samedi 30 novembre 2024

Sujet du Merc. 04 décembre 2024 : LA NATURE DE L’ARGENT

 

                LA NATURE DE L’ARGENT

 

L’argent est un moyen d’échange permettant la représentation des rapports humains. Pour cerner sa nature suffit-il de réunir des faits archéologiques sur des monnaies aujourd’hui disparues ? Ou faut-il, par contraste, savoir comment depuis des siècles l’argent aliène tout ce que nous faisons et produisons en nous réalisant comme êtres humains ? Et ne faut-il pas savoir comment l’argent nous exploite tout en aliénant notre qualité d’hommes ? Pour sûr il ne tombe pas du ciel. Mais n’est-il pas créé, à leur strict profit, par une poignée de puissants (eux aussi, comme nous, aliénés par lui) au prix de l’exploitation de tous ?

 Peut-on imaginer l’ampleur de cette aliénation ? L’argent est créé et géré sous forme de crédits-dettes, certes dus à des entités privées mais adossés à l’ensemble des richesses humaines et sociales (« Il n’y a de richesse que d’hommes », Jean Bodin, philosophe de la Renaissance). Ces entités privées pratiquent un vol universel légal, d’ampleur ultime, mais illégitime. En outre, ce crime de faux-monnayage généralisé au monde entier ne se poursuit-il pas par l’imposition d’intérêts sur ce vol (!), à verser aux arnaqueurs ? De ce fait ces intérêts constituent la dette d’un argent qui n’est pas encore créé. Oui, mais il sera créé par la nécessité de l’emprunter aux mêmes, qui l’adosseront à la promesse de la production future par le travail salarié asservi qui engendrera l’argent nécessaire au remboursement du capital emprunté et des intérêts indus des crédits-dettes. C’est la création privée de l’argent-dette sans limite et à partir de rien, sauf du prétendu « minerai humain ». Telle est la nature de l’argent des cinq derniers siècles. C’est très fort ; et génial.

 

C’est comme si on capturait l’humanité au bord d’une route et qu’on la forçait à travailler, tout en lui faisant payer, en sus, le prix de son travail. Il s’agit du prélèvement subreptice et occulte ad libitum de notre substance et, tendanciellement, de l’intégralité de nos forces vitales, nos vies. L’immensité des souffrances, atrocités, carnages constatés par centaines de millions (au moins 20 millions de morts de faim annuels, sans compter ceux d’innombrables guerres) est le crime perpétré à grande échelle partout et tout le temps dans le monde, dans une quiétude générale (semble-t-il due à cette aliénation).

 

Cette monnaie de « progrès » en tous genres, mais aussi de mort et de destruction, est à l’opposé des « monnaies humaines et sociales ». Celles-ci avaient perduré pendant la majorité de l’existence de Sapiens jusqu’à l’émergence de l’agriculture il y a environ onze mille ans. Ces monnaies ont subsisté de manière résiduelle jusqu’à il y a un demi-siècle pour finir par être détruites par l’incursion de l’argent-dette capitaliste. Elles ne servaient nullement à l’aliénation et à l’exploitation des populations, pas plus qu’au commerce. Au contraire, elles représentaient les obligations fondamentales que se donnent les hommes en société, qui s’édifient mutuellement dès leur naissance par leurs activités exercées en commun. En effet « L’homme est un animal politique (social) », Aristote. Ces monnaies visaient essentiellement les obligations reconnaissant « la richesse de la fiancée » (procréation et soins de vie) et tentaient de compenser au mieux l’oblitération volontaire ou pas, partielle ou totale de vies humaines, qui ont une dignité sans prix (Kant).

 

Pour passer des « monnaies humaines (plumes de paradisiers, coquillages, barres de laiton, d’or ou d’argent...) à d’autres monnaies par perversion radicale des premières, il a fallu des actes d’une grande violence comme le rapt ou la razzia de groupes voisins, la capture forcée d’une « fiancée » ou d’hommes réduits en esclaves, en choses. C’est la réification d’humains qui, dès lors, ne valent plus que leur prix marchand, exprimé en monnaie déshumanisante devenue commerciale et ayant perdu toute dignité humaine (Kant). Cette violence du capital-stock alimentaire n’a-t-elle pas conduit à l’émergence de la guerre ?

 

La monnaie est ainsi devenue la propriété privée des puissants. Ceux-ci, réunis en entités idoines (temples, palais, banques), la créent et la gèrent en manipulant et en exploitant le commun des mortels, rendu « ignorant des causes qui le déterminent » (Spinoza) par une profonde manipulation psychologique et mentale. Ce dispositif a asservi les hommes, sans qu’étrangement ils ne se soulèvent. Peut-être à cause de leur déshumanisation ?

  Pour juger de la monnaie en connaissance de cause (Spinoza), voici un extrait probant des Manuscrits de 1844 du philosophe K. Marx :

 

« L’argent en possédant la qualité de tout acheter, en possédant la qualité de s’approprier tous les objets est donc l’objet comme possession éminente. L’universalité de sa qualité est la toute-puissance de son essence. Il passe donc pour tout-puissant… L’argent est l’entremetteur entre le besoin et l’objet, entre la vie et le moyen de subsistance de l’homme. Mais ce qui sert de médiateur à ma vie sert aussi de médiateur à l’existence des autres hommes pour moi. Pour moi, l’argent, c’est l’autre homme…

 

Ce qui, grâce à l’argent, est pour moi ce que je peux payer, c’est-à-dire ce que l’argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l’argent. Ma force est tout aussi grande qu’est la force de l’argent. Les qualités de l’argent sont mes qualités et mes forces essentielles – à moi son possesseur. Ce que je suis et ce que je peux n’est donc nullement déterminé par mon individualité. Je suis laid, mais je peux m’acheter la plus belle femme. Donc je ne suis pas laid, car l’effet de la laideur, sa force repoussante, est annulé par l’argent. De par mon individualité, je suis perclus, mais l’argent me procure vingt-quatre jambes. Je ne suis donc pas perclus… L’argent est le bien suprême, donc son possesseur est bon. Moi qui par l’argent peux tout ce à quoi aspire un coeur humain, ne suis-je pas en possession de tous les pouvoirs humains ? Donc mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ? …

 

Si l’argent est le lien qui me lie à la vie humaine, à la société, à la nature, à l’homme, l’argent n’est-il pas le lien de tous les liens ? Ne peut-il pas dénouer et nouer tous les liens ? N’est-il pas aussi de ce fait le moyen universel de séparation ? Il est la vraie monnaie divisionnaire, tout comme le vrai moyen d’union, la force chimique universelle de la société.

