ATTENTION : CAFE PHILO LE JEUDI 12 !!
Affirmer
l’origine, c’est prendre pouvoir sur les esprits.
Aujourd’hui s’opère un retour
vers l’esprit comme origine et source de toutes choses. S‘agit-il de
l’expression d’un sophisme ? Sachant qu’un sophisme est une argumentation
habile mais fausse destinée à induire en erreur et que tromper
intentionnellement, manipuler les esprits est tout simplement énoncer un sophisme
pour vrai et réussir à en convaincre. Ce succès suppose une ingéniosité et même
la connaissance de la vérité qu’on essaye d’occulter pour la remplacer par
« une vérité ». Ce procédé va à l’encontre de la démarche
philosophique de recherche et de partage.
Mais en quoi argumenter en faveur
de la notion d’origine en tant que
fondement du monde et des hommes serait une manipulation en vue d’une prise de
pouvoir sur les esprits ? Et en quoi in
fine cela serait-il une atteinte radicale à notre liberté ?
Tout d’abord, qu’entend-on par
origine ? N’est-ce pas précisément la condition de possibilité d’une série de choses découlant d’elle,
sachant que cette condition ne fait pas partie de ces choses. L’origine est
hors d’elles puisqu’elle les détermine et ne saurait donc être déterminée par
elles. A rebours et par régression, partant de ces choses comme conséquences,
on pourrait remonter à leur origine ou condition d’existence, cause ou principe
explicatif premier.
Mais toute origine n’est-elle pas
elle-même la conséquence d’une autre condition ou origine antérieure ? En réalité, n’est-ce pas là que naît la
confusion à éviter ? Celle par où la liberté se mue en servitude. En commençant par la
servitude de l’esprit.
Pour comprendre la notion d’origine, il faut
la séparer de celle de commencement car
les confondre c’est comme identifier les fondations avec la maison qu’elles
supportent, le contenant avec le contenu, le fondement avec le fondé, le
principe avec le phénomène, l’esprit avec la matière comme dérivant de lui.
En effet dès qu’on pose le temps
zéro comme origine, on est pris dans des apories, on s’engage dans des
obstacles logiques insurmontables propres à barrer la route à tout raisonnement
sain. On se retrouve face à un faux astucieusement raisonné. Auquel néanmoins
il est utile de se confronter pour le démonter afin que s’enclenche le
processus de la philosophie et de la science.
Poser le temps zéro comme origine
des origines des choses, c’est affirmer d’emblée que in fine le monde ne saurait être infini dans le temps et dans
l’espace. C’est affirmer que l’origine des origines est une cause
inconditionnée et qu’on ne peut donc la penser en tant que phénomène (le réel). Cette origine serait donc hors de ce monde et
est dès lors inconnaissable parce que non perceptible par les sens et la raison
des hommes. En tant qu’elle devient alors cause et principe premiers, moteur
primordial de toutes choses (qui lui-même est immobile, stable et constant).
On voit dès lors qu’origine et
commencement sont des notions irréconciliables parce que la première est de
nature causale et le second de nature empirique. Le commencement est un phénomène tandis que l’origine est du
côté de la cause ou de l’essence, du principe ou de la nature des choses. Ce qui n’appelle aucunement l’usage d’une
méthode d’observation de l’évènement, du phénomène. Que ce soit en histoire ou
en philosophie, ce qui pour un esprit sain est le comble des combles.
Ainsi dans les textes de
Rousseau, l’origine des inégalités ne se limite pas à des conditions réelles
d’apparition de la propriété dans l’histoire. Au contraire, elle fait appel à
des représentations imaginaires ou mythiques. La notion d’origine est ainsi parfaitement
à l’aise dans la fiction et le mythe fondateur. Un idéaliste comme Leibniz voit dans l’esprit
les structures qui rendent possible toute expérience encore à venir, sans que
ces structures spirituelles soient prises le moins du monde dans le flux des
expériences !
A l’opposé, Locke donne son principe fondateur à l’empirisme méthodologique de
la science en affirmant une identité entre l’origine des idées et leur
commencement concret, matériel dans l’expérience. C’est l’affirmation constructiviste du monde selon laquelle
l’esprit est le produit des expériences vécues au cours des âges. Par
contraste, le recours à la question de l’origine n’est en fait qu’une quête
vers le déploiement d’une essence, de
l’être ou de la nature des choses qui les déterminent pleinement et leur enlève
toute liberté.
Prenons les choses d’une autre façon
pour mieux confondre l’imposture intellectuelle de l’origine lorsqu’elle
s’empare de l’entendement. Ce sera confondre une bonne fois la pensée spiritualiste en l’identifiant
à la création de tout à partir de
rien ou de l’absence de matière, ou par un principe ou esprit premier
immatériel distinct de ce qu’il crée. C’est le fameux « cogito ergo
sum » : parce qu’il y aurait pensée ou esprit, on accéderait à l’être
(sans doute, lui, fait de matière !). C’est affirmer que la connaissance
ne peut venir que de ce principe premier de l’esprit situé hors du monde
matériel.
Ceci impliquerait que la
connaissance du principe premier ne pourrait être qu’immédiate et parfaite
comme une intuition. Et que cette
dernière connaîtrait nécessairement le principe de la démonstration. Qui
lui-même n’est pas une démonstration et par conséquent pas une science de
science. Voilà le sophisme qui
voudrait détruire le fondement de la science pour le remplacer par le principe
premier absolu. Ce qui est une solution qui échappe à notre entendement. Et
qui, une fois accepté, serait une prise totale de pouvoir sur nos facultés
mentales confinant à la servitude volontaire. Ne serait-ce pas le « heureux
les simples d’esprit » ou le « laissez venir à moi les petits
enfants, le royaume des cieux leur appartient » ?
Il est une autre solution qui substitue la
volonté à « l’esprit venu d’ailleurs », principe premier et absolu
d’un monde hors du nôtre, celui-là même qu’il crée à partir de rien ou du
néant, ou d’aucun matériau qui préexisterait à l’apparition des choses qu’il
crée. Ce principe est une connaissance par l’idée pure (Platon), et non par
concept comme en science. Et qui s’affranchit d’emblée de l’observation et de
l’expérience. Cela confine cette connaissance à l’inutilité (Laplace) de la
preuve et à l’absence de solution. Sauf à accepter comme solution un acte de création par la toute puissance du néant
(toute religion, créationnisme, dessein intelligent). Création qui est l’origine
non conditionnée d’une série de choses
que ce principe conditionne pleinement. Ainsi tout naîtrait d’un principe qui
ne dérive de rien. Et qui serait l’origine de l’être et le fondement de toute
connaissance à partir de rien.
L’autre solution ne pourrait-elle
pas être de substituer à ce principe premier la décision de notre
volonté : constituer le sujet en principe ? Descartes le suggérait
déjà dans son « cogito ergo sum » par l’usage du « je »
d’ici (il aurait sans doute mieux fait d’user du « nous ») en place
de l’au-delà de « l’esprit » d’un autre monde.
Le seul véritable principe qui
résout ces apories sophistiques, c’est notre
décision volontaire de saisir la
liberté à pleines mains comme réelle. C’est
vouloir que, dans la régression à partir de l’illimité de la série des
choses résultantes, il intervienne comme une rupture qui est notre volonté de décider d’être libre. C’est une position de
principe : notre principe premier et fondateur, notre acte premier.
Nous sommes face à un
choix : soutenir cette proposition par notre engagement ou la remplacer
par la croyance au néant. Dont certains s’empareront pour dominer tous les autres qui se seraient rendus volontairement serviles par l’acceptation
d’un argumentaire fallacieux.
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