Vive l’anarchie ?
Ou l’ordre du monde pour Anaximandre.
Ou l’ordre du monde pour Anaximandre.
Ce sujet traitera du rapport d'Anaximandre avec la pensée religieuse, l'ordre du cosmos et celui de la cité.
L’anarchie
(du grec ἀναρχία / anarkhia,
composé de an, préfixe privatif : absence
de, et arkhê, hiérarchie, commandement)
désigne l'état d'un milieu social sans gouvernement, la situation d’une société
où il n’existe pas de chef, pas d’autorité unique, autrement dit où chaque
sujet ne peut prétendre à un pouvoir sur l’autre. Il peut exister une organisation,
un pouvoir politique ou même plusieurs, mais pas de domination unique ayant
un caractère coercitif. L’anarchie peut, étymologiquement, également être
expliquée comme le refus de tout principe premier, de toute cause première, et
comme revendication de la multiplicité face à l’unicité.
Anaximandre ( vers -610, à – 546 de notre ère ) est né à Milet sur
les rivages de la Turquie actuelle, c'est-à-dire à la confluence de l’Orient où
les Babyloniens avaient fortement développés une astronomie très élaborée et de
l’Occident encore tout imprégné de mythes fondateurs qui font intervenir une
substance première, infinie, immortelle et divine enveloppant et gouvernant
toute chose : l’Arché.
Anaximandre va reprendre ce terme
d’arché,
mais, première rupture, il va écrire en prose alors que toutes les explications
du monde précédentes étaient en style poétique. De la théogonie on va passer à
ce qui va devenir la conception grecque de l’univers pour des siècles.
Désormais on rentre dans la
période de « l’histoire à travers la
physique ». Au lieu de chercher une origine, une source, au
cosmos ; un « primus motor »
comme dira plus tard Aristote,
Anaximandre va désormais utiliser le terme arché
dans un tout autre sens. Pour lui point d’origine première ( de création
dirions nous aujourd’hui ), l’origine est perpétuelle, et elle peut
continuellement donner naissance à ce qui sera. La cause complète de la
génération de tout sera nommée apeiron (infini ou illimité). Il n’y a plus de point originel dans le
temps. La matière s’organise selon l’apeiron ,
cette organisation est présentée par lui comme une séparation de contraires : » « Ce d’où il y a génération des entités, en cela
aussi se produit leur destruction, selon la nécessité, car elles se rendent les
unes aux autres justice et réparation de leur injustice, selon l’assignation du
Temps. ».
Anaximandre rompt de
manière radicale avec le mythe en ce sens qu’il démythifie la démarche généalogique
de création de l’univers. Dès lors la
porte s’ouvre sur une nouvelle géométrisation du monde. A la question que se
posait Thalès qui faisait reposer le monde (et la Terre) sur l’élément eau mais
se demandait comment son océan tenait dans l’espace, Anaximandre répond que la
terre flotte en équilibre au centre de l’univers et il ajoute que si elle
demeure en repos à cette place, sans avoir besoin d’aucun support c’est parce
qu’à égale distance de tous les points de circonférence céleste, elle n’a
aucune raison d’aller en bas plutôt qu’en haut, ni d’un coté plutôt que de
l’autre. Pour la première fois le cosmos est placé dans un espace mathématisé
constitué par des relations purement géométriques.
Mais les intuitions et réflexions
d’Anaximandre sont l’écho de la nouvelle organisation sociale de la polis grecque. Comme le remarque J.P
Vernant :« Les éléments se
définissent, en effet, par leur opposition réciproque ; il faut donc qu'ils se
trouvent toujours les uns par rapport aux autres dans une relation d'égalité), ou comme Aristote le dira
ailleurs, en égalité de puissance.
On notera que l'argumentation aristotélicienne implique un changement
radical dans les rapports du pouvoir et de l'ordre. La basileia, la monarchia qui,
dans le mythe, fondaient l'ordre et le soutenaient, apparaissent, dans la
perspective nouvelle d'Anaximandre, destructrices de l’ordre. L'ordre n'est plus hiérarchique; il consiste dans le
maintien d'un équilibre entre des puissances désormais égales, aucune d'entre
elles ne devant obtenir sur les autres une domination définitive qui
entraînerait la ruine du cosmos. Si l'apeiron
possède l'arché et
gouverne toute chose, c'est précisément parce que son règne exclut la
possibilité pour un élément de s'emparer de la dunastéia. La primauté de l'apeiron
garantit la permanence d'un ordre égalitaire fondé sur la réciprocité
des relations, et qui, supérieur à tous les
éléments, leur impose
une loi commune. ».
Ainsi la nouvelle organisation
spatiale des hommes en cités, elles mêmes géométriquement structurées donne t
elle naissance tout à la fois à une vision du cosmos non mythique,
mécanique ; et une conception de la vie en commun ou l’ordre n’est plus
divin mais humain, plus imposé par le destin, mais réglé par la volonté des
hommes : « Le lien, pour
nous si paradoxal, qu'Anaximandre établit entre l'absence de " domination
", la centralité, la similarité, autorise la comparaison avec un texte
politique d'Hérodote où nous retrouvons le même vocabulaire et la même
solidarité conceptuelle. Hérodote raconte qu'à la mort du tyran Polycrate.
Maiandrios, désigné par le défunt pour prendre après lui le pouvoir, convoque tous les citoyens à
l'assemblée et leur annonce sa décision d'abolir la tyrannie: " Polycrate,
leur dit·il en substance, n'avait pas mon approbation quand il régnait en
despote sur des hommes qui étaient ses semblables ... Pour ma part je dépose l'arché es méson, (au
centre), et je proclame pour vous l'isonomia.
".
Le cas d’Anaximandre équivaut
pour le monde antique à la rupture que produisirent Copernic et Galilée à
l’aube de la Renaissance face à la féodalité déclinante.
Les idées des hommes ne naissent
pas de nulle part, Anaximandre, comme Copernic et Galilée vécurent à des
périodes d’intenses mutations sociales et économiques. Le problème pour nous,
2500 ans plus tard, n’est il pas temps de renouer avec cette philosophie
là ? Celle qui dénonçait l’ordre
comme fatalité ; l’injustice comme destin, et la Cause de Tout comme ayant
source les mythes (littéralement mensonges,
fables). Nous faut-il encore prendre le marteau pour frapper sur les idoles
afin de nous rappeler qu’elles sonnent creux ?
Les
citations sont extraites de : Les origines de la pensée grecque, J.P.
Vernant PUF
Prochain sujet :
Mercredi
27 Juillet 2016
Sommes-nous reliés ?
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