Merci.
Textes mis à la disposition du public dans le cadre des rencontres du café philosophique de Montpellier. Tous les Mercredis, 19H00, Salons du Grand Hôtel du Midi - La Comédie - Montpellier.
dimanche 19 octobre 2025
POUR NOUS CONTACTER
jeudi 4 septembre 2025
Lettre ouverte des animateurs du café philosophique de Montpellier.
Ce texte signe la fin d'une expèrience de 28 années
de pratique pubique de la philosophie à Montpellier.
Il sera le dernier que vous lirez sur ce Blog.
Lettre ouverte des animateurs du café philosophique de
Montpellier.
Madame, Monsieur,
Depuis 1997, 28 ans déjà, le café philo de Montpellier organise des rencontres
toutes les semaines, sans interruptions. En gros cela fait 1500 sujets, 1500
débats, plus ou moins philosophiques, mais toujours empreints de respect mutuel, de courtoisie.
Cet été 2025 le groupe des animateurs s’est réuni pour faire un bilan de ces deux
dernières années et plus particulièrement de ce premier semestre 2025.
Nous avons été unanimes pour constater :
qu’en 2024 par exemple, TOUS les sujets proposés l’ont été par une seule et
même personne (par ailleurs membre du collectif des animateurs !).
Or, depuis des années il y avait toujours 3 à 4 propositions de sujets dont le
choix était soumis aux voix des participants.
Le café philo n’a jamais été un lieu où l’on vient « consommer » des
sujets venus « d’en haut ». C’est un lieu participatif obéissant à
des règles démocratiques fondées sur la participation le plus large possible
des intervenants et surtout sur le principe premier de toute discussion à
vocation philosophique : la démonstration.
L’opinion n’est pas et ne sera jamais productrice de pensées
et d’actions nouvelles.
Pour ce premier semestre 2025, le constat est assez accablant. Un peu plus de
sujets provenant des intervenants (très peu), mais des hors-sujet fréquents et
des « discussions » avec très peu de références aux auteurs de la
philosophie et parfois des propos violents, des interpellations déplacées, des
tirades plus adaptées à un café littéraire qu’à l’exercice de la pratique philosophique.
Très clairement depuis au moins plus d’un an et demi le café philo n’est plus
ce que nous avons voulu qu’il soit. Un lieu d’échanges, de promotion des
intervenants, de réflexion, d’apprentissage de l’œuvre des auteurs de la
philosophie.
Nous ne sommes pas là pour maintenir en vie une sorte de « café du
commerce ». Même avec une étiquette « philosophique », un café
du commerce reste un café du commerce.
En conséquence, le café philosophique de Montpellier est dissous.
Pas de reprise
le 10 septembre 2025 prochaine, ni après. Le mail du café philo est supprimé.
Un grand merci à toutes celles et ceux qui ont fait vivre feu le café
philosophique de Montpellier.
Bien entendu, pour celles et ceux qui veulent pratiquer la philosophie nous proposerons
des rencontres mais suivant les modalités ci-après :
- Une association a été créée.
- Un règlement intérieur a été établi pour donner un cadre aux discussions à venir.
- Les sujets sont choisis par le bureau de l’association.
Ces sujets seront strictement consacrés à l’étude
philosophique de thèmes à partir de l’étude du corpus philosophique. Ils seront
traités sur des périodes longues de plusieurs semaines consacrées au même
thème.
- Le prochain thème retenu (jusqu'à fin décembre, a priori) est :
La question de la nature dans les œuvres des philosophes d’Anaximandre à Aristote (Anaximandre, Démocrite, Epicure, Héraclite, Aristote).
Si des personnes sont intéressées, nous rappelons qu’elles devront s’engager à respecter le règlement intérieur de nos rencontres. Elles peuvent nous contacter ici : cerphi.praxis@gmail.com
Vous trouverez ci-après deux textes qui ont été décisifs pour valider le choix que nous avons fait.
1 – La correspondance d’un intervenant ( ex co-animateur)..
2 – Un texte d’O. Brenifier, qui fut dans les années 1990 un des fondateurs avec M. Sautet des cafés philo en France et dans le monde. Ce texte traduit, on ne peut mieux, l’analyse générale de l’évolution des rapports de la société avec la parole et la pensée.
TEXTE 1 :
« Je pourrais écrire 500 lignes sur le sujet, mais faisons court.
Manque d’humilité. L’humilité n'est pas un résidu du judéo christianisme, mais simplement la connaissance de ses propres limites.
Café philo : très peu d'interventions qui témoignent d'un doute ou ignorance salutaire...je n'ai jamais entendu" je n'ai pas compris" ou "pourriez-vous m’expliquer ?" sans intention maligne. Si ce n'est celle de chercher à déstabiliser l'orateur...
Surtout cachons notre ignorance et faisons assaut d'une" culture" puisée dans Wikipédia...
Ignorance du lieu où l'on se trouve : on ne fait pas une déclamation théâtrale, qui quelquefois ne manquait pas d'intérêt, en ce lieu....
