lundi 20 août 2018

Sujet du Merc. 22/08/2018 : que ferions nous sans la mort ?


Que ferions-nous sans la mort ?
L’intitulé exact et précis de cette question est en réalité : que ferions-nous sans la conscience que nous avons de notre mort certaine ?
Débarrassons-nous tout de suite de l’immortalité religieuse ou d’une vie éternelle dans un ailleurs inconnu. Cela étant dit, définissons brièvement la mort. Biologiquement, un état de mort clinique est l’état où le retour à une conscience de soi est impossible. En d’autres termes un organisme peut-être biologiquement en activité (c’est d’ailleurs le cas quelques heures et jours après le décès où nos cellules continuent d’exprimer certaines protéines et autres matériel génétique (1)) mais la mort ici, est l’état dans lequel la perte de la conscience de soi est irréversible. C’est ce qu’on appelle donc, je le répète, la mort clinique. Évitons de tomber dans les travers des « petites morts » et des « renaissances », à grands coups de formules banales, comme quoi nous serions nés de nouveau, en ayant vraiment trouvé qui nous sommes réellement au fond de nous. Ce qu’on appelle la mort et qui angoisse tant les hommes, c’est la disparition éternelle de l’état conscient.
Pourtant comme le souligne Épicure et bien après lui Montaigne, cette angoisse de la mort est difficilement justifiable par la raison : en effet, lorsque nous sommes, la mort n’est pas là et quand la mort est venue nous ne sommes plus là pour voir à quoi elle ressemble. L’angoisse de la mort ne se trouve alors que dans la capacité consciente qu’à l’homme à s’imaginer éternellement inconscient. L’animal n’as pas peur de la mort et ne s’en soucie qu’au moment où elle survient.
Bien, après cela venons-en au sujet proposé. Ma réflexion est née d’un courant de penser qui ont extrapolé une volonté de l’homme à un désir prétentieux et empli de folie.  Cette volonté de l’homme, c’est celle de repousser l’arrivée de la mort. En effet en prévenant l’insécurité du monde extérieur (logement), celle de la famine (agriculture), les accidents (campagnes de préventions pour les comportements à risques de tous types), les maladies (par la médecine) et que sais-je encore, l’homme cherche à repousser constamment l’arrivée de la mort.
Le courant de pensée dont je parle ici est celui des immortalistes. Leur doctrine est grossièrement la suivante : le monde est tellement riche, il y a tellement de choses à voir et la vie est tellement courte qu’ils désirent au plus profond d’eux, non pas repousser, mais TUER la mort.