 

La perversion et la confusion de toutes les qualités humaines et naturelles, la fraternisation des impossibilités – la force divine – de l’argent sont impliquées dans son essence en tant qu’essence générique aliénée, aliénante et s’aliénant, des hommes. Il est la puissance aliénée de l’humanité. ».

 

On voit que la puissance de l’argent-dette nous permet de comprendre le processus du travail aliéné comme comparable à la métaphysique. Tous deux participent de logiques qui récusent les différences et l’objectivité et d’universalités qui se donnent comme principe antérieur à toutes les contradictions. Et particulièrement à la première d’entre elles, l’opposition entre le sujet et l’objet. Cette puissance de l’argent induit une relation au monde qui nie l’histoire effective et la nature, en les faisant sortir du cercle de la conscience.

 

Il faut cependant saisir ce qui, dans l’analyse marxienne de la puissance aliénée de l’argent, reste idéaliste. Marx y parle encore de l’argent et non du capital. Dans son analyse de 1844 l’argent pouvait encore être saisi comme un processus en soi à part entière. Mais pas encore comme un produit des rapports de production aliénés. Dans les Manuscrits l’argent apparaît comme un phénomène qui a son autonomie. Alors que l’argent n’est que l’instrument du capitalisme, qui lui est le mode universel de l’exploitation.

 

Pourtant les Manuscrits gravitent plutôt autour du concept d’aliénation que de celui d’exploitation. Or ces deux rapports sociaux ne sont pas de même nature. L’aliénation est une aliénation universelle de l’humanité, même chez le capitaliste parce qu’il possède l’argent. Avec le concept d’exploitation, l’unité – fût-elle générique – de l’humanité disparaît de l’esprit de Marx. Or l’exploitation est une réalité de la production des hommes, pas de l‘échange, propre à l’argent. L’opposition, propre à l’exploitation, est inconciliable entre le travailleur producteur et le capitaliste détenteur du capital et possesseur des moyens de production. Cette opposition fait que seul le prolétariat porte en lui l’avenir de l’humanité parce qu’il est le seul à produire, et que l’exploitation dépend de la production. Par contraste, l’échange, lui, dépend du commerce des biens produits, qui se fait par l’argent.

 

Mais l’échange aliéné implique la non-équivalence des produits échangés et fait finalement apparaître le vol (aliénation) comme le résultat des opérations de circulation de l’argent. Le concept d’exploitation naît, lui, sur le sol de la production. L’aliénation n’est donc pas l’exploitation parce que le travail, tel qu’il est analysé dans les Manuscrits, n’est pas une catégorie philosophique historique. La catégorie du travail aliéné, poussée jusqu’au bout de sa logique, a néanmoins finalement permis à Marx de développer une théorie du travail en se passant de son approche idéaliste, spéculative pour devenir pleinement matérialiste.

  Mais voici, pour notre gouverne, comment fonctionne cet argent-dette capitaliste qui dirige le monde par l’usage caché, subtil d’un algorithme d’une grande simplicité, manipulé à leur guise par les grands Etats, et les grandes banques et entreprises privées, réunis au sein de la Banque des Règlements Internationaux, sise dans la bonne ville de Bâle en Suisse :

                                       K  =   1  /  [ X  +  Z ( 1 –  X)  ]

K :  coefficient multiplicateur de création monétaire par les banques privées.

 

X  :  Coefficient de préférence de la population pour les pièces et les billets. C’est l’effet « notre amie la Carte Bleue » (propriété privée de banquiers), de préférence « sans contact ». « Moi, individu-roi, j’ai mon libre-arbitre. Je suis surpuissant. Cool, chill off ! »

 

Z   :  Coefficient de Réserve Obligataire de monnaie en fonds propres que doivent détenir les banques privées auprès des Banques Centrales (dites nationales ou publiques pour mieux occulter leur vraie nature, sous main-mise privée). C’est à cette Réserve que s’adossent les banquiers pour générer l’argent de dette à profusion. Celui-ci est, en sus, encore surmultiplié par l’application d’un taux d’intérêt annuel illégitime aux « vertus » délétères rarement soupçonnées, en lieu et place d’une juste somme forfaitaire minimale pour prêt d’argent. Par ce génial subterfuge, l’arnaque légale (d’État !) conçue par les puissants devient totale.

 

°  Si, comme nous y incitent les trois super-larrons de Bâle par le tout digital, l’usage des billets disparaît par notre coupable inconscience à user de l’argent digital ( X = 0 ) , alors K devient 1 / Z  et la création privée capitaliste de l’argent croîtrait divinement comme pains et poissons christiques. Cela se fait par un taux forfaitaire actuel de 1,25 % par transaction, totalement absent dans le cas des billets. Les banquiers s’assurent des profits mirobolants.

