lundi 6 août 2018

Sujet du Merc. 8 Aout 2018 : Écouteurs et casque audio : quand la musique devient antinomique à son essence


Écouteurs et casque audio : quand la musique devient antinomique à son essence     
                                         
Il est 7h54 du matin, lorsqu’un lundi a priori « comme les autres », je m’apprête à monter dans le tramway montpelliérain pour me rendre à la gare. D’un réflexe pavlovien, je mets mon casque audio sur les oreilles. Le voilà maintenant ornant mon crâne, devant la porte électronique qui s’ouvre devant moi. Je ne me souviens plus de ce qui se joue entre la mousse des écouteurs et mes oreilles à ce moment précis, mais ce dont je me rappelle distinctement, c’est qu’après m’être confortablement installé, j’ai observé quelques secondes les personnes qui se trouvaient autour de moi. Spontanément, mon cerveau s’est pris d’une réflexion profondément pessimiste : nous voilà tous réunis ici, dans le même espace-temps : quel fabuleux concours de circonstances ! Nous pourrions discuter, échanger, parler de tout, de rien, ou bien au contraire philosopher (et pourquoi pas ?) ou juste apprendre à se connaître, côtoyer l’autre le temps de ce bref trajet. Mais malheureusement, nous n’étions pas là. Pas physiquement bien sûr, mais mentalement. Pour la grande majorité (moi y compris), nous étions les prisonniers volontaires de notre bulle solitaire : en plus de s’éviter du regard à cause d’un smartphone, d’un journal ou d’un ouvrage, notre ouïe vagabondée dans une mélasse d’instruments et de chants en tout genre. Voilà le récit d’où émerge ma pensée.

Avant toute chose, ce sujet pose une question essentielle qui doit être éclaircie ou du moins débroussaillée avant d’entrer dans le cœur même de la proposition. En effet, nous devons nous demander ce qu’est l’essence de la musique. Après seulement, nous pourrons argumenter en faveur ou en défaveur de la véracité de l’intitulé du sujet comme quoi les appareils d’écoutes individuelles sous toutes leurs formes sont antinomiques à l’essence de la musique.

Qu’est-ce que la musique ? Un art qui fait se marier des sons ? Des harmonies ? Des nuances sonores ? Des rythmes ? Une poésie sans parole qui atteint « l’âme », entraînant des émotions souvent indescriptibles par le langage ? La synergie de tous ces éléments et plus encore ? J’oublie sans doute certaines caractéristiques de la musique, ne possédant pas les compétences requises dans ce domaine.

Depuis quand existe-elle ? Chez les hommes, depuis la préhistoire semble-t-il. Les données anthropologiques ont permis de déterminer que des instruments avaient été retrouvés et datés, étant anciens de plusieurs milliers d’années. Nous avons également découvert des traces de cérémonies et de spectacles préhistoriques. Cependant, la musique en soi existe de tout temps, depuis que le monde physique a fait son apparition et que la réalité est capable d’émettre des sons qui comportent les caractéristiques citées. De quoi s’est inspiré l’homme pour faire de la musique si ce n’est de l’orchestre sauvage que forment animaux, végétaux, minéraux ; océans, mers, fleuves et rivières ; montagnes et volcans ; vents, intempéries, foudre ; etc.

Maintenant que cela est posé, quelle est l’essence de la musique ? L’essence de la musique, c’est en effet tout ce qui précède. Mais sa base même, en tout cas l’idée dont elle suit nécessairement, c’est bien l’idée de son. Sans lui, pas de musique possible, ni dans le réel, ni dans l’entendement. Essayez donc de demander à un sourd d’imaginer ce qu’est la musique. Et à quoi sert le son ? Chez l’homme (comme chez l’animal) le son sert (principalement) à communiquer de manière précise (Il ne faut pas oublier que le son et le langage sont venus faciliter et perfectionner les échanges. L’homme communiquait aussi par des signes et c’est ce que font toujours les sourds et les malentendants, mais elle empêche l’accès à d’innombrables informations comme l’intonation, la vitesse du phrasé, le type de voix, etc..) et donc à tisser des relations sociales et interpersonnelles. Nous commençons à nous rapprocher de là où je veux en venir. Si l’essence de la musique c’est le son et donc par association d’idée, la communication entre les individus, cette dernière semble être aux antipodes de son essence dans le récit que je décris au début de ce philopiste. Voilà les brèves pensées qui m’ont traversé l’esprit lors du constat effarant qui a été le mien lors de cette matinée estivale.

