De la liberté :
Parmi tous les concepts, celui de la liberté est certainement celui qui est le plus flou, celui qui s’adapte à toute les sauces et pourtant semble être une revendication humaine universelle.
Nous imaginons les animaux libres. Ils se déplacent comme ils veulent, tuent pour se nourrir, s’accouplent pour se reproduire (ou chez certains primates pour le ….plaisir ?). Mais quelle est cette liberté ? Elle se manifeste – extérieurement - pour nous humains comme telle, mais à y regarder de plus près qu’est ce qui est libre dans le règne animal ?
Tout animal nait et ne vit que s’il bénéficie d’une très grande protection. Jeune un animal est une proie facile. Il est libre de se faire dévorer par un prédateur !
Adulte il lui faut chercher constamment son alimentation. Peu de gibier, des prairies qui se raréfient, un fleuve qui s’assèche et sa vie est finie.
Âgé, manquant de force et d’agilité il devient fragile et finit proie d’un prédateur
Est-ce de cette liberté-là dont nous parlons au sujet de la nature et des êtres qui la composent ? Et surtout : même si on admet que l’ensemble de la nature et des êtres qui la composent ne sont pas « libres », pourquoi en sommes venus à penser que nous – les êtres humains – nous pourrions être libres ?
Comment en sommes-nous venus à penser que nous serions, comme le dit si bien Spinoza : « un empire dans un empire » ; être de nature mais échappant à la loi commune de la nécessité ? :
Le libre arbitre. Argument contre Descartes :
Descartes dans les Méditations métaphysiques, définissait cette faculté de l'âme humaine qu'est pour lui la volonté comme un libre arbitre, c'est-à-dire un pouvoir souverain d'affirmer ou de nier, de poursuivre ou de fuir un objet, laissant ainsi entendre que l'homme a toujours le pouvoir d'opposer sa volonté à ses désirs. En cela l’homme serait libre.
Mais, conteste Spinoza : il n'y a au fond pas de sens à distinguer volonté et désir, tout simplement parce que l'esprit humain n'est pas à proprement parler un ensemble de facultés (entendement, mémoire, imagination, volonté, etc.), mais n'est que désir, c'est-à-dire une certaine tension déterminée, le « conatus », une tendance ou un effort
« pour persévérer dans l'être ». Il n'y a donc pas, en deçà ou en plus de cet effort conscient de lui-même (ce désir qui nous définit), une volonté qui pourrait trancher par « libre décret ». Au contraire, ce qui nous fait agir, c'est toujours et nécessairement – par essence – le désir.
« pour persévérer dans l'être ». Il n'y a donc pas, en deçà ou en plus de cet effort conscient de lui-même (ce désir qui nous définit), une volonté qui pourrait trancher par « libre décret ». Au contraire, ce qui nous fait agir, c'est toujours et nécessairement – par essence – le désir.
« Les hommes... se trompent en ce qu'ils pensent être libres; et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscients de leurs actions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. L'idée de leur liberté c'est donc qu'ils ne connaissent aucune cause à leurs actions ». (Spinoza).
1 L’homme a conscience de ses
désirs : Le « petit enfant » qui a faim, le « jeune garçon en colère » qui s'estime offensé et veut châtier l'offenseur, le « peureux » qui choisit la fuite plutôt que le combat, sont autant d'exemples de ce que Spinoza nomme dans une de ses lettres « l'illusion naturelle, congénitale même » de la liberté ou plus exactement du libre arbitre. Le « petit enfant » qui a faim, le « jeune garçon en colère » qui s'estime offensé et veut châtier l'offenseur, le « peureux » qui choisit la fuite plutôt que le combat, sont autant d'exemples de ce que
Spinoza nomme dans une de ses lettres « l'illusion naturelle, congénitale même » de la liberté ou plus exactement du libre arbitre.
désirs : Le « petit enfant » qui a faim, le « jeune garçon en colère » qui s'estime offensé et veut châtier l'offenseur, le « peureux » qui choisit la fuite plutôt que le combat, sont autant d'exemples de ce que Spinoza nomme dans une de ses lettres « l'illusion naturelle, congénitale même » de la liberté ou plus exactement du libre arbitre. Le « petit enfant » qui a faim, le « jeune garçon en colère » qui s'estime offensé et veut châtier l'offenseur, le « peureux » qui choisit la fuite plutôt que le combat, sont autant d'exemples de ce que
Spinoza nomme dans une de ses lettres « l'illusion naturelle, congénitale même » de la liberté ou plus exactement du libre arbitre.