°  Et si, en outre, par la financiarisation occulte accélérée de « titres pourris » (subprimes ou autres) de valeur presque nulle, Z tendait vers Zéro, alors K serait proche de 1 / 0  ou l’infini. Cela signifierait que les banquiers créeraient l’argent presque à l’infini. La concentration de l’argent (définition du capitalisme) chez quelques grands banquiers serait telle qu’ils s’approprieraient la Terre entière et les hommes, qui en seraient privés et plongés dans l’esclavage, la misère et, in fine, la mort. Cela ne serait pas dans l’intérêt bien compris des banquiers et des puissants. Non, ils veillent à minutieusement doser la chose.

Outre cela, les propriétaires du capital-argent déterminent la destination de leur création monétaire ad libitum puisqu’elle apparaît par les crédits-prêts qu’ils n’accordent, à leur gré et conditions, qu’aux emprunteurs de leur choix. Cette pratique prend un nouvel essor par le Système de Crédit Social chinois et les Systèmes de Crédit Bancaire nord-américains, promesse d’une appropriation ultime du genre humain.

°  Si, en outre, l’État, qui vit de nos impôts, s’endette sans relâche, que se passe-t-il ? Il se rend et nous avec, pieds et poings liés pour des générations, dépendants et esclaves de banquiers et de fonds d’investissement étrangers privés, à leur profit et majoritairement à notre détriment. Et cela par un argent qui, éthiquement, ne leur appartient pas puisqu’il est adossé à « notre richesse d’hommes » (Jean Bodin), nos activités et notre « travail de production générique » (Marx). Surtout que s’y ajoutent en outre, crime ultime, les intérêts légitimement indus et arnaqueurs qui exténuent le vulgum pecus des « sans-dents », qualificatif cynique dont les exploiteurs affublent la quasi totalité de l’humanité.

 

Comme il a été démontré ci-avant, ce système métaphysique et absolu de la propriété privée des moyens de production et d’échange aliène et exploite les hommes et la nature. Dès lors ne serait-il pas dérisoire de prétendre à un pur libre-arbitre tout aussi métaphysique qu’inopérant, alors que notre connaissance de la nature de l’argent-dette prouve le faible degré de liberté effective (Spinoza) qu’il faut assumer avec courage. A charge pour les hommes de renverser la vapeur sociale et politique (Aristote), à grande échelle.

 

Henri Ford, suppôt des Nazis, déclarait : « Si les gens savaient comment se crée l’argent, il y aurait une révolution avant demain matin. ». Et Josiah Stamp, gouverneur de la Banque d’Angleterre, ne s’y trompait pas : « Si vous désirez être les esclaves des banques et payer pour financer votre propre esclavage, alors laissez les banquiers créer l’argent. ». Il incitait à agir. Ensemble. C’est notre seule liberté (Spinoza).

vendredi 22 novembre 2024

Sujet du Mercredi 27 Novembre 2024 : Le problème SPINOZA.

 

Le problème Spinoza.

« Nous nous croyons libres parce que nous ignorons les causes qui nous déterminent »

Cette phrase est très puissante car elle raisonne comme une vérité indescriptible en chacun de nous. Nous avons tous conscience que souvent nos décisions sont le résultat d’influences diverses, familiales, professionnelles, culturelles ou religieuses.

Pire nous subissons tous des contraintes de pressions sociales que nous ne maitrisons pas et que nous subissons.

En gros, la société, l’interaction des individus (entre eux) créent des déterminismes.

Ça c’est la réalité.

Mais Spinoza ne nous aide pas vraiment quand il se contente de réduire le problème à des arguments quasiment psychologiques :

1)     Les passions tristes

2)     L’impossibilité de dépasser nos désirs

3)     L’Homme n’est pas un empire dans un empire (pour moi cela ne veut rien dire, je prétends être plus intelligent qu’une fourmi)

Et donc très, très peu de gens accèdent au libre arbitre d’après Spinoza.

Lors d’entretiens pour approfondir la pensée du philosophe (au bout de 4 ans), je découvre une argumentation sur les acquis qui vont profiter et participer inconsciemment aux décisions des individus :

« La puissance de l’homme s’exerce au travers du fait qu’il est la seule espèce capable de dépasser (Aufhebung dans la philosophie allemande classique Kant, Hegel), de surmonter les contingences qui freinent toutes les autres espèces. Quand un besoin apparait, il est capable de trouver une solution. C’est là que s’exerce sa liberté.

Le déterminisme, l’homme y échappe par les connaissances accumulées par toutes les générations qui nous ont précédés, par toutes les créations qu’il a su mettre en place à la différence des grenouilles et des moutons et j’en passe."

Ainsi l’homme est libre mais rarement conscient de l’origine de sa liberté et de la puissance de celle-ci. »

Le déterminisme serait contraint seulement par l’ignorance de nos acquis sur les connaissances accumulées.
Bizarrement nos choix, nos décisions et nos opportunités sont le résultat de « connaissances accumulées par toutes les générations précédentes » et totalement indifférent du droit et de la justice des Etats qui pourtant décident de tolérer ou pas comment s’exerce notre liberté d’action ?

C’est une théorie pour le moins surprenante puisqu’elle ignore complètement les travaux d’Auguste Comte et d’Emile Durkheim (agrégé de philosophie 1882) et voici ce que nous apporte cette discipline qu’est la sociologie : 

Les faits sociaux sont extérieurs à l'individu et doivent être expliqués « par les modifications du milieu social interne et non pas à partir des états de la conscience individuelle » afin de ne pas confondre les faits sociaux avec d'autres variables telles que la psychologie du sujet, son contexte familial, culturel, etc., ces faits sociaux existent sans que nous ayons nécessairement conscience ni de leur existence ni de leur autonomie. 

