La science est-elle libre ?
La science consiste en savoirs, connaissances claires et
certaines, fondés sur des principes évidents et des démonstrations, des
raisonnements expérimentaux, ou sur l'analyse des sociétés et des faits
humains. On distingue les sciences exactes comme les mathématiques ou la
physique théorique, les sciences expérimentales de la nature, de la matière, de
la vie (biologie) , et les sciences humaines contenant un discours théorique
avisé explicatif concernant l’homme, son histoire, son comportement
linguistique, psychologique, social ou politique. La science, dans son sens
général, s’oppose à l’opinion par nature
arbitraire. La science ainsi définie a donc partie liée avec la liberté et
cette dernière a parfois été payée au prix fort.
En 1543 Copernic lance la terre dans les cieux et, en plaçant le
soleil au centre du monde, impose de repenser la nature de l’homme, sa
situation et son rapport à Dieu, Ainsi de repenser la science, l’ordre social
et la conduite de la vie de chacun.
Giordano Bruno, dont la vie tumultueuse s’acheva sur le bûcher
en 1600, ouvrit sur l’infini le monde clos des anciens, mais aussi celui de
Copernic. Une nouvelle vision de l‘univers s’impose où l’infini n’est ni
tragique ni angoissant, signifiant la venue d’une nouvelle liberté, la
reconnaissance de l’étonnante richesse de la réalité et finalement du pouvoir
sans limite de la pensée humaine.
Un monde nouveau est alors à construire. Longue et rude tâche
accomplie, entre autres, par Galilée, Descartes, Newton. Au siècle des
Lumières, le champ de la rationalité s’est ouvert et avec lui de nouvelles
libertés et de nouveaux droits se sont imposés progressivement dans la société.
Des Lumières, pour hier comme pour aujourd’hui, afin que la raison triomphe
contre les clôtures dressées par les intérêts et les pouvoirs. Tout comprendre
parce que tout peut être questionné et que tout doit être questionné.
Bénéficiaire de la science, l'homme ne devrait pas en être
l'objet. D’où de multiples
oppositions à toute tentative de procréation humaine par clonage : l'Eglise
catholique, l'Unesco, le Conseil de l'Europe, le G8, etc. Mais, insensiblement,
sont apparues des failles dans la belle unanimité des condamnations
officielles. Des pasteurs protestants, des personnalités juives ou musulmanes
ont plaidé en faveur de ces recherches. Jusqu’au Congrès américain qui obtint
de repousser un projet de loi conservateur contre le clonage humain.
Ce débat montre que l’éthique diffère d'une culture à l’autre.
D'un côté, l'empirisme anglo-saxon, influencé par David Hume ou John Stuart Mill refuse toute
interdiction a priori. De l'autre, les latins, attachés à une vision d'intérêt
général, à un impératif supérieur du bien
public. Elle a du mal à trouver sa voie. Et selon l'expression du professeur
Jean Bernard, Il est important, dans tous les cas, « de garder le sens de
l'humain » pour éviter les
expériences de type Mengele dans les camps nazis, ou celles des japonais sur
les Chinois !
«Le XXe siècle a montré que nous ne maîtrisons plus de façon certaine les conséquences
lointaines de nos actions » (Etienne Klein). Considérée jadis comme neutre, c’est à-dire
apportant autant de bien que de mal, la science avec ses applications détient
désormais la capacité de compromettre le devenir de l'humanité.
Le génie génétique est une des sciences qui, avec la biologie et
le nucléaire, provoque le plus de craintes dans le public. Ainsi est apparue la
bioéthique. La référence à la notion de survie et donc à l'idée d'une possible fin de l'humanité
donne la nature des enjeux qui lui sont assignés? la suspicion s’étant étendue sur la
communauté scientifique après divers accidents : Tchernobyl, sang contaminé,
hormones de croissance, amiante,etc..
La science a permis beaucoup de progrès (allongement de la durée
de vie, éradication des famines. Mais cette liberté doit s'exercer à quelques
conditions que les lois imposent : utilité des recherches, consentement éclairé
des individus, limitation de la souffrance des animaux, etc.
Un chercheur a d’abord une idée. Il fait ensuite des tentatives
dans tous les sens parce qu'il pense pouvoir en tirer un élément intéressant. Enfin, dès qu'il a besoin
de financements pour la poursuite de sa recherche, puis, au stade de
l'application, il essaie d'obtenir des aides de l’industrie loin d’être neutre.
En 1990, l'Europe a édicté une directive sur les plantes
transgéniques avant qu'aucun accident ne se soit produit. Le principe de
précaution était né, préconisant de s'abstenir d'un acte dont on ne connaît pas
avec certitude les conséquences. ”La seule certitude, oppose le philosophe JJ. Salomon, c'est que, comme naguère
pour l'atome, les scientifiques peuvent dès maintenant utiliser le génie
génétique, sans en avoir compris tous les ressorts”
Les gouvernants ont à trancher entre l'expertise des
scientifiques et l'acceptabilité de l'opinion. Mais les experts sont rarement
totalement indépendants, et les citoyens peu cultivés en matière
scientifique. C'est donc auprès de comités d’éthique qu'ils
cherchent des conseils éclairés. Ces
comités sont eux-mêmes l’objet de critiques et de la part des scientifiques et
de la part de la société civile, qui les trouvent tour à tour trop lents,
frileux, plutôt scientistes,
ou encore acceptant des compromis avec les groupes de pression.
Bien souvent l’idée que l’on se fait de la recherche dépend pour
une large part de son propre champ de compétences. Le concept de science, loin
d’être défini comme le suggère, par exemple, René Descartes, par l’idée de la
« connaissance de toute chose » semble bien plutôt, de nos jours,
accommodé à toutes les sauces.
On ne sait plus très bien ce qu’il faut en penser, sauf que,
sans doute, il y a de la science lorsqu’il y a des mathématiques, des
laboratoires, des ordinateurs, une bonne rasade d’Internet, masquant souvent
d’énormes profits économiques. Il est peu de découvertes scientifiques qui ne
se monnaient aujourd’hui presque aussitôt en spectaculaires retombées
technologiques (le laser), peu de découvertes scientifiques qui n’empruntent à
une technologie leurs conditions mêmes de possibilité (le génie génétique). On
parle ainsi de technosciences.
”Ce ne sont pas les hommes qui ont besoin de la technologie mais
l’inverse. La médecine a
besoin de grands malades, les industries de la culture ont besoin d’imbéciles, les banquiers ont besoin
des addictions consuméristes. Le système fonctionne en exploitant les
faiblesses et la misère de l’homme” (Dugué Philosophe et docteur en
pharmacologie).
Quant à la politique, «
Il est prouvé que… », « du point de vue scientifique… », « objectivement, les
faits montrent que »... Combien de fois de telles expressions ne scandent-elles
pas le discours de ceux qui nous gouvernent ? Car depuis que nos sociétés se
veulent démocratiques, le seul argument d’autorité quant à ce qui est possible
et ce qui ne l’est pas provient de la science.
Mais ce n’est pas par décrets et discours que l’on construit de
nouvelles théories, mais par un travail de réflexion, de pensée, par un travail
de vagabondage à travers d’autres champs théoriques et conceptuels, par un
travail continu et assidu, parfois méditatif, par un travail qui demande du
temps, de la concentration et de la liberté.
En voulant trop imposer les exigences de la société marchande à
la vie des laboratoires, la poule aux œufs d’or sera tuée. (Michel Blay
Philosophe et physicien)
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