Qu'ont donc en commun tous ces « individus de même farine »? Tous éprouvent un désir dont ils ont bien conscience, et tous y cèdent, quelles qu'en soient les conséquences (bonnes ou mauvaises pour eux) et quelles que soient les bonnes résolutions qu'ils avaient pu prendre auparavant: l'homme ivre, sous l'effet de son ivresse, se laissera aller à parler plus que de raison et révèlera peut-être des secrets qu'il avait pourtant promis de taire, perdant ainsi un ami cher.
Le peureux, avant d'aller au combat, était sans doute persuadé qu'il ferait acte de bravoure, et qu'il sortirait de l'épreuve du feu avec tous les honneurs, admiré par ses compagnons d'armes ; le voilà pourtant qui, étreint par la peur de mourir, fuit au premier coup de canon.
Néanmoins, là est le paradoxe, tous diront que ce qu'ils ont fait, ils l'ont fait par « un libre décret de leur âme ». Ainsi, c'est parce que j'ai voulu fuir que j'ai fui, dira le lâche: c'était mon choix. Les raisons invoquées ne manqueront pas : cette guerre était absurde ou perdue d'avance, etc. Ce qui sera par contre passé sous silence par ce peureux, c'est pourtant l'essentiel, c'est-à-dire le véritable moteur de sa fuite, sa vraie cause, qui quant à elle ne lui apparaît pas : la peur irrésistible qui l'a saisi et dont sa fuite n'a été que la conséquence inéluctable.
Le peureux, avant d'aller au combat, était sans doute persuadé qu'il ferait acte de bravoure, et qu'il sortirait de l'épreuve du feu avec tous les honneurs, admiré par ses compagnons d'armes ; le voilà pourtant qui, étreint par la peur de mourir, fuit au premier coup de canon.
Néanmoins, là est le paradoxe, tous diront que ce qu'ils ont fait, ils l'ont fait par « un libre décret de leur âme ». Ainsi, c'est parce que j'ai voulu fuir que j'ai fui, dira le lâche: c'était mon choix. Les raisons invoquées ne manqueront pas : cette guerre était absurde ou perdue d'avance, etc. Ce qui sera par contre passé sous silence par ce peureux, c'est pourtant l'essentiel, c'est-à-dire le véritable moteur de sa fuite, sa vraie cause, qui quant à elle ne lui apparaît pas : la peur irrésistible qui l'a saisi et dont sa fuite n'a été que la conséquence inéluctable.
2 ... mais il en ignore les causes :
Tout est donc limpide : là même où je crois décider librement de mes actes, je ne fais en fait encore et toujours que céder à « l'impulsion » la plus forte qui s'exerce sur moi.
Mais je me croirai et me dirai pourtant libre, tout simplement parce que j'ai conscience de ce que je fais (de fuir, de parler, etc.), tout en ignorant les « causes » qui me déterminent d'une manière parfaitement nécessaire à agir de cette façon.
C'est donc la conjonction de la conscience des effets et de l'ignorance des causes, qui explique notre croyance purement illusoire en l'existence d'un libre arbitre : je me crois cause souveraine, donc libre, des effets que sont mes actes par pure et simple ignorance des causes réelles, quant à elles extérieures, qui les produisent en fait (le lait, l'alcool, etc.). Il faut donc en conclure que non seulement je me crois libre, mais que je me crois nécessairement libre, lors même que je ne le suis pas.
L’illusion est inévitable car elle découle de notre nature même : nous sommes, en tant qu'êtres humains, conscients de nous-mêmes, et toujours d'abord ignorants de l'ordre des causes et des effets dans la nature.
Aliénation et puissance du désir : Le Désir est le lieu principal du pouvoir :
s’arroger le désir humain, c’est régner sur son âme, sans le moindre recours à quelques archaïques violences ou menaces. La morale publique permet au citoyen de se frapper lui-même d’interdiction, de se sanctionner tout seul, au nom d’un principe universel, via la mauvaise conscience induite par la culpabilité. Radios, médias, télévisions…
Du pain béni, au service de l’aliénation de masse, a fortiori lorsque toute violence institutionnelle ou policière est aujourd’hui mal venue sur le plan de la gestion citoyenne.
La manipulation du désir par l’image, le slogan, la publicité agressive, généralisée ; le discours politique calibré sur la loi du marché, le management d’entreprise comme dernier refuge de la répression organisée, sous la forme raffinée et a priori empathique de l’asservissement du Désir par le Devoir professionnel…
Contrôler le désir humain, c’est régner jusqu’aux âmes des êtres, les conformer au plus profond de leurs aspirations intimes. Le modèle idéologique occidental en est un exemple effrayant où tout individualisme a pour le moins disparu via le conformisme de l’entreprise et de la société…sous des airs chatoyants !
