dimanche 8 février 2015

Sujet du Merc. 11/02/2015 : « On ne connait personne sinon par l’amitié » St Augustin



“On ne connaît personne sinon par l’amitié ” Saint Augustin
“Sois au moins mon ennemi!”—ainsi parle le respect véritable, celui qui n'ose pas solliciter l'amitié. » Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra
«  Parce que c’était lui, parce que c’était moi » Montaigne
Il y a d’abord un paradoxe dans cette citation de Saint Augustin à associer l’amitié à la connaissance puisque l’amitié est un lien affectif et un état, alors que  la connaissance est une activité intellectuelle. Comment et en quoi la sphère de l’affectivité, et plus particulièrement ici de l’amitié, peut- elle apporter un type de connaissance, de surcroît privilégié c’est à dire  de qualité supérieure de l’autre? Spontanément, on aurait plutôt tendance à croire que l’amitié (comme l’amour) aveugle, rend complaisant envers ceux qu’on aime. Le jugement y  perd  en objectivité.  Peut-être qu’Aristote (384-322 av.J.-C.) nous apporte un élément de réponse : dans l’Ethique à Nicomaque (Livre VIII, 1) il définit l’amitié (philia, en grec) comme une « vertu », en même temps qu’il estime qu’elle est "ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre". Il en distingue cependant trois espèces, selon que cette amitié se fonde sur l’utilité, sur le plaisir ou sur la vertu. L’amitié fondée sur la vertu représente, seule, l’amitié authentique. Elle concerne peu de monde ; peu de gens souhaitent en effet du bien à leurs amis « pour l’amour de ces derniers ». Autrement dit, l’amitié pure, désintéressée, est rare. Cette amitié parfaite est désignée par  Kant (1724-1804) comme simplement un « idéal de référence » : "L’amitié (considérée dans sa perfection), est l’union de deux personnes par un amour et un respect égaux et réciproques"  (Doctrine de la vertu, §46). Mais Kant précise aussitôt qu’il s’agit là d’« une simple Idée », c’est-à-dire d’un idéal. S’il est moralement nécessaire de concevoir cet idéal, il reste néanmoins « irréalisable dans quelque pratique que ce soit ». Kant suppose en effet que l’amitié est rarement répartie, entre deux individus, de manière égale. 
Toutefois, la connaissance suppose une capacité d’ouverture, il faut accepter d’épouser les formes singulières de ce qui est étudié ; cette plasticité requiert une disponibilité de temps et d’énergie que seule la passion  est capable de fournir. En ce sens, la formule de saint Augustin se comprend : « On ne connaît bien que ce qu’on aime ». Le souci de connaissance prend la forme d’une  « vocation dévote ». C’est peut-être à cette seule condition que l’activité de connaissance évite la tentation de l’assimilation de l’inconnu au connu et  les autres réductions falsifiantes. La sympathie est peut-être la voie de  la véritable objectivité.

L’amitié est à la fois prise en compte de la singularité individuelle de l’ami, (ses goûts et dégoûts, sa façon propre de bouder comme d’être heureux) et sentiment de notre affinité profonde, L’amitié naît de la révélation d’une parenté fondamentale (qui n’est pas celle engendrée par la vie en famille et qui fascine d’autant plus qu’elle lie intimement deux êtres qui sont d’abord des inconnus). La découverte de l’ami est  donc aussi  découverte de soi et révélation de notre identité essentielle au-delà des gangues et pesanteurs des inscriptions familiales et sociales.
L’amitié ce n’est pas l’amour non plus. Dans la mesure où celui-ci implique la dimension érotique, le trouble corporel, il en a l’intermittence et la versatilité. A l’amour « feu téméraire et volage, ondoyant et divers », Montaigne oppose la douceur et la solidité de l’amitié. «  En l’amitié, c’est une chaleur générale et universelle, tempérée au demeurant et égale, une chaleur constante et rassise, toute douceur et polissure, qui n’a rien d’âpre et de poignant ». L’amitié exclut la violence et les illusions de la passion amoureuse, elle échappe aux échecs de l’amour qui, dans sa source érotique, procède d’un fond obscur où la liberté n’est pas souveraine. Elle est une communion librement consentie des âmes qui vit et perdure par la seule force des qualités de ceux qui s’aiment. Comme Cicéron l’écrit : « Si l’amitié naît de l’estime qu’on éprouve pour la vertu, elle ne peut survivre quant on cesse d’être vertueux ». Disons donc que l’amitié est la forme spirituelle et éthique de l’éros.

Mais si l’amitié est une forme instinctive de connaissance, sa profondeur est l’envers de sa limite : Le semblable aime et comprend le semblable, mais le différent (c’est dire tous les autres) lui reste irrémédiablement étranger. La communauté des amis assurée de sa valeur par sa complicité méconnaît  cruellement tout ce qui ne lui est pas conforme. L’amitié envers les uns est  un écran et une source de préjugés  envers les autres.   L’amitié est un rapport à l’autre tissé d’illusions - des illusions que nous entretenons volontairement pour ne pas devoir  nous avouer notre essentielle solitude. D’où l’exclamation paradoxale et désabusée  que Kant prétend emprunter à Aristote : «  Mes chers  amis, il n’y a pas d‘amis ». Le titre de ce soir implique de réfléchir sur  les rapports entre l’autre et l’activité cognitive : Autrui est-il un objet de connaissance comme un autre ? Ou est-il bien plus retors, car fondamentalement secret…L’amitié qui est une forme de rapport qui lie un sujet à un autre de manière privilégiée, n’est-elle pas un écran déformant supplémentaire entre moi et l’autre ?

Amicalement vôtre      



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Le café philo de Montpellier est actuellement - de part sa pérennité - le plus ancien des café-philo de France et - on peut le dire - du monde (il y a environ 400 café-philo dans le monde.


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