QUE VALENT LES HOMMES?
Poser
la question de la valeur, c'est adopter un point de vue normatif et comparatif.
L'objet en question est alors envisagé par rapport à un ou plusieurs autres. A
cet effet, il faut se doter de critères de choix. Cela n'est pas objectif, mais
toujours arbitraire. A contrario, ne peut-on aussi considérer que les
hommes ne valent que ce qu'ils font dans une situation donnée?
Concernant
les hommes, il s'agit donc de savoir si l'on considère qu'ils sont la valeur
ultime ou si la valeur qu'on leur attribue est relative et fonction des
circonstances du moment. En bref, va-t-on adopter des valeurs humanistes ou
d'autres, au choix ? Et dans quelle mesure cela pourrait-il se justifier ?
La question relève de la morale ou de l'éthique. Poser le problème revient à
poser l'Homme en premier puisque c'est lui qui s'autorise le droit,
implicitement absolu, de le faire. C'est considérer l'Homme comme valeur ultime
au-dessus de toutes les autres. Est-ce le prendre pour Dieu, remplacer ce
dernier par l'humanisme comme culte de l'Homme ?
Ou
faut-il considérer les hommes dans et par leurs actes ? Y a-t-il autre
choix qui vaille, pour les hommes ? En tout cas, ce n'est pas là la
pratique devenue conception qui a prévalu depuis des millénaires, quand
certains sapiens ont progressivement pu considérer que d'abord certains
hommes puis la majorité d'entre eux ne leur étaient pas égaux mais inférieurs.
Et qu'ils devaient en quelque sorte leur être soumis de gré ou de force. Une
force qui sera douce, persuasive ou violente. Cela signifiait que la majorité
des hommes devenait inférieure même à des objets dont elle n'était considérée
que comme le moyen de les réaliser. Cela ne signifie-t-il pas qu'à partir d'un
certain moment de l'histoire des hommes ont pu être utilisés à des fins autres
que leur existence librement vécue ? Et même être sacrifiés à ces fins.
Quitte à ce qu'on les tue pour la réalisation de celles-ci.
Dès
lors, comment comprendre la situation que nous vivons aujourd'hui ? Considérons la question à partir de quelques
philosophes pour aboutir in fine à Marx. Mais d'abord, il faut un peu
préciser la situation révolutionnaire qui semble aujourd'hui se dessiner. Les
peuples sont considérés comme des entités devant être obéissantes et soumises
par le moyen de terreurs sanitaire et écologique. Ceci n'empêchant pas pourtant
qu'on les pousse à l'hubris de pulsions consommatrices, renforcées à
nouveau sans limite par le spectre tout aussi terrifiant de centaines et de
milliers de milliards de dettes subrepticement créées ex abrupto, dans
l'urgence. En outre, ces dettes sont soumises à des taux d'intérêt, faibles
pour l'instant mais variables dans le temps, et par-dessus le marché à
échéances mal définies...
La
solution envisagée reposerait à terme sur des technologies combinées
moléculaires, vertes, numériques et sociétales ; tous ingrédients à
propension majoritairement peu humanistes. On pense aux possibilités de dérives
d'eugénisme renouvelé, de despotisme environnemental considérant les hommes
comme prédateurs ultimes de la divinité nature, de transhumanisme de
l' « Homme amélioré » et de celles de l'usure et de l'hubris
financiers à outrance. Ce mix détonnant prend place dans le port apeuré et
universel du masque chirurgical par l'humanité tout entière dans un rapport
d'oblitération du visage d'homme et d'éloignement social à l'autre. Tout à
coup, le commandement est que l'autre devienne mon ennemi. Le rapport humain
est jeté à bas. Les hommes sont précipités dans un statut de monades
individualistes, par là devenant impuissantes.
Le
philosophe Jean Bodin, humaniste de la Renaissance, affirmait : « Il
n'y a de richesse que d'hommes ». Ce pluriel indique déjà qu'un homme
seul, parfaitement isolé n'est pas viable, n'a jamais existé et n'aurait jamais
pu l'être. Bodin rejoint Aristote : « L'homme est un animal
politique ». Pour Aristote, il s'agissait bien sûr des hommes car il ne
saurait y avoir de politique sans polis ou société des hommes,
précisément. De plus, la nature étant irrémédiablement indifférente aux hommes
bien qu'ils en fassent partie, toute richesse qui y est contenue dont ils
peuvent faire usage ne peut venir que de leur inventivité et de leur industrie.
C'est bien pourquoi, pour les hommes, il n'y a de richesse que d'eux-mêmes. Et
d'aucun dieu, entité imaginaire ou groupement d'hommes de pouvoir s'insurgeant
comme tel.
Quant
aux supposés droits de la nature, celle-ci étant indifférente aux hommes, seuls
les hommes peuvent lui accorder ces droits et cela nécessairement en accord
avec leurs intérêts. Dans cette ligne, Descartes avançait que les hommes sont
« comme maîtres de la nature ».
Quant
à Kant, philosophe de la fin des Lumières et humaniste, son éthique propose 1)
que tout homme ne doit jamais être considéré uniquement comme un moyen mais
toujours comme une fin, comme le but ou la valeur ultime et 2) qu'un homme a
soit un prix, soit une dignité. Ces deux propositions apparaissent en rapport
avec le capitalisme industriel naissant. Mais sont-elles réellement
justifiées ? Si c'est le cas, suivant quels principes ? Et sont-elles
même le moins du monde pratiquées depuis des millénaires ? Et dans quelles
circonstances précises ? Ont-elles même été pratiquées depuis les Grecs
anciens ?
Et
ont-elles même jamais été pratiquées depuis la Renaissance
européenne ? Protestant du début du
16ème siècle, Jean Calvin fait admettre le prêt à intérêt en monnaie. S'il
s'était agi de prêt d'une substance organique vivante, par définition capable
de se reproduire par elle-même, telle que des semences agricoles qui chacune
donne plusieurs fois plus de grains que la mise, les intérêts sur les semences
prêtées seraient aisément honorés en une seule saison. Mais la substance inerte
de la monnaie, telles des pièces d'or,
ne peut s'inventer ni se créer à partir de plomb. Sauf à remplacer l'or par un
métal commun (Solon d'Athènes), des billets de papier ou, mieux, des bits
numériques virtuels reproductibles à souhait suivant des règles admises mais
toujours transgressables.
Mais
ce ne sont là que richesses symboliques que des hommes de pouvoir peuvent
reproduire à volonté d'un claquement de doigts. Mais alors cette richesse perd
de sa valeur. Sauf à extraire toujours plus du travail des hommes, alors
majoritairement considérés comme le moyen d'autres fins qu'eux-mêmes. A ce
stade, que valent encore les hommes ? Ils valent le produit de leur
activité usurpé par une minorité toujours plus restreinte qui accumule le
capital-richesse ainsi pompé de la vie même de la majorité.
Cette activité sera commandée avec doigté par ces hommes de pouvoir, majoritairement à leur profit et sans limite, selon leur guise. Est-ce le cas aujourd'hui ?
Oui, c'est le cas ; Il se construit rapidement ces semaines-ci et à très grande échelle. Cela ne peut se combattre qu'ensemble, en connaissance de cause. C'est cette connaissance qu'apporte la philosophie. Si nous le voulons bien.
Bref, chacun devrait s'y mettre avec tous les autres. Car
savoir seul et combattre seul, c'est essentiellement vain. Seuls les hommes
sont responsables. Pas les pierres ni les dieux.
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