lundi 2 juillet 2018

Sujet du 04/07/2018 : « C’est l’un des droits absolus de l’état de présider à la constitution de l’opinion publique » J. Goebbels


«  C’est l’un des droits absolus de l’état de présider à
la constitution de l’opinion publique » J. Goebbels

Tous les états se donnent des pouvoirs non contestables par les citoyens. En France on appelle cela les droits régaliens (de Regalis : roi). La force armée, la création de lois …. Sont des attributions régaliennes, absolues. La phrase de Goebbels assigne à l’Etat une mission jamais prononcée dans nos « démocraties » : constituer une « opinion publique ». Mais qu’en est-il vraiment ?
            

La vision classique du rôle démocratique de la presse, incarnée dans les protections constitutionnelles de la liberté de la presse, dans les chartes de déontologie journalistique ou encore dans les discours sociaux dénonçant les dérives des médias, se heurte aujourd’hui à une mutation radicale de la communication publique.
L’écart entre l’idéal d’une presse garante du débat public et les formes technologiques, économiques et culturelles de la communication de masse a certes été constamment décrié depuis le XIXe siècle. Jürgen Habermas dénonçait ainsi, il y a près d’un demi-siècle, la corruption du principe de publicité : sous l’effet de « contraintes de sélection toujours plus puissantes ».
Les journaux indépendants de l’Europe des Lumières, qui assuraient l’existence d’une sphère publique de discussion rationnelle-critique en reliant les lieux formels et informels de délibération, ont cédé la place, depuis longtemps, à une industrie des relations publiques mettant la puissance d’influence des médias de masse au service d’intérêts privés. « L’espace public, qui est en même temps pré-structuré et dominé par les mass media, est devenu une véritable arène vassalisée par le pouvoir, au sein de laquelle on lutte [pour le contrôle] des flux de communication efficaces » (J. Habermas).
Comme le signale Ch. Girard (2011) : «  Il ne suffit pas de reconnaître à chacun un droit égal à s’exprimer librement, en élevant la voix ou en ouvrant un blog, pour que chacun soit à égalité avec les autres dans le débat public. S’il doit tenir compte du rôle assigné à la presse d’instauration d’une délibération commune, le droit des médias (et la liberté de la presse, qui en constitue le premier pilier) ne peut s’appuyer simplement sur le droit individuel à la liberté d’expression.
S’il importe que le débat public, au moins dans les moments où l’ensemble des citoyens sont appelés à exprimer leur volonté dans les urnes, prenne une forme délibérative, c’est-à-dire qu’il permette l’échange égalitaire et contradictoire d’opinions et de raisons quant à ce qu’il convient de faire, alors on ne peut se contenter de donner à chacun un droit égal à la parole, en laissant les rapports de force décider qui aura l’occasion d’accéder à ce bien rare qu’est la parole dans les médias de masse. Lorsque les électeurs sont appelés à adopter ou à rejeter un traité constitutionnel, à porter un parti pouvoir, comment accepter de laisser ceux que leur position sociale favorise squatter la scène médiatique ou détourner le débat public ? ».
En 2007 D. Mermet posait cette question à N. Chomsky : « Chaque fois qu’on demande à un journaliste vedette ou à un présentateur d’un grand journal télévisé s’il subit des pressions, s’il lui arrive d’être censuré, il réplique qu’il est entièrement libre, qu’il exprime ses propres convictions. Comment fonctionne le contrôle de la pensée dans une société démocratique ? En ce qui concerne les dictatures, nous le savons.»
La réponse du linguiste fut la suivante : « Quand des journalistes sont mis en cause, ils répondent aussitôt : « Nul n’a fait pression sur moi, j’écris ce que je veux. » C’est vrai. Seulement, s’ils prenaient des positions contraires à la norme dominante, ils n’écriraient plus leurs éditoriaux. La règle n’est pas absolue, bien sûr ; il m’arrive moi-même d’être publié dans la presse américaine, les Etats-Unis ne sont pas un pays totalitaire non plus. Mais quiconque ne satisfait pas certaines exigences minimales n’a aucune chance d’être pressenti pour accéder au rang de commentateur ayant pignon sur rue. C’est d’ailleurs l’une des grandes différences entre le système de propagande d’un Etat totalitaire et la manière de procéder dans des sociétés démocratiques. 