En effet, un fait social peut être indépendant de l'individu, les faits sociaux existent indépendamment de leurs manifestations individuelles. Le fait social s'impose à l'individu, qu'il le veuille ou non, et non le contraire. Il correspond à un système de normes établies pour et par la société et n'est que rarement modifiable autrement que par un bouleversement social ; l'homme acquiert nombre d'entre elles dès le début de son éducation et tend à en intérioriser une grande partie. 

L'éducation détient le rôle d'institution socialisante par excellence, elle fait de l'enfant un être social. Puisque présent dès l'enfance, le caractère contraignant des faits sociaux se fait moins évident et devient une habitude : c'est le principe même de la socialisation.

Voilà cette science humaine correspond au phénomène et à l’impression que j’ai décrit au début de mon texte. Elle est abondamment sollicitée dans les analyses politiques ou sociétales pour dénoncer et condamner tout un tas de systèmes de dominations et de pouvoir qui restreignent nos libertés.

C’est également au nom de discrimination ou de déterminisme de la société que des progressistes vont mettre en cause la société et développer la politique de l’excuse où suite à un fait divers on peut renverser la responsabilité. Le délinquant n’est pas responsable mais au contraire une victime de la société.

Il ne me viendrait pas à l’idée de dire à une féministe qui dénonce une société patriarcale qu’elle se trompe et qu’elle doit lire Spinoza, pour atteindre l’ataraxie …. !

Dernier argument, Spinoza dénonce autre chose, très bien alors Spinoza encule les mouches et on s’en fout.

Depuis quatre ans je me suis évertué à vous trouver des exemples de libres arbitres où la logique de Spinoza ne collait absolument pas.

Le criminel, l’avortement, la création d’entreprise, les investissements d’entreprise, Nokia qui a changé deux fois d’activité, le film « le grand soir » avec Benoit Poelvoorde…..

Devant toutes ces expériences difficiles d’engagements, de responsabilité et de décisions on peut voir par quelles étapes les individus existent, travaillent, se cultivent et se distraient.

L’idée que le libre arbitre est une invention chrétienne est très intéressante car d’un seul coup on est d’accord sur ce que recouvre le libre arbitre des chrétiens qui bizarrement ne correspond plus à celle de Spinoza ???

Vous êtes piégés les progressistes hi hi hi !!

Notre liberté et notre libre arbitre sont entièrement définis par la puissance publique et exercés par la loi, la justice, et la prison. Spinoza veut nous éblouir avec la joie, la béatitude et l’ataraxie en ignorant à la fois l’interaction de la société et la volonté de la puissance publique d’interdire ou d’influencer nos comportements, c’est très fort.

samedi 16 novembre 2024

Sujet du Merc. 20 Nov. 2024 : L'HOMME-MACHINE.

L'HOMME-MACHINE.

Pourquoi être humain ? Pourquoi défendre avec tant de ferveur l’art ou la curiosité scientifique ? Et ne pas succomber, en cette communauté du confort automatique, à la fatalité du mécanisme ? Sans doute parce que, le cas échéant, nous ne pourrions plus nous poser de telles questions. S’interroger, c’est déjà chercher (quaestio, quaerere), c’est-à-dire ne pas se contenter de ce que l’on sait, ou de ce que l’on est. Or, cette démarche s’inscrit dans une tragédie de progrès, mécontentement interminable, fatum duquel on participe. Quand c’est précisément le progrès qui, en corollaire de ses recherches cognitives ou industrielles, a transformé l’homme, ou plutôt, le produit de l’homme en une fraction de ce qui lui est nécessaire pour se savoir exister dans le monde, comment s’extraire de cette contradiction ?

             On ne trouvera pas dans le cartésianisme toutes les causes de nos maux. Cependant, si Descartes, dans le Discours de la Méthode, exhorte au scepticisme, opposant à cette procédure l’insouciance de l’animal (l’animal-machine), il n’est pas exempt de critiques quant à ses conclusions solipsistes. Cogito, sum n’est l’évidence que de son contraire, puisque l’existence de son auteur a précisément nécessité d’élaborer une philosophie, une méthode et surtout de la faire paraître, véritable accomplissement qui, lui, est à même d’alimenter la substance pensante.

            L’œuvre de Hegel, et en particulier son Cours d’esthétique, va dans le sens d’une existence double, à la fois en soi (telles les choses) et pour soi ; cette dernière conscience active de lui-même, il la décompose en deux volets interdépendants, le premier se rapprochant de la contemplation cartésienne par une manière théorique de représentation de soi, le second, indissociable, impliquant que l’homme devienne pour soi par la pratique, en transformant le monde, en y « apposant le sceau de son intériorité », de sorte qu’il y trouve ensuite « ses propres déterminations ».

               L’interprétation marxiste des conséquences d’un tel phénomène existentiel (car c’est bien de cela dont il s’agit) a révélé une déshumanisation latente du fait contextuel, c’est-à-dire, de la façon dont fonctionne la société. C’est un renversement complet du platonisme, dans lequel la société nuit à la créativité artisanale de l’homme : il devient dépendant d’une productivité aliénée, qui ne doit plus rien à ses propres capacités, et, à défaut d’exercer un talent dans lequel il puisse se savoir exister, il entre dans une nécessité d’oublier même son existence par le divertissement dépossédant (divertir c’est proprement distraire la pensée).

            On se retrouve alors entre un scepticisme solipsiste et une conscience déshumanisée, autrement dit, soit l’on ne cesse de douter, ne pouvant être assuré de son existence sans l’éprouver dans le monde, soit l’on s’efforce de se savoir exister, mais l’on se contraint de cesser de douter ; et, par voie de radicalisation, l’on sert une société comme une abeille sa ruche, comme une cellule un individu.

