Comment penser ensemble ?
"Qu’est-ce qui pourrait donc assurer une qualité intellectuelle, une
teneur réflexive au débat démocratique ?
Élever l’instruction de tous paraît
incontournable, mais ne semble pas suffisant : on peut apprendre à manier
de mieux en mieux les outils de la rhétorique, et devenir un bon vendeur, un
excellent publicitaire ... ou un politicien convaincant. Nous avançons dans le
cadre éducatif une autre proposition : s’entraîner à la discussion à visée
philosophique, et ce dès le plus
jeune âge.
Celle-ci
suppose en effet de constituer le groupe en “ communauté de
recherche ”, où l’enjeu principal bien au-delà des jeux de pouvoir et de
séduction dans un collectif, devient une démarche de recherche de vérité par
rapport à la question fondamentale, posée là à tout homme. On ne lutte plus
contre, on cherche avec (débat heuristique, et non éristique selon Aristote).
La visée philosophique d’une telle discussion implique des exigences intellectuelles, pour que chacun cherche à penser ce qu’il dit. Disposition à :
problématiser, c’est-à-dire mettre en question ses affirmations, considérer ses thèses comme des hypothèses, remonter au problème dont elles se prétendent les solutions, interroger la question elle-même, dans ses présupposés et conséquences…
conceptualiser, c’est-à-dire tenter de définir les notions convoquées pour penser, identifier et élaborer des distinctions conceptuelles, pour préciser ce dont on parle …
argumenter, c’est-à-dire déconstruire des affirmations, répondre à des objections, fonder rationnellement son discours, pour savoir si ce qu’on dit est vrai …
Dans cette
éthique communicationnelle qui est en même temps une morale de la pensée, on
n’écoute pas seulement les autres par respect, on a besoin d’eux pour cheminer
dans l’énigme humaine. Dans cette communauté d’esprits rationnels visant
l’auditoire universel, on ne fait de cadeau ou de bobo affectifs à personne,
mais toute objection est un cadeau intellectuel pour aller plus loin...
Une telle
discussion n’a peut être jamais existé, mais cette “ matrice didactique du
philosopher ” est un
“ idéal régulateur ” (Kant) utile pour tous ceux qui cherchent à
donner une visée philosophique à une
discussion dans la cité ou en classe.
Nombre de
pratiques s’y essayent aujourd’hui, en avançant l’idée d’un
“ citoyen réflexif ”, c’est-à-dire qui se fait une idée exigeante du
débat démocratique. Le penser ensemble démocratique pourrait ainsi se “ muscler
réflexivement ” en s’étayant de l’entraînement au penser ensemble philosophique.
Cette idée d’une
“ démosophie ”, ou sagesse du peuple, nous sortirait ainsi du dilemme
dans lequel Platon avait voulu nous enfermer : l’aristocratie philosophique des idées contre la démagogie
démocratique des préjugés de la foule.
Mais encore faut-il, pour que cette
utopie travaille notre société, que les philosophes
professionnels ne désertent pas les cafés-philo,
et que l’école prenne au sérieux l’éveil de la pensée réflexive chez l’enfant…
….Le “ penser-ensemble ” de la discussion philosophique à plusieurs apparaît donc comme un
pari et un défi : ceux relevés par les cafés-philo
dans la cité, et par tous ceux qui dans le système éducatif, de la classe
terminale à l’école primaire, instaurent des discussions “ à visée philosophique ”.
D’autant que ces pratiques
innovantes sont menacées par les dérives toujours possibles de l’usage commun
dans notre société du penser ensemble : le débat démocratique."
M. Tozzi. Prof de philo, in "pratiques philosophiques" ( extraits ).
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