C’était mieux avant !
Sauf ailleurs ….
Tout fout
le camp. La famille, la patrie, le travail. Les « valeurs » explosent
et sont remplacées par des tripatouillages qui permettent la valorisation des
egos narcissiques. On ne change rien on « customise ». La crasse
s’installe, seul l’emballage compte. Comme le disait une pub voici quelques
années : « à fond la forme ».
Est-ce un
nouvel esprit pour des temps nouveaux ? Ou une décadence
irrémédiable ? Etait-ce mieux « avant » (avant quoi ? faudrait-il
demander !) ?
Y a-t-il
des critères pour juger du mieux, du bien, du bon, du mauvais ? En
effectuant quelques recherches sur ce sujet avec mon google préféré qu’elle ne
fut pas ma surprise de voir apparaitre des milliers d’occurrences. A la
question « c’était mieux avant »
des milliers de liens renvoyaient vers cette sentence : « Non, ce n’était pas mieux avant, je
peux en témoigner ». Mais quel était cet outrecuidant qui, du haut de
ses 87 ans, (« argument » d’autorité imparable !!), pouvait
ainsi poser une sentence aussi radicale ? Mon sujet était-il donc
clos ?
J’appris
que c’était un philosophe, qui plus est académicien, l’ineffable Michel Serres,
le gascon préféré de France Info et invité chéri des médias. En 2013 il publie
un opuscule « Petite poucette » et c’est dans ce texte que Michel
nous assène SA vérité : « La
différence entre le monde où nous vivons et celui d’aujourd’hui est
spectaculaire. 70 ans de paix, ça n’est jamais arrivé. L’homme qui vit 80 ans
en moyenne, ça n’est jamais arrivé. Les paysans qui ne représentent plus que 3%
l’humanité, ça n’est jamais arrivé. Non, ce n’étais pas mieux avant, je peux en
témoigner. Avant, nous étions gouvernés par Hitler, Mussolini ou Franco : rien
que de braves gens… Nous avons aussi vécu la guerre mondiale avec 45 millions
de morts….. »
Comment !
70 ans de paix, mais Où ? Dans le Gers, à Stanford, à la Sorbonne ? ….. et celui qui énonce cela de
déclarer : « j’ai même servi
comme officier de marine sur divers vaisseaux de la Marine nationale, notamment
lors de la réouverture du canal de Suez et durant la guerre d’Algérie » (à noter pour les connaisseurs le mot « réouverture du canal » qui
signifie guerre contre un état souverain l’Egypte).
C’est que notre « témoin » a fait l’école navale, puis l’agrégation de philo à la rue d’Ulm, APRES QUOI il devint officier de la marine française.
Les
philosophes - ou ceux qui se disent tels -
doivent être jugés à leur vie concrète. Il ne faut pas se laisser
séduire par leurs mots doucereux et leur supériorité bienveillante. Et il en
est de Serres comme de tous les hommes. Leurs diplômes, leur langage lentement
ouvragé, leurs titres ne doivent pas impressionner ceux « d’en bas ».
Les clercs de l’optimisme post moderne, restent des clercs et remplissent leurs
fonctions de prédicateurs.
Et le clerc
Serres salue notre époque un peu comme J. Attali : « les dernières
pages du livre de Serres, célèbrent la « pensée
algorithmique », appellent à l’avènement de « l’idée de l’homme comme code » et à la mise au point d’un « passeport universel codé », relèvent
d’une prophétie très ambivalente : « Dans
des ordinateurs, dispersés ailleurs ou ici, chacun introduira son passeport,
son Ka, image anonyme et individuée, son identité codée, de sorte qu’une
lumière laser, jaillissante et colorée, sortant du sol et reproduisant la somme
innombrable de ces cartes, montrera l’image foisonnante de la collectivité,
ainsi virtuellement formée. De soi-même, chacun entrera en cette équipe
virtuelle et authentique qui unira, en une image unique et multiple, tous les
individus appartenant au collectif disséminé, avec leurs qualités concrètes et
codées. »
On ne sait pas trop si c’est un rêve ou plutôt un cauchemar qui
est ici annoncé avec une telle emphase : car ce « collectif connecté » d’individus résumés à leurs données chiffrées,
évoluant selon des « procédures » dans
une société « volatile », vouée à
l’échange rapide et incessant d’informations, ressemble davantage pour nous à
une fourmilière – ou à l’activité d’un call center - qu’à une communauté
humaine telle qu’on peut la désirer. Ce risque d’un tel devenir-insecte, c’est
ce que le philosophe académicien ne veut pas voir, entrainé par l’euphorie
lyrique de son propos » J. Gautier in http://skhole.fr/petite-poucette-la-douteuse-fable-de-michel-serres (lire
l’intégralité de l’article).
Laissons
–entre autres- M Serres à son insularité insolente et dévoilons ce que le passé
peut avoir d’enrichissant. En dehors de la Sorbonne et de l’école navale, du
pays gascon et de Stanford il existe un vaste monde ou s’affrontent et se sont
affrontés diverses conceptions du monde, divers rapports entre êtres humains.
Alors les
indiens pensent-ils que c’était mieux avant Colomb, les conquistadors, les
cow-boys et les colons ? Les Irakiens pensent-ils que c’est mieux depuis
que le U$A ont fait table rase de leur pays ? Les vietnamiens pensent-ils
que c’était mieux avant que le napalm ne tue ? Les chinois pensent-ils que
c’était mieux avant 1949, quand leur pays subissait 22 années d’occupations
japonaises et occidentales ? Les maliens, les nigérians, pensent-ils que
c’était mieux avant …. L’arrivée des compagnies minières qui leur ont volées
leurs terres pour l’uranium ou le coltan ? Etc …..
Pourquoi
dénierions-nous à ces pays et ces peuples le droit de penser que, oui, c’était
mieux avant !
Est-il
passéiste de regarder dans le passé pour construire l’avenir au lieu de
s’extasier, béats, devant une histoire qui semble aller directement vers le
progrès humain ?
Il y 50 ans, en
France, la plupart des maisons dans les villes moyennes disposaient d’un jardin
potager qui permettait d’avoir, outre une activité, des petites récoltes pour
la famille. La folie des métropoles et le bétonnage de l’espace ont fait
disparaitre tout cela. Nous ne savons plus faire pousser une salade et sommes
tributaires de l’industrie agroalimentaire.
Nous avons perdu en indépendance et
en savoir-faire et ce ne sont pas les tablettes interconnectées de Mr Serres
qui pondront des œufs.
Une part du passé est morte. Mais nous sommes des êtres historiques et nous ne pourrons pas envisager le futur sans garder en nous, non pas la nostalgie, mais l’apport et les leçons de modes de penser et de vie qui forment notre devenir.
Nous ne
devons pas nous prosterner devant une idée de l‘histoire envisagée comme
circulaire ou achevée dans laquelle nous ne serions que des « chiens
heureux » (F. Fukuyama – La fin de l’histoire – 1992).
Sachons
préserver ce qui « était mieux avant ».
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