            Cette conciliation problématique de l’individu et de la société en rapport à son libre-arbitre est abordée historiquement de façon originale par saint Thomas More, dans Utopia (1515), puis plus tard par le philosophe italien Tommaso Campanella, avec un ouvrage intitulé La cité du soleil (vers 1602). L’utopie se permet de raisonner par « simulation », par idéalisme, ne résolvant pas pour autant les achoppements de la société de son auteur, mais illustrant (souvent très prosaïquement) quels pourraient être les rouages d’une communauté humaine harmonieuse. Elle a une place forte dans la critique par la métaphore, et l’Eldorado voltairien en est un probant exemple. La science, on notera, est bien souvent absente de telles conceptions ; l’évolution de l’application technologique, via le progrès, est incompatible avec la stabilité et l’équilibre utopique des désirs de tous.

            A bien y regarder, bien qu’elles promeuvent généralement l’exercice de l’art, du discours voire du naturalisme, les utopies représentent l’exploit de maintenir un ensemble d’individus se contentant de ce qu’ils savent et de ce qu’ils possèdent tout en demeurant profondément humains, voire humanistes (d’où la période d’émergence de ce genre). L’accaparement « réaliste » de l’utopie a enfanté la dystopie, orientation dominante de la science-fiction moderne, c’est-à-dire depuis les révolutions industrielles et le matérialisme historique marxiste.           
La dystopie consiste généralement à placer au sein de ce qui se voudrait une utopie un protagoniste qui puisse se défaire de l’illusion d’un monde parfait, véritable emprise, rappelant pour beaucoup une maïeutique. Romans ou œuvres cinématographiques (Le meilleur des mondes, Aldous Huxley ; 1984, George Orwell ; THX ; Blade Runner, etc.) installent sciemment un décor futuriste, adapté au genre, élément à la fois de distanciation d’avec notre propre monde (quoique l’œuvre en général en fait comprendre à mesure de l’argument toute la similitude) et de symbolisme du progrès. Il y règne une désacralisation de toutes valeurs morales, pour ne conserver qu’une éthique purement artificielle et utilitariste. Stanley Kubrick, au travers du 2001, Odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke, fait la synthèse des préoccupations existentialistes relatives à l’utopie et à la dystopie, passant de questionnements sociaux à individuels, sous couvert de la notion de temps relativisé par la physique, tout autant qu’elle l’est par l’individu. Ces questionnements sont un retour à l’humanité, après que HAL, machine, se soit avilie, et soit donc devenue homme, l’inhumain étant proprement humain. Ce procédé apagogique a été largement repris, se retrouvant même dans le divertissement confondant que la dystopie dénonce pourtant, en des films comme Terminator, où le protagoniste même est une machine. Une machine qui s’humanise. Est-ce lui, réinventé, le surhomme nietzschéen ?

Et la philosophie contemporaine de s’emparer de la fatalité d’une cybernétisation accomplie, comme avec The cyborg manifesto, de Donna Haraway. En dehors des perspectives féministes, le cyborg serait l’homme sachant conjuguer identité et communauté, solipsisme et conscience éprouvée. Ainsi, l’homme n’aurait pas d’avenir, seul le cyborg. Encore, l’homme n’existe déjà guère plus, déjà remplacé par ce cyborg, que Danna Haraway se plaît à féminiser. L’homme sacrifierait-il quelque chose en devenant cyborg, ou est-ce une synthèse ? Et comment la théorie du cyborg se vérifie-t-elle ?

Il y a la machine conceptuelle, l’automate, le processus figé ou perpétuel, et il y a la machine concrétisée, le robot, le lave-linge, le téléphone ; l’exacerbation de l’outil, remplaçant peu à peu l’activité de l’homme, qui a servi de support à l’avènement d’une critique beaucoup plus ancienne. L’animal-machine, c’est peut-être une fatalité douce de l’innocence, tandis que l’homme-machine, c’est peut-être une interminable lutte interne de la conscience, la contradiction de l’animal raisonnable. Mais c’est aussi un individu communautaire, un citoyen de la société de morale débonnaire, c’est aussi un cobaye de la société hygiénique, celle de l’uniformisation des pensées, des actes et, même, de l’alimentation. De la communication croissante, de la compréhension décroissante. C’est un funambule sur une corde tendue, préoccupé de sa chute plutôt que de son envol. Car l’enjeu, c’est bien celui de la ligne droite. La machine traite le moyen pour accéder à la finalité, sans détour. L’homme, c’est celui qui y parvient par des circonvolutions. L’unicité de l’œuvre d’art, la recette de l’artisan, la théorie scientifique, la rhétorique du philosophe sont autant d’aspects de contingences qui entrent dans le fondement conceptuel de l’humanité. Et ceux qui opposent la nature à la machine, c’est qu’ils contemplent bien la perfection anatomique, par exemple, du guépard, tout comme l’unicité de chacune de ses attaques, qu’ils peuvent trouver cela beau, comme on se contemple soi-même répéter des mêmes gestes, qui s’avèrent différents dans leur détail.

Et pourtant, en effet, la motivation et le moyen qui sous-tendent l’acte de l’animal tiennent de la nécessité, pas chez l’homme. L’humanité n’est pas de contingence (ce qui est aliénation), mais de sa coexistence avec la nécessité, dont la solution se trouve constamment dans l’œuvre, d’où l’importance de se battre en faveur de toute créativité.

 

lundi 11 novembre 2024

Sujet du Merc. 13 Novembre 2024 : "Déjà le titre est crétin" P.P. Pasolini

 

« Déjà le titre est crétin » Pasolini 

En 1972 Pier Paolo Pasolini, cinéaste italien, découvre une émission de télévision : le titre en est :
« Canzonissima ». Il s’agit d’une sorte de « star academy » avant l’heure ; ce style de programme qui fait intervenir des « gens comme nous ».   
Il déclare alors : « Déjà le titre est insupportablement crétin. Sa crétinerie est un chantage, parce qu'elle implique une sorte de complicité dans le mauvais goût, et parce qu'elle est imposée au nom d'un conformisme que la plus grande majorité accepte. Et ce que l'on peut dire du titre, on peut le dire également de toute l'émission. C'est un chantage odieux selon lequel la légèreté, la superficialité, l'ignorance et la vanité se voient imposées comme un état d'âme et une condition humaine obligatoire.

