lundi 10 juin 2019

Sujet du mercredi 12 juin 2019 : LE FEU PEUT-IL PURIFIER LES ÂMES ?


                 LE FEU PEUT-IL PURIFIER LES ÂMES ?

Si la philosophie ne peut trouver son premier fondement que dans la réalité des faits, il faut rappeler la persistance historique des purifications par le feu : razzias, politique de la terre brûlée, autodafés (supplice par le feu de l'Inquisition), bûchers de condamnés et de sorcières, fours crématoires, embrasements de livres, d'œuvres d'art et d'assemblées nationales, mesures prophylactiques, décontaminations diverses...    

A l'occasion de l'incendie de Notre Dame de Paris, la réponse à l'intitulé a paru immédiatement évidente à beaucoup. Cet incendie était l'expression de la purification des âmes corrompues et dévoyées des hommes et des sociétés actuels. L'incendie serait donc, presque inconsciemment pour nous, le signe avant-coureur des multiples apocalypses en cours dont nous serions personnellement et collectivement tous coupables. Et qui nécessitent croyance, obéissance et purgation de nos errements climatiques, biologiques (la vie elle-même, rien que ça!), financiers et spirituels. « La terre est en chute libre ! On n'est plus dans l'urgence, c'est la catastrophe généralisée ! ». Savonarole, tu es enfin de retour afin de purger l'humanité pervertie.

Ce serait le brusque sursaut d'un tardif réveil. L'incendie, le feu serait l'agent destructeur du mal et la lumière éclairant le chemin purificateur de la rédemption.

Beaucoup ne s'y sont pas trompés qui ont racheté la culpabilité de leurs actes et de leurs pensées perverties dans un monde déchu. Rachat par les « Indulgences » de leurs extravagantes oboles. Tandis que l'Eglise et la papauté, représentant le divin ici-bas, ne pouvaient par définition y contribuer… qu'en les recevant ! L'âge médiéval ressurgit. « Le 21ième siècle sera spirituel ou ne sera pas » (André Malraux).

L'idée est lâchée. Dieu est créateur du monde. Il est l'origine et la fin. Dans son absolue pureté créatrice, il se situe nécessairement en dehors de sa création, hors de l'espace et du temps, de toute éternité. On baigne dans l'absolu de l'indémontrable humain, dans une vue de l'esprit proprement métaphysique.

Dès lors, il nous faut débusquer le sophisme de l'intitulé qui associe abusivement un phénomène matériel, le feu, à deux notions purement illusoires, la pureté et l'âme. Ici, il nous faut argumenter.

1°.   L'absolu, la pureté d'une chose renvoie à ce qu'elle est en soi, une fois dégagée de toute autre chose. C'est son essence. C'est l'être même de la chose, c'est son origine. Mais y a-t-il jamais origine et donc essence, racine ultime ? Une chose, un objet existe-t-il en soi, indépendamment de toutes autres choses, écartant de soi toute diversité ? C'est un fantasme de la pensée individualiste.

Cela s'explique. Affirmer l'existence d'un objet, c'est admettre que cet objet aurait pu ne pas être. C'est donc imaginer que cet objet n'existe qu'en raison d'un événement, son origine, qui lui a donné l'être. Cette conception des choses conduit à une impasse, une aporie philosophique. Par exemple, historiquement les hommes se sont demandé sur quoi reposait le sol, le plancher des vaches. Les cultures ont répondu : « sur le dos d'une tortue, d'un éléphant, ... ». Qui eux-mêmes devaient alors reposer (eh oui, tout tombe !) sur une série sans fin vers le bas de semblables à eux. Et, finalement, la terre reposerait sur les épaules d'Atlas, un costaud dieu anthropomorphe. Ou tout autre dieu : Yahwé, Dieu le Père ou Allah. Ou … le Big Bang (en étasunien, s'il vous plaît, l'époque oblige). Voilà l'inanité métaphysique de la pureté. Celle de tout objet matériel ou conceptuel qu'importe, tel celui de race par exemple.

Non l'origine, la pureté inatteignable est une pure vue de l'esprit car les parties (les choses) ne peuvent exister sans le tout, et réciproquement. La notion de pureté est le fruit d'une démarche métaphysique au-delà du réel.

Que le sol ne repose sur rien, sur aucune origine ou perfection, est le fruit d'une autre conception qui est l'opposé de la première. C'est l'« indéterminé », conçu par Anaximandre il y a plus de 2600 ans. Le premier, il conçoit que la terre flotte dans l'espace en équilibre avec les autres astres. Si bien qu'ils n'ont aucune raison de se déplacer les uns vers les autres dans quelque direction privilégiée que ce soit. Et donc dans toute direction qui serait déterminée. C'est cela l'indéterminé. Par ailleurs, si beaucoup plus tard Newton a traduit en mouvement cette conception statique, il restait néanmoins prisonnier d'un espace infini et homogène et donc statique en grand. « Pur » en quelque sorte. Encore et toujours pur ..! Einstein introduisit la relativité par un « impur » changement perpétuel (peu apprécié des Nazis).  Les astres sont nécessairement animés de mouvements changeants dans un espace en expansion bien que « replié » sur lui-même par un champ gravitationnel, qui n'est rien d'autre que sa propre expression. Rien d'absolu ou de « pur » là-dedans. Tout y est rapports de relativité.

2°.  En outre, l'intitulé associe pureté et âme. Il procède ainsi de la même démarche qu'au point 1°. En associant ces deux notions, il surmultiplie leur caractère irréel. L'existence concrète d'un objet appelé « âme » est en effet indémontrable et non identifiable, au même titre que la pureté.

3°.  Par contre et contrairement à la pureté et aux âmes, le feu est un phénomène physique. Il n'est que la dispersion et la recombinaison sous d'autres formes des parties d'un objet, lui aussi matériel. User et abuser de la métaphore d'un feu purificateur des âmes et lumière morale du monde, c'est erronément associer un objet concret à deux entités illusoires comme vues fantasques de l'esprit. La vulgate qui court à propos de Notre Dame prétend en outre conjuguer entre elles ces deux notions pour surmultiplier leur nature irréelle.

De là que le feu puisse purifier les âmes, il y a l'impossibilité de l'absurde. Ce qui n'empêche néanmoins pas que l'imposture métaphysique, transformée par les « Indulgences » en arnaque bien concrète et réelle, soit passée dans l'existence de bien des hommes et d'institutions de par le monde.

Ce constat permet de comprendre comment tourne le monde des hommes. Et de débusquer les idées fausses qui nous déterminent à notre insu (Baruch Spinoza). Parmi elles aujourd'hui il y a la terreur climatique, biologique (la vie sur terre, rien de moins!), financière, spirituelle... Et les troubles profonds de l'esprit (Epicure) qui en découlent. Ils ont permis entre autres de « s'exploser » par l'hubris superficiel des « selfies » répétés devant l'icône de la cathédrale en feu.


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