VOTER C’EST ABDIQUER.
« À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté, à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu’il ait écrit dessus...Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ?
« À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté, à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu’il ait écrit dessus...Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ?
Car
enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui
l’assomment, il faut qu’il se dise et qu’il espère quelque chose
d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes
déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de
science, de justice, de dévouement, de travail et de probité ; il faut que dans
les noms seuls de Barbe et de Baihaut, non moins que dans ceux de Rouvier et de
Wilson, il découvre une magie spéciale et qu’il voie, au travers d’un mirage,
fleurir et s’épanouir dans Vergoin et dans Hubbard, des promesses de bonheur
futur et de soulagement immédiat. Et c’est cela qui est véritablement
effrayant.
Rien
ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus
sinistres tragédies. Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les
sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu’un
fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands,
l’écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu’il n’a qu’une
raison d’être historique, c’est de payer pour un tas de choses dont il ne
jouira jamais, et de mourir pour décombinaisons politiques qui ne le regardent
point. Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et
qui lui prenne la vie, puisqu’il est obligé de se dépouiller de l’un, et de
donner l’autre ?
Eh bien ! Non. Entre ses voleurs et ses
bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus
féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont
à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins
ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les
mangera.
Plus
bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son
boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce
droit.
O bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te
laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent chaque matin, pour un
sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui
sont payés pour avoir ta peau; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries
dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en
guenilles, si, au lieu de t’arrêter, éternel badaud, devant les lourdes
duperies des programmes; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et
Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maitres et sur toi,
peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles.
Peut-être aussi,
après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta
belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que
tu mettes, tu mets d’avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient,
en connaisseurs d’humanité, que la politique est un abominable mensonge, que
tout y est à l’envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n’as
rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.
Rêve
après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités
impossibles, des bonheurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la
souffrance. Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est
la douleur, la haine et le meurtre.
Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite
tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la
situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses
merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son
pouvoir de te donner.
L’homme
que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi;
il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels
sont contraires aux tiens.
Pour te réconforter et ranimer des espérances qui
seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu
assistes aujourd’hui est particulier à une époque où à un régime, et que cela
passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire
qu’ils ne valent rien.
Donc,
rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n’as rien
à y perdre, je t’en réponds ; et cela pourra t’amuser quelque temps. Sur le
seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler
la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe.
Et
s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et
de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se
mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que
tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.
Je te
l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève. »
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Citoyens,
Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont
ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre vie, souffrant des mêmes maux.
Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme
les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se
considérer comme indispensables.
Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à
l’action ; ils sacrifieront tout à un beau discours, à un effet oratoire
ou à mot spirituel.
Évitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car
trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le
travailleur comme un frère.
Enfin, cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du
peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue.
Portez
vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le
véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et
non à ceux-ci de se présenter.
Citoyens, Nous sommes convaincus que si vous tenez compte de ces
observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire,
vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considèrent jamais comme vos
maîtres.
Paris - Le
Comité Central de la Garde Nationale 25 Mars 1871
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