Pour moi, les responsables de cette émission sont de purs et simples criminels, et pas dans le sens métaphorique du terme. Ils exercent une répression qui équivaut à la violence des pires régimes antidémocratiques : la différence est infime entre rendre les hommes imbéciles et mauvais et les tuer. Malheureusement les hauts dirigeants de la télé qui ont voulu cette horrible émission (qui, du reste, en plus tapageur, est du niveau d'au moins 80%  de ce qui est transmis à la télévision) ont créé autour d'eux une chaîne infinie de l'omerta car, en ayant conquis, par la violence, l'opinion publique. Ils ont également entraîné dans leur dessein criminel tous ceux qui sont contraints de tenir compte de cette opinion publique : par exemple, les journalistes, les directeurs d'hebdomadaires et de quotidiens, etc.

L'impopularité la plus féroce et la plus intangible s'est alors créée autour de quiconque manifeste son désaccord devant une telle honte (j'ai honte. Je rougis à l'idée même de répéter le titre de cette chose). Honte acceptée avec autant de légèreté (et une réelle brutalité) par la petite-bourgeoisie et la classe ouvrière. Celle-ci (cette honte) est donc une des manifestations les plus tapageuses de cette culture de masse que le capitalisme impose et prétend interclassiste… » Pasolini          

En 2003, Endemol France lançait sur TF1 l’émission Nice People : 12 jeunes originaires des 4 coins de l’Europe se retrouvaient enfermés dans une luxueuse villa de 450 m2, filmés 22 H sur 24 h pendant 3 mois. L’audience décevante n’a guère convaincu les annonceurs d’investir dans le concept « auberge espagnole ». La télé-réalité n’aime peut-être pas l’Europe mais la réciproque est fausse : depuis l’importation en 1999 de l’émission Big Brother, imaginée par l’entrepreneur hollandais John de Mol, les chaînes du continent ont vite compris la manne représentée par les cobayes cathodiques. En Espagne, la première édition de Gran Hermano capte l’attention de 12 millions de spectateurs, un tiers de la population. La diffusion dans l’Hexagone de l’Ile de la tentation rassemble 60% des 15-24 ans devant leur poste. Enfermement, surveillance, récompense. Si la recette de la télé-marketing est identique, on peut distinguer trois grandes catégories d’émissions : la cage à rats genre « Dwa wiaty » en Pologne, le télé crochet type « Amici  » italien ou le jeu amoureux du Bachelor britannique.

La fausse vie des vraies gens fait donc recette. « Il y a une tendance lourde de la télévision depuis une vingtaine d’années qui considère que la réalité est définie par la quotidienneté, l’anonymat, » glisse François Jost, sémiologue spécialisé dans l’étude de la télévision. Après l’univers de la fiction à la Dallas puis des jeux télévisés, voici venu l’ère de l’authentique. En toc car la manipulation est souvent totale. « Soit on enregistre l’émission et on diffuse les séquences selon un scénario bien précis. Soit on fait glisser l’émission sur le terrain ludique comme dans Fear Factor pour contrer les critiques…après tout ce n’est qu’un jeu. » souligne encore Jost.

 

Pour expliquer le succès de cette vague d’émissions, Damien Le Guay, philosophe et auteur de l’ouvrage L’Empire de la télé-réalité, revient sur « le processus de libération de la parole de parfaits inconnus. Avant, on ne laissait s’exprimer que des gens dont le talent était reconnu. » Selon Le Guay, cet engouement général pour ces ‘acteurs malgré eux’ s’explique aussi par le « relâchement de nos comportements sociaux : ces protagonistes qui se lâchent tant psychologiquement que physiquement exacerbent notre tendance au voyeurisme. » Voyeurisme, processus d’identification, perversion… la liste des motivations des téléspectateurs est longue. Impossible ainsi de déterminer si Reality Run en Allemagne est un jeu de cache-cache ou une chasse à l’homme. Autre facteur : la méfiance grandissante à l’égard des élites invitées dans des programmes de divertissement « plus ou moins trafiqués » pousse le public à privilégier « l’homme ordinaire ».

PLATON La République VII  ( extrait : l’allégorie de la caverne )
« représente-toi … notre nature par rapport à l'éducation et au fait de ne pas être éduqué.
 Figure-toi donc des hommes comme dans une habitation souterraine ressemblant à une caverne, ayant l'entrée ouverte à la lumière sur toute la longueur de la caverne, dans laquelle ils sont depuis l'enfance, les jambes et le cou dans des chaînes pour qu'ils restent en place et voient seulement devant eux, incapables donc de tourner la tête du fait des chaînes ; et encore la lumière sur eux, venant d'en haut et de loin, d'un feu brûlant derrière eux ; et encore, entre le feu et les enchaînés, une route vers le haut , le long de laquelle figure-toi qu'est construit un mur, semblable aux palissades placées devant les hommes par les faiseurs de prodiges , par dessus lesquels ils font voir leurs prodiges. (Souligné par nous – NDLR)

