L’amélioration du monde comme amélioration de soi
En Occident depuis Platon, Ve
siècle avant J-C, jusqu’au XVIIe siècle prévaut une société à pensée
transcendantale. Pour les Grecs, puis dans le monde gréco-romain, la
philosophie est un mode de vie authentique.
Aristote dans son Lycée forme ses
disciples à la vie philosophique : c’est le bonheur que peut procurer la pratique
de la vertu dans la cité, une vie toute tourner vers l’activité de l’esprit (la
théoria) à la recherche de la sagesse dans un monde fini parfait (le cosmos).
Puis le christianisme comme philosophie révélée : dès le 2ème siècle ap. J-C
les apologistes chrétiens ont utilisé la notion de logos pour définir le
christianisme comme la philosophie, celle-ci se présente à la fois comme un
discours et un mode de vie (1).
Au moyen âge la philosophie sera
mise au service de la théologie, l’homme sera pris dans un système de
dépendance(féodalité) figé et immuable dont il sera libéré lors de sa mort pour
accéder au royaume de Dieu.
Au XVIe et XVIIe siècle la société se déchire dans
les guerres de religions (la guerre de tous contre tous) : l’homme se donne le
droit de penser et la liberté de choisir sa religion. Avec la liberté de
conscience nait le concept de liberté libérale ou libéralisme, soutenu d’abord
par John Locke (1632-1704) en Angleterre.
Ce mouvement intellectuel
aboutira aux « Lumières » du XVIIIe siècle : c’est la prise d’autonomie de
l’homme, sa capacité à se servir de son propre entendement, de sa raison
(Kant). Une société immanente d’individus est née. Il y a privatisation de la
religion et de ses valeurs. L’amélioration des conditions de l’homme est dans
le progrès scientifico-technique.
L’homme peut agir pour
transformer le monde et le rendre meilleur, et, en cela améliorer sa condition
humaine sans attendre de Dieu une aide pour son accomplissement.
Qu’en est-il aujourd’hui de notre
relation au monde et quel avenir pour l’homme ?
Alors qu’on affirme en Occident
que les libertés sont acquises, à l’évidence l’évolution technoscientifique et
politique montre que nos libertés ont disparu dans de nombreux domaines et que
le projet d’autonomie de l’homme est en panne.
Je vous soumets trois approches
philosophiques différentes de penseurs contemporains :
1/ Quitter l’horizontalité du système et retrouver une forme de
verticalité par la volonté et l’effort individuel, ceci par un engagement
pratique et responsable. Peter Sloterdijk (2) voit la liberté de l’homme dans
sa manière d’habiter le monde et de se créer soi-même dans cet habitat (une vie
exemplaire au moyen de la metanoïa, de l’ascèse et des études)
« L’individu apparaît désormais
plutôt comme un entraineur qui supervise le choix de ses talents et anime
l’équipe de ses habitudes. Que l’on appelle cela micro politique, ou art de
vivre (…). »
« La devise de l’anthropologie
selon laquelle l’homme ne se contente pas de vivre, mais doit mener sa vie, se
transpose à la fin du XXe siècle dans cette exigence qui retentit dans tous les
médias : faire de son propre moi un projet, et du projet une entreprise,
gestion de sa faillite comprise. »
« La société semi-séculaire
depuis le Baroque, permet le compromis historique entre l’amélioration de soi
et l’amélioration du monde. Tandis que la première reste totalement de la
compétence de l’individu qui désire changer, la deuxième dépend des
performances des enseignants, des inventeurs et des entrepreneurs qui ont peuplé
le champ social avec les résultats de leur activité, résultats pédagogiques
d’un côté, techniques et économiques de l’autre. Sous l’aspect du changement de
méthode, on remarque ici à quel point le centre de gravité se décale peu à peu
de l’influence de l’individu sur lui-même vers l’influence, provenant quasi de
l’extérieur, des enseignants et des inventeurs sur les masses. »
2/ Retrouver
Marx, Jean Claude Michéa. (3) Il milite pour le retour à une philosophie de
« la vie commune », pour une limitation de la revendication des nouveaux droits
des individus qui nous entrainent vers une société d’individus atomisés. Il
rejette la privatisation des biens et valeurs qui ont vocation à rester ou à
devenir des biens communs.
« Or ce refus de réduire l’essence
de la société à un simple agrégat de particules contractantes n’ayant entre
elles de relations que fondées sur le calcul d’intérêt (…) ne nous rappelle pas
seulement qu’il existe aussi des liens qui libèrent (comme par exemple,
l’amour, l’amitié ou le sens de l’entraide), et que notre épanouissement
individuel trouve par conséquent certaines conditions indispensables dans
l’existence d’une véritable vie commune. »
« Dans quel nouveau langage
philosophique et politique capable de prendre enfin en compte l’instance de la
vie commune et de distinguer ainsi les libertés qui renforcent notre autonomie
individuelle et collective de celles qui accroissent notre atomisation. »
« La libre concurrence impose aux
capitalistes les lois immanentes de la production capitaliste comme des lois
coercitives externes. »
3/ Refonder le libéralisme,
Monique Canto-Sperber. (4) Elle
prend acte de la perte de libertés dans notre vie sociale (mise en fiches,
profilage, écoutés et filmés sans notre consentement), politique (dépossession
du pouvoir dans des institutions de la démocratie représentative ne permettant
pas la participation effective) et économique (impuissance des pauvres à
s’affranchir d’une inscription sociale).
La liberté naturelle n’est ni
bonne ni mauvaise, celle-ci ne fait que convertir en puissance d’agir le droit
de rester en vie qui appartient à tout homme et fait que chaque individu a une
souveraineté illimitée sur lui-même, mais le libéralisme contient des
ambiguïtés, notamment politiques. Il faut redéfinir les liens entre la liberté
politique (ou citoyenneté) et la liberté libérale : le fait que nul ne
m’opprime et que je sois libre ne suffit pas si je ne suis pas doté des moyens
d’échapper à l’asservissement économique et social. Le remède : la participation
politique comme perfectionnement individuel et collectif doit permettre une
appréciation vigilante de la légitimité du pouvoir.
« La société libre n’est pas
seulement une société où chacun jouit de ressources minimales lui permettant
d’être un acteur social, c’est surtout une société où les possibilités d’en
faire usage pour se transformer soi-même et s’affranchir de la condition où
l’on est né comme de l’environnement où l’on vit sont nombreuses et illusoires.
»
« Il paraît difficile de faire de la liberté
économique le modèle même de la liberté. Car beaucoup d’individus n’ayant ni
capital ni les moyens de produire quoi que ce soit, cette liberté se réduit
pour eux à échanger sur le marché la seule chose qu’ils possèdent, à savoir
leur force de travail autrefois, et aujourd’hui, du moins pour certains, leur
intelligence, voire leur personnalité… »
« La liberté sans moyens est
toujours la liberté tandis que des moyens de liberté sans garantie de libre
usage, ce n’est plus la liberté »
« La liberté politique dont les conditions
sont le pluralisme politique et la neutralité de l’État, et qui s’exprime dans
la capacité à définir des arbitrages entre libertés et bien collectifs. »
(1) « Qu’est-ce que la philosophie antique » de Pierre
Hadot.
(2) « Tu dois changer ta vie » de Peter Sloterdijk.
(3) « Le loup dans la bergerie » Jean Claude Michéa.
(4) « La fin des
libertés ou comment refonder le libéralisme » Monique Canto-Sperber.
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