Se rendre maître des âmes, est le rêve invétéré de toute idéologie destinée à imposer sa loi à tous en échanges de quelques intérêts juteux. Aujourd’hui, ce n’est plus ni la Religion, ni l’Etat qui asservissent très directement en ce sens, mais l’entreprise et les médias de masse.
Que les moyens d’actions destinés à réprimer et endoctriner les hommes puissent changer de lieux, de moyens, de formes, de manières, à travers l’histoire, rien de tout cela ne vient modifier l’impératif catégorique des Lumières :
la liberté humaine est impossible lorsque l’entendement, c’est-à-dire la pensée, le Désir, est aliéné par un autre impératif que celui du sujet pensant.
Du déterminisme :
La croyance au libre arbitre conduit à une illusion majeure: nous imaginons que les fins, ne sont que des effets nécessaires de causes antécédentes
Nous projetons cette illusion sur la nature entière: tout ce qui arrive serait l’effet d’un projet divin; nous devrions ainsi craindre ou louer la providence, et, négligeant les explications physiques, rechercher des explications morales aux cataclysmes, aux maladies, en invoquant la volonté de Dieu, cet «asile de l’ignorance» comme le précise Spinoza.
Ces superstitions naissent en effet de l’ignorance de l’ordre réel de la causalité. Car, en fait, tout arrive non pas en vertu d’un projet, mais selon l’ordre mécanique des causes efficientes.
Ce n’est pas pour voler que les oiseaux ont des ailes, c’est parce qu’ils en ont qu’ils peuvent voler.
Dieu (la Nature) – Pour Spinoza « Deus Sive Natura » : dieu c’est-à-dire la nature - ne souhaite rien, n’a pas de désir - ce serait supposer en lui (en elle) le manque !
C’est notre limitation qui crée le désir, et notre ignorance qui nous fait croire que l’indétermination est une perfection. En les attribuant à Dieu (la nature), nous le (la) figurons à l’image de l’homme. C’est de l’anthropomorphisme.
Aparté : qu’est-ce que l’homme. Dialectique spinoziste contre mécanisme cartésien :
Comme «partie» de la Substance (nature), l’homme peut être considéré doublement:
du point de vue de l’étendue, il est un corps; du point de vue de la pensée, il est une âme.
du point de vue de l’étendue, il est un corps; du point de vue de la pensée, il est une âme.
L’âme, comme toute partie de la pensée, est une idée, l’idée de quelque chose d’étendu, ici l’idée du corps.
Tout ce qui arrive dans le corps a son correspondant dans l’âme: ainsi un certain état matériel de l’estomac se traduit, s’exprime dans la pensée comme sentiment de faim. Ce ne sont pas deux choses différentes, mais deux expressions d’un même état.
L’énigme cartésienne de l’union de l’âme et du corps est ainsi «résolue». Âme et corps ne sont pas deux substances incommunicables, mais une même réalité – l’homme – vue de deux points de vue différents.
Tout état de l’homme est simultanément mouvement dans le corps et idée dans l’âme. Il n’y a pas d’action réciproque âme-corps, mais action d’un seul être qui est âme et corps.
Le Déterminisme est-il un
fatalisme ?
fatalisme ?
On a pu voir dans le déterminisme spinoziste un fatalisme subtil.
Mais le fatalisme consiste à croire qu'il faut se résigner à l'inaction, en raison de l'impuissance humaine face à la puissance de la nature.
D'abord, il y a dans le déterminisme de Spinoza une philosophie de l'action : lorsque nous nous affairons de façon ordinaire à nos activités humaines, nous sommes plus passifs que nous le croyons, c'est justement pour passer à un mode d'existence plus actif, où c'est l'esprit humain qui agit et non l'extérieur qui le fait agir, qu'il est nécessaire de comprendre nos déterminations.
Ensuite, le fatalisme néglige un fait important en oubliant que l'esprit humain, en tant qu'idée du corps, est aussi une détermination qui entre nécessairement dans le jeu de l'action.
S'il s'agit d'accepter ce qui ne peut être changé, en comprenant comment et pourquoi, il ne s'agit pas de rester entièrement passif à l'égard des événements extérieurs.
Car ce que comprend en premier lieu l'esprit quand il raisonne, c'est qu'il est lui-même puissance d'affirmation, autrement dit désir d'exister et d'agir, il ne s'agit donc nullement de s'effacer ou de se résorber dans l'infinité divine ( de la nature) mais de prendre la mesure exacte de sa puissance propre et de l'exprimer complètement.
Dialectique du déterminisme et de
la liberté :
la liberté :
Pour Marx et Engels, la loi de causalité est un reflet de la réalité objective.
