Qu'est ce que penser ?
La
pensée est l’une des productions de l’esprit. Les définitions concernant
l’action de penser sont multiples. Il s’agit avant tout de former et de
combiner des idées, de construire des raisonnements.
Penser par soi-même, c’est ne pas s’en remettre au jugement d’autrui, c’est se forger sa propre opinion, en s’éloignant autant que possible des croyances ou des idées reçues. C’est savoir se donner des champs de réflexion. Penser, c’est imaginer par avance, prévoir, évaluer les conséquences avant d’agir.
Penser est difficile, parce qu’une telle activité nous oblige à voir le monde en face, à ne plus nous soustraire à ce qu’il est, mais aussi à ce que nous sommes. Penser, c’est accepter, c’est chercher à comprendre. Rien n’est plus délicat que de poser ses yeux sur les beautés comme sur les horreurs des Hommes et du monde. Mais penser c’est aussi aspirer à la liberté. Exercer sa liberté dans sa pensée, c’est accepter, encore, que cette dernière puisse se perdre dans des chemins tortueux. C’est accepter l’idée même de la responsabilité d’être à l’origine de ses pensées et l’idée d’être responsable tout court.
Le
reste du monde ne vient plus plaquer dans notre cerveau des idées préconçues.
Non, ces idées sont retravaillées par un processus intellectuel, sont
interrogées, passées au filtre de nos convictions les plus profondes. S’extirper de la dépendance, devenir autonome : tout
ceci est déjà délicat matériellement, alors comment ne pas s’étonner de la
difficulté à le devenir complètement ? La pensée
vient gonfler un peu plus encore l’angoisse
existentielle qui nous habite. Oui, penser en soi est dangereux. Tout le
processus est une prise de risque perpétuelle. Penser fait peur, inquiète,
parce que ce que nous aimons occulter d’habitude,
le Mal, le Chaos, la complexité. Le reste du monde auquel nous sommes assimilés
nous contraint à agir en interaction avec les autres. Peu à peu, une pensée
collective remplace la conscience qui s’éteint et l’homme
disparaît.
La pensée reste un préalable à toutes nos actions. C’est en cela qu’elle est dangereuse. Parce que nous sommes humains, nous ne pouvons pas aimer, créer, jouir, sans penser. C’est en laissant l’esprit vagabonder, contempler, imaginer, que la création s’engage. Nietzsche appelle à une forme d’ivresse dans l’Art. ne peut-on pas l’atteindre dans une ivresse de liberté ? dans le chaos de nos pensées contradictoires, dissonantes ? dans l’angoisse existentielle qui croît chaque jour un peu plus à force de pensées? L’état supérieur auquel nous aspirons dans la création comme dans la jouissance ne sera jamais pleinement vécu en absence de pensée : il sera contenu, retenu par les pensées du monde extérieur immiscées dans nos cerveaux. Les détricoter, les faire nôtres est le seul moyen de nous extirper de l’état actuel et d’atteindre cet état personnel désiré, inaccessible s’il est censuré par la vision des autres.
Cesser de penser n’est rien d’autre que l’interruption de jugement qui conduit à la banalité du mal, tels que vus et revus avec Arendt et Terestchenko. Le risque s’accroît chaque jour davantage. Le place que nous avons accordée au travail dans nos sociétés comme dans nos vies ne risque pas de changer la donne. Pire, l’intérêt du travail, et l’investissement que nous lui offrons, conditionnent de plus en plus notre souhait de liberté, alors même que le travail et la société consument peu à peu les autres espaces de notre vie. La seconde cherche à s’imposer dans nos cerveaux pendant que le premier les occupe.
Nos cerveaux devraient être en veille. Non pas placés en veille, c’est-à-dire à un état de conscience minimal. Penser « un peu » reviendrait à avoir seulement conscience des grands mécanismes qui cherchent à structurer nos vies, mais s’y soumettre tout de même. Penser pour être libre, Mais à quel prix ? Au prix de l’angoisse, de la peur, de la pleine conscience d’un monde incompréhensible? Arendt répondrait que le plus dangereux restera toujours de ne pas penser.
A l’extérieur, les contradictions qui nourrissent notre époque ne sont pas si éloignées de celles connues par Hegel. Il se demandait comment définir les critères qui nous permettraient de nous assurer de la correspondance entre ce que l’on pense et ce qui est vraiment? Rien n’est vrai par soi-même, tout doit s’avérer, se vérifier. Dans cette logique de négation, chaque nouvelle figure de l’esprit, supérieure à la précédente, en suppose la suppression. Ce mouvement dialectique serait la vie même de l’esprit.
A
l’intérieur, Pascal considère que chaque homme est soumis à une guerre des sens
qui fait naître en lui une insatisfaction fondamentale conduisant les
philosophes à l’orgueil des stoïciens ou au désespoir de sceptiques. Nombre
d’obstacles empêche la pensée d’être livrée à elle-même. L’amour-propre centre
l’homme sur lui-même et l’empêche de penser au néant, l’imagination permet de
meubler le vide qui hante notre condition, le divertissement nous empêche de
penser à la mort. Et pourtant, sa pensée, bien que bornée, confère à l’homme
une dignité inégalable en le rendant capable de méditer sur sa condition, si
misérable soit-elle.
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