trois
espèces, selon que cette amitié se
fonde sur l’utilité, sur le
plaisir ou sur la vertu. L’amitié fondée sur la vertu représente, seule,
l’amitié authentique. Elle concerne peu de monde ; peu de gens
souhaitent en effet du bien à leurs amis «
pour l’amour de ces derniers ». Autrement dit, l’amitié pure, désintéressée, est rare. Cette amitié parfaite est
désignée par Kant (1724-1804) comme
simplement un « idéal de référence » : "L’amitié (considérée dans sa
perfection), est l’union de deux personnes par un amour et un respect égaux et
réciproques" (Doctrine de la vertu, §46). Mais Kant précise aussitôt qu’il
s’agit là d’« une simple Idée »,
c’est-à-dire d’un idéal. S’il est moralement nécessaire de concevoir cet idéal,
il reste néanmoins « irréalisable dans
quelque pratique que ce soit ». Kant suppose en effet
que l’amitié est rarement répartie, entre deux individus, de manière égale.
Toutefois,
la connaissance suppose une capacité d’ouverture, il faut accepter d’épouser
les formes singulières de ce qui est étudié ; cette plasticité requiert une
disponibilité de temps et d’énergie que seule la passion est capable de fournir. En ce sens, la
formule de saint Augustin se comprend : «
On ne connaît bien que ce qu’on aime ». Le souci de connaissance prend la
forme d’une « vocation dévote ». C’est peut-être à cette seule condition que
l’activité de connaissance évite la tentation de l’assimilation de l’inconnu au
connu et les autres réductions
falsifiantes. La sympathie est peut-être la voie de la véritable objectivité.
L’amitié
est à la fois prise en compte de la singularité individuelle de l’ami, (ses
goûts et dégoûts, sa façon propre de bouder comme d’être heureux) et sentiment
de notre affinité profonde, L’amitié naît de la révélation d’une parenté
fondamentale (qui n’est pas celle engendrée par la vie en famille et qui
fascine d’autant plus qu’elle lie intimement deux êtres qui sont d’abord des
inconnus). La découverte de l’ami est
donc aussi découverte de soi et
révélation de notre identité essentielle au-delà des gangues et pesanteurs des
inscriptions familiales et sociales.
L’amitié
ce n’est pas l’amour non plus. Dans la mesure où celui-ci implique la dimension
érotique, le trouble corporel, il en a l’intermittence et la versatilité. A l’amour
« feu téméraire et volage, ondoyant
et divers », Montaigne oppose la douceur et la solidité de l’amitié. « En l’amitié, c’est une chaleur
générale et universelle, tempérée au demeurant et égale, une chaleur constante
et rassise, toute douceur et polissure, qui n’a rien d’âpre et de
poignant ». L’amitié exclut la violence et les illusions de la passion
amoureuse, elle échappe aux échecs de l’amour qui, dans sa source érotique,
procède d’un fond obscur où la liberté n’est pas souveraine. Elle est une communion
librement consentie des âmes qui vit et perdure par la seule force des qualités
de ceux qui s’aiment. Comme Cicéron l’écrit : « Si l’amitié naît de l’estime qu’on éprouve pour la vertu, elle
ne peut survivre quant on cesse d’être vertueux ». Disons donc que
l’amitié est la forme spirituelle et éthique de l’éros.
Mais
si l’amitié est une forme instinctive de connaissance, sa profondeur est
l’envers de sa limite : Le semblable aime et comprend le semblable, mais le
différent (c’est dire tous les autres) lui reste irrémédiablement étranger. La
communauté des amis assurée de sa valeur par sa complicité méconnaît cruellement tout ce qui ne lui est pas
conforme. L’amitié envers les uns est un
écran et une source de préjugés envers
les autres. L’amitié est un rapport à
l’autre tissé d’illusions - des illusions que nous entretenons volontairement
pour ne pas devoir nous avouer notre
essentielle solitude. D’où l’exclamation paradoxale et désabusée que Kant prétend emprunter à Aristote : «
Mes chers amis, il n’y a pas
d‘amis ». Le titre de ce soir implique de réfléchir sur les rapports entre l’autre et l’activité
cognitive : Autrui est-il un objet de connaissance comme un autre ? Ou
est-il bien plus retors, car fondamentalement secret…L’amitié qui est une forme
de rapport qui lie un sujet à un autre de manière privilégiée, n’est-elle pas
un écran déformant supplémentaire entre moi et l’autre ?
Le Mercredi 4 Mars se tiendra la 1000ième rencontre du café philosophique de Montpellier. Le café philo s’est déroulé SANS INTERRUPTION toutes les semaines depuis 1997.
Le café philo de Montpellier est actuellement - de part sa pérennité - le plus ancien des café-philo de France et - on peut le dire - du monde (il y a environ 400 café-philo dans le monde.
MERCREDI 04 Mars
1000 Millième rencontre du café-philo (programme à venir)
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