Autrement dit, il y a déterminisme dans l'ordre physique entre deux phénomènes distincts, dont l'un est antérieur à l'autre et qui sont dans un rapport de cause à effet, lequel comme tel est prévisible.
Ainsi, par exemple, une feuille poussée par le vent se déplace. Le rapport du poids de la feuille et la pression du vent étant connus, l'arrêt ou la vitesse de la feuille peuvent être prévus. Mais il y a aussi déterminisme dans l'ordre des êtres vivants. Même si l'être humain a le sentiment d'agir de lui-même, par lui-même en fonction de ce qui lui plaît ou de son intérêt, il reste déterminé aussi bien par les lois de la nature extérieure que par celles qui régissent son existence physique et psychique.
La liberté ne saurait donc consister « dans une indépendance rêvée à l'égard des lois de la nature » mais plutôt dans « la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées ».
Ainsi, plus l'homme connaît les causes qui le poussent à agir, plus il est susceptible d'en dévier le cours, par l'interaction d'autres causes, dans le sens désiré, plus il peut agir sur la nécessité par la nécessité même à laquelle il obéit tout en la faisant servir à ses fins.
La liberté n'est donc pas quelque chose qui est donné, mais quelque chose qui est à prendre. Les hommes n'ont pas à apprendre qu'ils sont libres, ils ont à se libérer.
Cette liberté ne peut se développer que dans des rapports sociaux déterminés. Mais dans la mesure où l'homme prend conscience des rapports sociaux qui le déterminent, il peut les transformer.
(Note : on retrouve ici la proposition d’Epicure sur la « liberté des atomes » au travers de l’introduction du clinamen (déclinaison)).
Il est vrai que nous ne sommes jamais immédiatement libres : nos désirs prennent le plus souvent leur source et leur origine déterminantes dans les choses extérieures que nous subissons, et dont nous sommes ainsi à notre insu les jouets passifs.
Telle est alors bien la condition naturelle et ordinaire de l'homme : la servitude passionnelle, et non pas la liberté.
Mais si, au lieu de rester ignorant des déterminations qui pèsent sur moi, je faisais l'effort de les connaître, que se passerait-il alors en moi? Je saurais en vérité pourquoi je fais ce que je fais, et de nouvelles idées naîtraient alors en mon esprit : non plus ces idées
« confuses » et « mutilées » que Spinoza appelle dans l'Éthique les « idées inadéquates », toujours issues des affections que je subis, mais des « idées adéquates », issues quant à elles de la seule force de ma puissance de penser et de connaître.
Il en découlerait qu'au lieu d'être la « cause inadéquate » de mes idées, et donc par là des désirs et des sentiments qu'elles produisent en moi, j'en serais la
« cause adéquate » : mes désirs s'expliqueraient alors non pas par l'action des choses extérieures sur moi, mais par ma propre et seule nature.
Agir selon la seule nécessité de sa nature, voilà précisément ce qu'est la liberté pour Spinoza : si donc l'homme n'est jamais immédiatement libre, c'est non pas tant parce qu'il désire, que parce que ses désirs ont une origine dans des causes extérieures qu'il ignore.
Que par contre ses désirs découlent de sa seule puissance de penser, et alors l'homme pourra être dit libre: la liberté véritable ne réside donc pas dans un libre arbitre ou un « libre décret », pure illusion , mais dans l'effort de connaissance de l'ordre des causes et des effets dans la nature.
« Les mêmes causes engendrent en effet toujours les mêmes effets. Même si la plupart de ses lois nous échappent et que nous attribuons beaucoup d'évènements au hasard, le déterminisme de la nature est en réalité absolu.
Chacun peut également comprendre qu'il ne peut exister autrement que comme il est, qu'il ne peut faire à tout moment autre chose que ce qu'il fait, que le monde ne peut pas être autrement que comme il devient, et ainsi de suite dans l'univers infini de l'espace-temps du monde.
Tout ce qui existe y compris mon bonheur et mon malheur est déterminé d'une manière nécessaire par les lois de la vie. Remarquons que ce déterminisme absolu n'est pas un fatalisme les événements de l'univers ne sont pas fixés à l'avance, pas plus dans les choses que dans l'homme.
A tout moment tout ce qui existe peut agir de manière créatrice par le pouvoir de Dieu, c'est-à-dire de la nature. Ainsi l'homme peut-il être considéré comme un être libre, non parce qu'il s'affranchit du déterminisme mais parce qu'il agit dans la pleine conscience sa propre détermination.
Un homme est libre lorsqu'il crée en usant de la puissance créatrice par laquelle la vie universelle crée à tout moment la vie singulière du monde présent.
Le destin est donc une aventure ».
(B. Guiliani – Le bonheur avec Spinoza)
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