Néanmoins, n’existe-t-il pas toujours une forme de communication entre l’artiste, l’interprète, le compositeur, etc. et celui qui écoute même à travers ses écouteurs ? Comme il existe une communication entre un auteur et son lecteur ? Mais dans la grande histoire de la musique, celle-ci a, semble-t-il, été utilisée pour fédérer, échanger, faire la fête, émouvoir, etc. Ce n’est que très récemment, avec la possession des appareils de lecture musicale à domicile (vinyle, chaine hi-fi, lecteur CD) et d’écoutes individuelles (écouteurs, casques audio) que la musique a pu devenir un plaisir solitaire. Mais alors le musicien qui jadis, jouait d’un instrument ne pouvait donc pas prendre de plaisir à jouer seul de son instrument, isoler de tous ? Il semble que la réflexion m’amène à nuancer mon constat de départ. À moins que le musicien – et seul pourra nous répondre un vrai musicien – en jouant seul, se représente déjà en train de communiquer sa musique au monde. Existe-t-il un plaisir pour le créateur, s’il est seul à connaître sa création ?

Qu’en est-il des autres arts ? Peinture, écriture, sculpture, dessin, cinéma et j’en passe. Sont-ils tous antinomiques à leurs essences ? Nous exprimons nos interprétations devant une peinture majestueuse ; nous discutons des écrits ou des textes qui nous ont marqués ; de même concernant des œuvres cinématographiques sensées. L’art peut-il vivre sans le partage qui va au-delà de la relation entre l’artiste et le spectateur. Être seul spectateur d’une œuvre d’art est-il satisfaisant ? Il semblerait que l’art et donc la musique dont on parle aujourd’hui sépare autant qu’il rassemble : il éloigne périodiquement les gens lors d’écoutes individuelles, de visionnages de film, ou de contemplation d’un tableau ; D’un autre coté il rassemble lorsqu’on vient à pouvoir discuter avec l’autre de ce que tout cela évoque en nous.

Cependant, il reste ici le problème de la découverte de l’œuvre. L’écoute individuelle (écouteurs) et le visionnage individuel (télévision, internet) permettent de faire l’expérience solitaire de la découverte d’une œuvre d’art. Nous connaissons tous cette expérience qu’est le visionnage d’un film, l’écoute une musique, la découverte un tableau ou d’un lieu, sans personne, totalement seul… Une chose que nous voulons faire spontanément après, c’est partager et c’est bien pour ça que nous sommes réunis chaque mercredi également, partager nos réflexions.

Pour illustrer mon propos, je vais brièvement raconter un propos anecdotique et très personnel. Je me remémore une soirée où je m’étais rendu pour la toute première fois seul au cinéma. L’instant qui a suivi la séance a été profondément frustrant. J’avais pour habitude d’y être toujours en groupe et de débattre du film immédiatement après, de parler de ce qui nous avait plu et déplu, des sujets évoqués par rapport à notre société actuelle, etc. L’art reste donc un moteur pour partager et communiquer, même si ce problème de la découverte ne m’apparaît pas complètement résolu. En effet, faire partager une œuvre que l’on connaît déjà n’a pas le même impact (émotionnel, fédérateur, etc) que sa découverte simultanée entre les hommes.

Comme tout, la musique s’est aussi transformée en propriété individuelle, permettant à chacun de l’écouter seul, au gré de ces émotions et de ces goûts respectifs. Mais ce n’est qu’une seule des innombrables choses qui puissent être possédée individuellement par l’homme et qui, par conséquent, nous éloigne des autres. Si après cette réflexion, ma vision sur cette proposition est moins binaire qu’au départ, il semble que la musique, avec l’essor de l’écoute solitaire et des genres musicaux bien distincts, a tout de même perdu une partie de « son âme » et de ce qui la caractérisait, à savoir, réunir et rassembler.

Après cette réflexion, qui a finalement amené plus de questions que de réponses (c’est le signe que c’est une bonne réflexion, non ?) il m’apparaît que le réel sujet que j’ai voulu traiter ici, ombragé par cette proposition sur la musique est, me semble-t-il, les rapports sociaux qu’entretiennent les hommes entre eux.



Le prochain sujet : «L’homme équilibré est-il fou ? »
sera traité le Jeudi 16 Août (PAS le mercredi !)





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