Eh bien vois
maintenant le long de ce mur des hommes portant en outre des ustensiles de toutes sortes dépassant du mur, ainsi que des statues d’hommes et d'autres animaux de pierre et de bois et des ouvrages variés ; comme il se doit, certains des porteurs font entendre des sons tandis que d'autres sont silencieux. Penses-tu qu'ils aient pu voir autre chose que les ombres projetées par le feu sur la partie de la caverne qui leur fait face ? 
Ceux-là ne pourraient tenir pour le vrai
autre chose que les ombres des objets confectionnés (par les « faiseurs de prodiges » NDLR)       .
Platon imagine ensuite un personnage qui se retourne vers la lumière, voit le réel et revient dans la caverne pour expliquer aux autres les illusions qui les entourent :
Et maintenant, mets-toi ceci dans l'esprit
 repris-je. Si celui-ci redescendait pour retourner s'asseoir sur son siège (dans la caverne NDLR), est-ce qu'il n'aurait pas les yeux éclaboussés par les ténèbres, venant subitement du soleil ?   
Et alors ces ombres, si de nouveau il lui fallait lutter jusqu'au bout, en se faisant des opinions
 sur elles, avec ceux qui ont toujours été enchaînés, au moment où il aurait la vue faible, avant que ses yeux ne fussent rétablis --et le temps ne serait pas court, tant s'en faut ! jusqu’à l'habitude--, ne prêterait-il pas à rire et ne dirait-on pas de lui qu'étant monté là-haut, il est revenu les yeux endommagés, et que ça ne vaut vraiment pas la peine d’essayer d’aller là-haut ? Et celui qui entreprendrait de les délivrer et de les faire monter, si tant est qu'ils puissent le tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueraient-ils pas ? » …  Platon – Allégorie de la Caverne.

 

Imagine-toi donc un homme consommant 6 à 8 heures de télévision par jour (moyenne au USA), ne penses-tu pas qu’il serait enclin à croire pour vraies les illusions, pour vérité les « informations », pour esthétiques et dignes d’intérêt la fabrication de vedettes-kleenex. Ce serait pour lui non point fausseté que tout cela mais habitude et donc normalité, car « représente-toi … notre nature par rapport à l'éducation et au fait de ne pas être éduqué » (Platon).     
           
Cette servitude volontaire la fondation Gorbatchev réunie en 1995 aux USA l’a nommée : « 
doux divertissement ». Pour calmer nos peurs et travestir le réel rien de tel que :   
1) « 
de ne point être éduqué »,         
2) être en permanence dans les rets des « 
faiseurs de prodige ».    
Le dégout de Pier Paolo Pasolini : « 
la différence est infime entre rendre les hommes imbéciles et mauvais et les tuer. » n’est pas celui de l’esthète qu’il fut. C’est celui de l’humaniste qui mesure les conséquences inexorables de la propagande qui façonne la condition humaine « la légèreté, la superficialité, l'ignorance et la vanité se voient imposées comme un état d'âme et une condition humaine obligatoire. ».
Mais au-delà du constat, du pourquoi, n’y a-t-il pas des mesures à prendre ? Qui sont les faiseurs de prodige et… qui les paye ?

 

dimanche 3 novembre 2024

Sujet du Merc.06 Novembre 2024 : Le crime ordinaire.

                                           LE CRIME ORDINAIRE 

« Par crime ordinaire il faut entendre un crime qui ne dit pas son nom, qui s'apparente à l'ordre des choses, à la banalité du cours du monde, à la nécessité des « choses de la vie ». C'est donc le contraire du crime crapuleux, effectué en transgression manifeste de la loi, lequel n'est que la partie visible du crime, le fait de naïfs qui n'ont pas compris que ce n'est pas ainsi qu'il faut tuer.

Un tel crime, en déchaînant l'indignation des justes, ne sert qu'a détourner l'attention du crime généralisé. Au contraire, le crime ordinaire est presque toujours légal, et il n'est jamais le fait d'individus isolés, mais l'effet du système, dont il constitue la contrepartie négative (la « rançon du progrès »), ce qui fait que la responsabilité n'en incombe à personne.

La notion de crime ordinaire laisse incrédules ceux qui en tirent momentanément avantage — on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs —, mais elle apparaît aux victimes comme l'évidence même. On agonise sur les routes dans une collision de tôles, ou dans un mouroir d'hospice, ou seul dans sa chambre, après avoir perdu tous les liens sociaux, entouré de millions d'hommes qui vont à leurs affaires c’est toujours trop tard que surgit à la conscience la face criminelle de ce monde. 

Comme chacun le sait depuis Bourdieu, les trois formes du Capital : culturel, financier et social — ou plutôt politique, lié au pouvoir — se conjuguent, et d'autre part chaque forme prise en elle-même suit une progression exponentielle, sur le modèle du capital financier. Il en résulte au bout de quelques siècles une énorme disparité entre les individus du haut et du bas de l'échelle sociale, qui n'ont littéralement plus rien de commun.

Les premiers ont le sentiment que la société leur appartient et qu'ils peuvent disposer du sort des seconds comme ils l'entendent : ce qu'ils font effectivement.

Ce sont eux qui mettent en place une organisation rigoureuse de la société, un « maillage » idéologique, juridique, économique, politique, finalisé par le souci de la préservation de leurs intérêts ; tels quels, ils constituent une nation dans la nation, ou plutôt ils prennent la nation en otage : c'est la situation en France comme ailleurs, ce qui rend risible la prétention française à être une société égalitaire. 

Cette mainmise sur un peuple peut être qualifiée de crime dans la mesure où elle induit des conséquences criminelles : les peuples sont entraînés dans des guerres qu'ils ne souhaitent pas, ils subissent l'oppression politique et l'exploitation économique, l'aliénation des consciences donne aux relations humaines une opacité incompréhensible.

En particulier le modèle de la réussite fixé par la classe dominante devient la référence obligée ; le motif des conduites devient moins l'amour de l'égalité que le souci d'éviter l'inégalité pour soi-même, et de se trouver des inférieurs ; à tous les niveaux de la société, chacun reproduit consciencieusement le modèle de domination et d'exploitation venu d'en haut.

