FETICHE, OU ES-TU ?
Le
fétichisme est ce report de l'affectivité sur un objet symbolique, fabriqué et
unique en lui attribuant une efficacité ultime sur la réalité, efficacité liée
à des manigances magiques dont les intéressés peuvent même n'être pas
conscients. Un fétiche devient alors un objet auquel on attribue un pouvoir
bénéfique largement imaginaire. C'est un objet qu'on fabrique de telle façon
qu'on s'abuse soi-même en croyant ne pas l'avoir fabriqué. Un comble ! Et
pourtant aujourd'hui, nous croyons échapper à tous les fétiches alors même que
nous nous laissons aller partout et sans cesse à nombre d'idées et de vues de
l'esprit métaphysiques et totalisantes.
Un
exemple souvent inconscient : la croyance moderne au progrès qui prête à
la science une puissance quasi magique. C'est aussi notre représentation
scientifique de l'univers strictement matériel, froid, écrasant et absurde pour
les hommes. C'est la croyance au Grand Tout, avatar du Dieu omni présent et potent,
de tout temps.
–
Fétiche,
où es-tu, qui es-tu ?
–
Je
suis tout, l'absolument tout à tout instant, pour toujours. Je le suis
aujourd'hui plus que jamais.
–
Tu
es le Grand Maître ! Mais, en fait, ne serais-tu pas plutôt le fruit de
notre imagination, de nos affects ?
–
Qu'est-ce
cela, petit taquin souffreteux ! Contente-toi de croire. Je suis le Grand
Tout. Laisse-toi bercer par cette idée qui apaise ta vie de souffrances et ta
frayeur de la mort qui t'attend.
–
J'ai
peur !
Les dieux et Dieu sont venus à la conscience des hommes
sous deux formes de religion. Même si cela bouscule, la représentation
scientifique moderne du monde ne fait-elle pas partie de la première ? Là,
le fétichisme est cette perception d'un principe du monde ou archè qui
englobe tout, maîtrise tout, organise tout. Cet absolu, l'univers est cette
existence unique de l'infini dans lequel soi-disant nous nous trouverions.
N'est-elle pas que cette immensité glacée dépourvue de sens humain, absurde,
toute réunie en une froide équation mathématique. N'est-elle pas cette
tentative, parmi d'autres qui l'ont précédée et lui survivent et prospèrent,
d'insuffler du sens précisément là où les hommes en demandent pour faire ordre
et société entre eux et apaiser leurs craintes ? Finalement, ne serait-ce
pas un invariant ? Ou, alors, un mirage ?!
Pour
l'autre forme de religion, il n'existe pas qu'une seule conception de l'infini,
qu'une seule vision de la religion vraie, mais un nombre infini d'entre elles.
Elle correspond à une attitude d'ouverture maximale envers les autres comme ce
fut le cas lors de l'apparition chez les premiers hommes du sentiment
religieux.
Le
premier ordre religieux est toujours partout parmi nous. C'est l'autorité du
Conseil scientifique (et médical) in fine dévoilant les mécanismes de
domination de la société. C'est la finance hyperbolique des algorithmes
fétiches qui saborde la vie. C’est l’équivalence de tout à l'argent comme
fétiche. Equivalence, identifiée par Marx, à la vie moderne soumise à la
division du travail atteignant aujourd'hui les ultimes confins du monde et des
affects. Ainsi que l'avait bien compris Edward Bernays qui propulsa la guerre
puis le capitalisme des pulsions*. Nous ne cessons d'échanger et d'acheter des
objets et des services marchands sans savoir comment ils sont réellement
produits et comment ils obtiennent leur valeur.
Et
c'est aussi cet absolu des autorités monothéistes quasi psychotiques. Et par-dessus
le marché, nous nous inventons encore d'autres fétiches à profusion : l'Ecologie,
la Planète et la Pancha Mama, le Climat décarboné, les idoles du sport et de la
mode, les stars du cinéma, les milliardaires allumés des GAFAM qui s'envoient
« en l'air ».
Plus
prosaïquement, c'est encore d'autres institutions : l'Etat, des textes de
loi, l'armée et la police, le directeur ou, plutôt, la directrice. Et puis
c'est aussi l'Amour et même le genre (173 variétés officiellement répertoriées
dans le monde) et autres LGBTQ ou GPA-PMA, le manager de supérette,
l'aiguilleur du ciel et … le scientifique...
Bref,
attribuer à un « sujet de savoir » anonyme qu'il s'inquiète de
l'ordre est une forme de fétichisme dont nous ne pourrons sans doute jamais nous
défaire entièrement. (Je mesure bien que j'en fais sans doute moi-même partie à
cet instant de pontification philosophique.) Appelons ça la croyance au
« Grand Autre présumé savoir » (Lacan), le Big Brother (G. Orwell).
Ainsi,
« avons-nous confié à la science la position de garant de la rationalité
de l'ORDRE SOCIAL (les rebondissements de la pandémie Covid en sont une
illustration patente qui nous est « offerte » de vivre). Mais
agissant ainsi, nous lui en demandons mille fois trop, car aucune analyse scientifique
ne pourra jamais nous affranchir de la renégociation personnelle des règles de
notre vie commune pour les instaurer dans des fondements raisonnables. La
fétichisation de la science n'aboutit qu'à une seule chose : nous
projetons nos désirs d'ordre et nos idées sur un conseil d'experts qui ne
saurait tout simplement même pas exister, un conseil d'experts qui
décide à notre place de tout ce qui concerne la manière dont nous devrions
effectivement vivre. »
Le
Grand Autre est celui dans lequel on s'intègre en renonçant à nos
responsabilités. Il est plus facile de croire et de vivre dans l'idée que les
choses sont déjà réglées plutôt que de vivre, en se souciant que ça ne
s'écroule pas autour de nous, en coopérant socialement avec les autres.
Le
premier outil pour saper tout ça, c'est sans doute de sans cesse comprendre et
rappeler qu'un fétiche n'est rien d'autre que notre projection de forces
surnaturelles sur un objet que nous avons nous-mêmes créé. Ça alors !
Quelle imposture ! Créer ou adopter sans cesse un fétiche est pourtant
tout à fait commun après des millénaires de platonisme et de monothéisme !
C'est cette tendance à se prendre pour la créature d'un autre en intégrant
notre identité à un tout rationnel. Nous nous sentons rassurés quand nous nous
imaginons être une partie d'un tout que nous sommes capables de comprendre
d'une manière ou d'une autre. Rationnelle ou à peu près.
La
question est de savoir dans quelle mesure nous serons jamais capables de nous
défaire complètement de cette disposition d'esprit a priori confortable.
Et comment ?
* Rechercher dur le web :
« BERNAYS-Comment manipuler l'opinion ».
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