En exagérant un peu, dans les pays totalitaires, l’Etat décide de la ligne à suivre et chacun doit ensuite s’y conformer. Les sociétés démocratiques opèrent autrement. La « ligne » n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. On procède, en quelque sorte, au « lavage de cerveaux en liberté ». Et même les débats « passionnés » dans les grands médias se situent dans le cadre des paramètres implicites consentis, lesquels tiennent en lisière nombre de points de vue contraires.
Le système de contrôle des sociétés démocratiques est fort efficace ; il instille la ligne directrice comme l’air qu’on respire. On ne s’en aperçoit pas, et on s’imagine parfois être en présence d’un débat particulièrement vigoureux. Au fond, c’est infiniment plus performant que les systèmes totalitaires.
Prenons, par exemple, le cas de l’Allemagne au début des années 1930. On a eu tendance à l’oublier, mais c’était alors le pays le plus avancé d’Europe, à la pointe en matière d’art, de sciences, de techniques, de littérature, de philosophie. Puis, en très peu de temps, un retournement complet est intervenu, et l’Allemagne est devenue l’Etat le plus meurtrier, le plus barbare de l’histoire humaine.
Tout cela s’est accompli en distillant de la peur : celle des bolcheviks, des Juifs, des Américains, des Tziganes, bref, de tous ceux qui, selon les nazis, menaçaient le cœur de la civilisation européenne, c’est-à-dire les « héritiers directs de la civilisation grecque ». En tout cas, c’est ce qu’écrivait le philosophe Martin Heidegger en 1935. Or la plupart des médias allemands qui ont bombardé la population avec des messages de ce genre ont repris les techniques de marketing mises au point... par des publicitaires américains.
N’oublions pas comment s’impose toujours une idéologie.

Pour dominer, la violence ne suffit pas, il faut une justification d’une autre nature. Ainsi, lorsqu’une personne exerce son pouvoir sur une autre – que ce soit un dictateur, un colon, un bureaucrate, un mari ou un patron –, elle a besoin d’une idéologie justificatrice, toujours la même : cette domination est faite « pour le bien » du dominé. En d’autres termes, le pouvoir se présente toujours comme altruiste, désintéressé, généreux…

Dans les années 1930, les règles de la propagande nazie consistaient, par exemple, à choisir des mots simples, à les répéter sans relâche, et à les associer à des émotions, des sentiments, des craintes. Quand Hitler a envahi les Sudètes [en 1938], ce fut en invoquant les objectifs les plus nobles et charitables, la nécessité d’une « intervention humanitaire » pour empêcher le « nettoyage ethnique » subi par les germanophones, et pour permettre que chacun puisse vivre sous l’« aile protectrice » de l’Allemagne, avec le soutien de la puissance la plus en avance du monde dans le domaine des arts et de la culture.
En matière de propagande, si d’une certaine manière rien n’a changé depuis Athènes, il y a quand même eu aussi nombre de perfectionnements. Les instruments se sont beaucoup affinés, en particulier et paradoxalement dans les pays les plus libres du monde : le Royaume-Uni et les Etats-Unis. C’est là, et pas ailleurs, que l’industrie moderne des relations publiques, autant dire la fabrique de l’opinion, ou la propagande, est née dans les années 1920.
Ces deux pays avaient en effet progressé en matière de droits démocratiques (vote des femmes, liberté d’expression, etc.) à tel point que l’aspiration à la liberté ne pouvait plus être contenue par la seule violence d’Etat. On s’est donc tourné vers les technologies de la « fabrique du consentement ». L’industrie des relations publiques produit, au sens propre du terme, du consentement, de l’acceptation, de la soumission. Elle contrôle les idées, les pensées, les esprits. Par rapport au totalitarisme, c’est un grand progrès : il est beaucoup plus agréable de subir une publicité que de se retrouver dans une salle de torture…   
On vit dans ce monde, pas dans un univers imaginaire. Dans ce monde, il existe des institutions tyranniques, ce sont les grandes entreprises. C’est ce qu’il y a de plus proche des institutions totalitaires. Elles n’ont, pour ainsi dire, aucun compte à rendre au public, à la société ; elles agissent à la manière de prédateurs dont d’autres entreprises seraient les proies. Pour s’en défendre, les populations ne disposent que d’un seul instrument : l’Etat. Or ce n’est pas un bouclier très efficace, car il est, en général, étroitement lié aux prédateurs. A une différence, non négligeable, près : alors que, par exemple, General Electric n’a aucun compte à rendre, l’Etat doit parfois s’expliquer auprès de la population.
Quand la démocratie se sera élargie au point que les citoyens contrôleront les moyens de production et d’échange, qu’ils participeront au fonctionnement et à la direction du cadre général dans lequel ils vivent, alors l’Etat pourra disparaître petit à petit. Il sera remplacé par des associations volontaires situées sur les lieux de travail et là où les gens vivent » (N. Chomsky - 2007

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