Le fait d'épargner, d'économiser, de s'interdire la plupart des plaisirs sur des périodes entières de la vie, de se soumettre à la sévère discipline de remboursements d'emprunts qui viennent hypothéquer un salaire déjà insuffisant, bref le fait de différer longuement la venue d'un bonheur rendu de toute façon problématique par les conditions mêmes de la société, a quelque chose d’une mutilation. Et une telle mutilation se paie : l'assombrissement de la vie, le gâchis des possibilités et le broyage des espérances s'en trouvent considérablement renforcés.

La haine de la vie qui finit par en résulter prend les formes multiples du repli sur soi, de l'indifférence à autrui, et surtout de l'assentiment aux formes d'aliénation, de dépendance et d'abrutissement généreusement dispensés par la société du crime. Elle peut aller jusqu'à des attitudes mortifères, pour soi et pour autrui (conduite homicide au volant, autodestruction des couples, etc.). 
   
L'asphyxie, les semelles de plomb, sont le régime de la vie ordinaire Les individus sont soumis à l'alternance de l'extrême isolement (banlieues-dortoirs + télévision) et du broyage de masse (itinérances quotidiennes du travail dans les grandes villes, grandes migrations des temps de « repos »). Toute la fantastique puissance du collectif leur fait face sous forme de décor urbain et d'infrastructures qui n'ont pas d'autre raison d'être apparente que de les broyer.

Les individus réagissent par des fantasmes de toute-puissance qui débouchent sur la destruction et l'autodestruction (dégradation des biens collectifs, conduite automobile agressive, et surtout consommation sur le mode « somptuaire » de la destruction de biens). La consommation est en réalité une « consumation » qui reproduit mimétiquement sur les objets le travail que la société opère sur les personnes, ce qui va entièrement dans le sens des objectifs productivistes du système.

Mais le coup de génie de la société est de construire une société totalitaire avec la collaboration active des individus, moyennant l'idéologie de la liberté. Tandis que la pression de la société sur eux se fait totale et que leur marge de manœuvre par rapport au style général de la vie est à peu près nulle, les individus conservent l'illusion de leur propre initiative, la contrainte, de politique qu'elle était, devient économique et technique, et se propose à eux avec les moyens de la contourner, du moins en apparence : par le biais de l'endettement et du crédit, du travail au noir et d'appoint, des prestations sociales, les individus sont entretenus dans l'idée que, quelle que soit la complexité du jeu, ils ont en mains les cartes qui leur permettent de le jouer. 

Le crime n'apparaît que lorsque la brutalité du chômage les expulse de la seule sphère où ils soient autorisés à manifester un semblant de liberté d'action — celle de l'activité professionnelle — ou encore lorsque, ayant tout misé sur la construction de la vie privée, ils se voient dépossédés de leurs biens et expropriés par mesure d'intérêt public : l'immensité de la spoliation et le manque absolu de prise sur le monde social qui les entoure apparaissant alors dans toute sa dramatique nudité. Pendant que les individus s'essoufflent à construire une vie, leur sort se joue ailleurs : un krach boursier, une dévaluation, une décision technocratique, ruinent en un instant les efforts de toute une vie. 

Tant qu'elle le peut, la société fait en sorte de présenter la casse des individus comme des accidents à caractère conjoncturel, elle s'arrange pour que seule une minorité soit concernée et fait payer les frais de la casse par ceux qui ne sont pas encore touchés. 

Mais rien ne prouve qu'elle soit toujours en état de le faire : si, en période de prospérité, la souffrance qu'elle inflige indistinctement aux individus peut encore être masquée sous un déluge de « biens », il n'en va plus de même en temps de crise : que la machine économique s'emballe, et l'on voit mieux alors quel genre de cas la société du crime fait de ses membres et en quoi consiste sa conception très particulière de la dignité humaine.

Si tout cela trouve si aisément à s'accomplir, c'est que la distraction générale liée au fait que les individus sont prioritairement en charge de leurs intérêts vitaux, qui occulte à leurs yeux tout le reste. Ils travaillent dans le sérieux de l'urgence (fonder une famille, trouver un emploi, développer leurs talents...), sans se rendre compte que rien ne peut tenir, ni pour eux ni encore moins pour leur descendance, dans les conditions imposées par la société. 

Cette société leur apparaît comme un champ d'initiatives variées en vue de la satisfaction de leurs intérêts vitaux, et non comme le piège parfait qu'elle est en réalité. Le lien, pourtant étroit, entre leur intérêt particulier et un genre d'intérêt universel, ne leur apparaît que tardivement, s’il ne leur apparaît jamais. 

C'est seulement dans un tel contexte d'irresponsabilité générale et de sentiment océanique du monde social perçu comme un milieu sur lequel chacun n'a que très faiblement et localement prise, que, sans raisons ni causes, tous sont victimes sans que personne n'en soit responsable. 

Le monde est perçu comme fatalité, destin, et ordre « naturel ». L'incrédulité — d'après laquelle il serait impossible qu'une entreprise née de main et de cerveau d'homme et conduite dans le style de la rationalité n'ait d'autres fins véritables que l'anéantissement de ses auteurs et la destruction générale.— l'incrédulité fait le reste.

Les individus ne peuvent tout bonnement pas penser que le système au sein duquel ils ont été élevés et introduits à grands frais poursuivrait au final le but inverse de ce qu’il prétend proposer : protection, répartition, solidarité. : ils ne disposent pas de catégories mentales pour cela. 

Cette incapacité est liée à la structure de l'être humain, qui ne peut pas se construire dans la défiance absolue.
                      Le système joue à fond de cette impossibilité. » (in C. Carles, La société du crime)

Sujet du Merc. 09 Avril 2025 : Il n’y a pas d’origine.

                    Il n’y a pas d’origine. Les hommes sont mortels. Pour un individu, pour toute l’humanité, l’origine est la date de la ...