Allons voir ce que cela implique :
  • Premièrement, cela hisse l’homme a un état d’omniscience biologique phénoménale jamais atteint et difficilement envisageable. En effet comprendre les tenants et les aboutissements du vieillissement pour le retarder c’est une chose. Parvenir à l’enrayer entièrement en est une autre. Et puis le vieillissement est loin d’être la seule cause de la mort.
  • Deuxièmement, cela pose question sur la possible existence d’individus qui n’existent pas encore. En effet, si le nombre de décès décroit brutalement, il faudra mettre en place une politique féroce de dénatalité pour que la balance reste stable ou nous risquons d’avoir de sérieux problème de surpopulation sous peu de temps. Même si nous ne pouvons pas parler de droit pour des êtres qui n’existe pas, je ne suis à titre personnel, pas très à l’aise avec ce schéma de pensée.
  • Troisièmement, et c’est toute la question de ce sujet, que ferions-nous ? L’homme s’attriste parfois de l’absence de sens dans son existence. Cela donne naissance à des questions existentielles que tout le monde c’est au moins posé une fois : quel est le sens de la vie ? Puis-je trouver ou donner un sens à ma vie ? En effet, il apparaît difficile de trouver un sens à sa vie quand nous sommes nés « par hasard » (ou plutôt grâce à un enchainement d’innombrables causes- effets que nous ne parvenons pas à mesurer) dans un monde qui s’en fout et dont nous repartirons sans faire d’histoire. La recherche de sens et de cohérence est propre à l’homme et donne naissance aux plus belles avancés scientifiques mais également aux pires des croyances. Paradoxalement, si c’était la mort qui donnait un sens à notre vie ?  En effet, tentons l’expérience de pensée caricaturale suivante : L’homme s’est hissé au rang de sachant suprême, il peut contrôler aisément le vieillissement, combattre avec facilité toute maladie qui surviendrait, empêcher les intempéries, contrôler les naissances, a créé des infrastructures et des villes hyper sécuritaires ou les accidents (du moins mortels) ne sont plus possibles et il aurait même trouvé la recette magique pour préserver le monde physique de toute extinction, etc. L’homme se plait donc à manger, boire, tisser des liens sociaux, faire du sport, s’accoupler (pour le plaisir uniquement), se divertir, écrire, lire, peindre, jouer d’un instrument, visiter le monde, comprendre encore et toujours ce qui l’entoure, encore, encore, encore et encore, etc. Pensez-vous que si la mort était éradiquée l’homme s’attèlerait à autant de taches ? Pourquoi ? Dans quelle espèce de but ? Si avec la mort la vie n’a finalement, me semble-t-il, pas plus de sens, elle lui apporte au moins le mouvement. Demain, je ne serai peut-être plus de ce monde. Demain, tu ne seras peut-être plus de ce monde, toi qui me lis présentement. Demain on, nous, vous, ils, et à l’infini ne serions peut-être plus de ce monde. Après notre futur existe uniquement parce qu’on y croit. Et c’est bien pour ça que nous vivons et que nous nous mouvons tous ensemble : parce que demain n’est pas certain. Si demain est assuré, et bien à quoi bon ?
Je pense qu’il est bon de démontrer que cette pensée immortaliste relève plus d’une folie de cryobiologiste ou bien d’hommes terrifiés et hors de toute réalité pragmatique, emplie de prétention et qu’elle n’est pas souhaitable et cela même si elle était réalisable.
Que dirait Montaigne, qui autrefois s’exclamer que « Philosopher c’est apprendre à mourir » dans le sens où comprendre la mort et accepter son aspect inéluctable, c’est ne plus y penser, libérer son esprit de cette fin certaine et donc paradoxalement apprendre à vivre car, comme il le souligne également « c’est une perfection absolue et pour ainsi dire divine que de savoir jouir de son être ». Que dirait-il en observant ces gens, y penser toute leur vie, lutter contre elle, dans l’espoir de l’anéantir, pour au final mourir quand même sans avoir vécu ? Et à l’inverse, ces autres gens n’y point pensant, qui préfèrent esquiver la question en s’abreuvant de divertissement dans un puits sans fond ?
Maintenant, revenons à une pensée plus concrète. Il paraît tout à fait acceptable cependant que l’homme cherche à retarder l’heure de sa mort, comme il l’a toujours fait. Ce qui importe, c’est que la « peur », la « conscience », ou « l’excitation », vous l’appellerez bien comme vous le voulez, de ne plus être là demain, doit rester immuable. Sans ça, l’homme court à sa perte. Néanmoins, si la mort vient à être toujours possible, mais très rare et très retardée grâce à la science, se posera toujours la question pour les potentielles générations futures qui n’existeront donc pas.
Je vous laisse donc là quelques citations à méditer, d’une pertinence assez éclairante compte tenu du sujet proposé :
« Qu’est-ce que la vie, si ce n’est la mort, que l’on nous accorde pour être en vie ? » Damso, rappeur de la scène franco-belge.
« De même que les hommes ont besoin de changer de vêtements, les idées ont besoin de changer d’hommes » Paul Valéry, écrivain, poète et philosophe français.
« Un immortel remet éternellement au lendemain ce qu’il n’a pas envie de faire » Georges Wolinski, dessinateur de presse français.
Nous troublons la vie par le souci de la mort. Je ne vis jamais un paysan de mes voisins réfléchir pour savoir dans quelle attitude et avec quelle assurance il passerait cette heure dernière. La Nature lui apprend à ne songer à la mort que lorsqu’il est en train de mourir Montaigne, Philosophe français


(1)   The effects of death and post-mortem cold ischemia on human tissue transcriptomes. Journal Article published 13 Feb 2018 in Nature Communications volume 9 issue 1 Authors: Pedro G. Ferreira & al https://doi.org/10.1038/s41467-017-02772-x 

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