mardi 10 janvier 2023

Sujet du JEUDI 12 Janv. 2023 : Affirmer l’origine, c’est prendre pouvoir sur les esprits.

                       ATTENTION : CAFE PHILO LE JEUDI 12  !! 

Affirmer l’origine, c’est prendre pouvoir sur les esprits.

Aujourd’hui s’opère un retour vers l’esprit comme origine et source de toutes choses. S‘agit-il de l’expression d’un sophisme ? Sachant qu’un sophisme est une argumentation habile mais fausse destinée à induire en erreur et que tromper intentionnellement, manipuler les esprits est tout simplement énoncer un sophisme pour vrai et réussir à en convaincre. Ce succès suppose une ingéniosité et même la connaissance de la vérité qu’on essaye d’occulter pour la remplacer par « une vérité ». Ce procédé va à l’encontre de la démarche philosophique de recherche et de partage.           

Mais en quoi argumenter en faveur de la notion d’origine en tant que fondement du monde et des hommes serait une manipulation en vue d’une prise de pouvoir sur les esprits ? Et en quoi in fine cela serait-il une atteinte radicale à notre liberté ?      

Tout d’abord, qu’entend-on par origine ? N’est-ce pas précisément la condition de possibilité d’une série de choses découlant d’elle, sachant que cette condition ne fait pas partie de ces choses. L’origine est hors d’elles puisqu’elle les détermine et ne saurait donc être déterminée par elles. A rebours et par régression, partant de ces choses comme conséquences, on pourrait remonter à leur origine ou condition d’existence, cause ou principe explicatif premier.  

Mais toute origine n’est-elle pas elle-même la conséquence d’une autre condition ou origine antérieure ? En réalité, n’est-ce pas là que naît la confusion à éviter ? Celle par où la liberté se mue en servitude. En commençant par la servitude de l’esprit.

Pour comprendre la notion d’origine, il faut la séparer de celle de commencement car les confondre c’est comme identifier les fondations avec la maison qu’elles supportent, le contenant avec le contenu, le fondement avec le fondé, le principe avec le phénomène, l’esprit avec la matière comme dérivant de lui.

En effet dès qu’on pose le temps zéro comme origine, on est pris dans des apories, on s’engage dans des obstacles logiques insurmontables propres à barrer la route à tout raisonnement sain. On se retrouve face à un faux astucieusement raisonné. Auquel néanmoins il est utile de se confronter pour le démonter afin que s’enclenche le processus de la philosophie et de la science.
 

Poser le temps zéro comme origine des origines des choses, c’est affirmer d’emblée que in fine le monde ne saurait être infini dans le temps et dans l’espace. C’est affirmer que l’origine des origines est une cause inconditionnée et qu’on ne peut donc la penser en tant que phénomène (le réel). Cette origine serait donc hors de ce monde et est dès lors inconnaissable parce que non perceptible par les sens et la raison des hommes. En tant qu’elle devient alors cause et principe premiers, moteur primordial de toutes choses (qui lui-même est immobile, stable et constant).

On voit dès lors qu’origine et commencement sont des notions irréconciliables parce que la première est de nature causale et le second de nature empirique. Le commencement est un phénomène tandis que l’origine est du côté de la cause ou de l’essence, du principe ou de la nature des choses. Ce qui n’appelle aucunement l’usage d’une méthode d’observation de l’évènement, du phénomène. Que ce soit en histoire ou en philosophie, ce qui pour un esprit sain est le comble des combles.  

Ainsi dans les textes de Rousseau, l’origine des inégalités ne se limite pas à des conditions réelles d’apparition de la propriété dans l’histoire. Au contraire, elle fait appel à des représentations imaginaires ou mythiques. La notion d’origine est ainsi parfaitement à l’aise dans la fiction et le mythe fondateur.  Un idéaliste comme Leibniz voit dans l’esprit les structures qui rendent possible toute expérience encore à venir, sans que ces structures spirituelles soient prises le moins du monde dans le flux des expériences !  

A l’opposé, Locke donne son principe fondateur à l’empirisme méthodologique de la science en affirmant une identité entre l’origine des idées et leur commencement concret, matériel dans l’expérience. C’est l’affirmation constructiviste du monde selon laquelle l’esprit est le produit des expériences vécues au cours des âges. Par contraste, le recours à la question de l’origine n’est en fait qu’une quête vers le déploiement d’une essence, de l’être ou de la nature des choses qui les déterminent pleinement et leur enlève toute liberté.

Prenons les choses d’une autre façon pour mieux confondre l’imposture intellectuelle de l’origine lorsqu’elle s’empare de l’entendement. Ce sera confondre une bonne fois la pensée spiritualiste en l’identifiant à la création de tout à partir de rien ou de l’absence de matière, ou par un principe ou esprit premier immatériel distinct de ce qu’il crée. C’est le fameux « cogito ergo sum » : parce qu’il y aurait pensée ou esprit, on accéderait à l’être (sans doute, lui, fait de matière !). C’est affirmer que la connaissance ne peut venir que de ce principe premier de l’esprit situé hors du monde matériel.        

Ceci impliquerait que la connaissance du principe premier ne pourrait être qu’immédiate et parfaite comme une intuition. Et que cette dernière connaîtrait nécessairement le principe de la démonstration. Qui lui-même n’est pas une démonstration et par conséquent pas une science de science. Voilà le sophisme qui voudrait détruire le fondement de la science pour le remplacer par le principe premier absolu. Ce qui est une solution qui échappe à notre entendement. Et qui, une fois accepté, serait une prise totale de pouvoir sur nos facultés mentales confinant à la servitude volontaire. Ne serait-ce pas le « heureux les simples d’esprit » ou le « laissez venir à moi les petits enfants, le royaume des cieux leur appartient » ?     

Il est une autre solution qui substitue la volonté à « l’esprit venu d’ailleurs », principe premier et absolu d’un monde hors du nôtre, celui-là même qu’il crée à partir de rien ou du néant, ou d’aucun matériau qui préexisterait à l’apparition des choses qu’il crée. Ce principe est une connaissance par l’idée pure (Platon), et non par concept comme en science. Et qui s’affranchit d’emblée de l’observation et de l’expérience. Cela confine cette connaissance à l’inutilité (Laplace) de la preuve et à l’absence de solution. Sauf à accepter comme solution un acte de création par la toute puissance du néant (toute religion, créationnisme, dessein intelligent). Création qui est l’origine non conditionnée d’une série de choses que ce principe conditionne pleinement. Ainsi tout naîtrait d’un principe qui ne dérive de rien. Et qui serait l’origine de l’être et le fondement de toute connaissance à partir de rien.

L’autre solution ne pourrait-elle pas être de substituer à ce principe premier la décision de notre volonté : constituer le sujet en principe ? Descartes le suggérait déjà dans son « cogito ergo sum » par l’usage du « je » d’ici (il aurait sans doute mieux fait d’user du « nous ») en place de l’au-delà de « l’esprit » d’un autre monde.

Le seul véritable principe qui résout ces apories sophistiques, c’est notre décision volontaire de saisir la liberté à pleines mains comme réelle. C’est vouloir que, dans la régression à partir de l’illimité de la série des choses résultantes, il intervienne comme une rupture qui est notre volonté de décider d’être libre. C’est une position de principe : notre principe premier et fondateur, notre acte premier.

Nous sommes face à un choix : soutenir cette proposition par notre engagement ou la remplacer par la croyance au néant. Dont certains s’empareront pour dominer tous les autres qui se seraient rendus volontairement serviles par l’acceptation d’un argumentaire fallacieux.

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