On mesure ses propos : on ne traite pas Spinoza "enculeur de mouches"..... On peut détester Mozart ou Michel ange, mais ils resteront Mozart et Michel ange.
Scène navrante : l'un des participants avançant d'un ton menaçant sur l'intervenant...Soudaine irruption des petites frappes du quartier de ma jeunesse. Nous étions à quelques secondes du" sors dans la rue, si tu es un homme !"...
Sauf que les petites frappes de ma jeunesse étaient dans leur monde et leur territoire...Mais là, dans ce lieu de culture et d'intelligence, supposé, ce fut navrant et régressif..."
Jp Aranega
TEXTE 2
DÉCALAGE
"En général, toute discussion m'intéresse, même lorsqu'elles paraissent banales, jusqu’à un certain point, évidemment. Elles me donnent du grain à moudre pour la réflexion et l'écriture.
Or bien souvent, les personnes avec qui je parle interrompent la discussion ou partent, en me disant que je suis ennuyeux. Cela me paraît bizarre, car bien que je sois exigeant dans le dialogue, il semble que je trouve plus d'intérêt que mes interlocuteurs dans notre discussion. Aussi me suis-je demandé pourquoi ces derniers trouvent peu d'intérêt à discuter avec moi, quand bien même j'apporte en général plus de contenu qu'ils ne le font, et que je trouve toujours de la matière dans nos échanges
Sans doute il se trouve là un décalage fondamental entre deux manières d’aborder le dialogue : l’une comme un travail de pensée, l’autre comme un échange social ou affectif.
Si je suis ennuyeux, c’est sans doute que je ne joue pas le jeu que mes interlocuteurs veulent jouer ou croient jouer. Pour beaucoup, parler est un moment de détente, de connivence, de légèreté. Le but n’est pas de penser, mais de se sentir bien, de se reconnaître, de partager des impressions, d’échanger, tout simplement. C’est une activité ludique ou affective, ou simplement un rituel social, où la pensée ne doit pas trop peser.
Lorsqu’un interlocuteur commence à analyser, creuser, reformuler, problématiser, cela est perçu comme une rupture de contrat implicite : la parole devient laborieuse, sérieuse, tendue. Elle oblige à réfléchir, à justifier, à remettre en question, ce que beaucoup fuient. Je viens au dialogue pour penser, ils viennent pour se détendre. C’est l’opposition entre dialogue et conversation, entre travail et détente.
Ma capacité à trouver de l’intérêt là où les autres n’en voient pas devient elle-même une source de malaise. Car si je m’attarde sur ce qu’ils disent, je leur renvoie une importance qu’ils n’assument pas, qu’ils ne souhaitent pas. Je transforme les banalités en objets d’examen, ce qui met à nu mes interlocuteurs ou les oblige à se situer. Je ne laisse pas les mots s’envoler, je les attrape et les décortique. Je recherche l’être à travers les paroles, mais cela oblige autrui à un face à face déplaisant, ou insupportable. Ils ne veulent pas être pris au sérieux, car cela implique une responsabilité de penser, une obligation d’exister.
Étrangement, du simple fait d’être intéressé, je deviens inquiétant. Je prétends apporter contenu, analyse, rigueur ou réflexion. Mais ce faisant, je dépasse ce que l’autre est prêt à recevoir, plus que ce qu’il ne demande. Il ne cherche pas de nourriture intellectuelle, il ne veut pas s’embêter. Il veut simplement partager une émotion, un souvenir, une opinion, une anecdote, il veut s’exprimer, voire il veut se montrer.
Ce que j’offre est donc vécu comme un excès. Trop intense, trop sérieux, trop profond. Sans le vouloir, je déséquilibre l’échange, et au lieu d’être perçu comme « généreux », je suis perçu comme envahissant. On m’accusera même de pontifier, d’agresser.
Creuser une idée, c’est mettre à l’épreuve celui qui l’a énoncée. En retour, l’autre peut se sentir fragilisé, mis en défaut, confronté à sa propre confusion.
Ce qui, pour moi, est matière à jubilation intellectuelle, est pour lui source de malaise narcissique.
Ce n’est pas l’idée qui gêne, c’est la mise en jeu de soi qu’elle implique. Le refus de penser est en fait une protection du moi. Le reproche d’ennui dissimule souvent un rejet de l’effort, un refus de la tension du sens. Je deviens ennuyeux non parce que je manque de contenu, mais parce que j’impose de fait une densité d’attention que l’autre ne veut ou ne peut pas soutenir.
Il dira même que ce n’est pas possible de discuter avec moi, car il se sent oppressé. En fait, être jugé ennuyeux, c’est parfois être trop vivant, comme un enfant hyperactif qui dérange son entourage.
Lorsque j’écoute attentivement et je relance, j’insiste. Lorsque j’approfondis, j’alourdis et je complique. Lorsque j’interprète et je donne du contenu, j’étouffe.
Je veux penser, ils veulent parler. Je prends leurs paroles au sérieux, ils se sentent piégés.
Le dialogue est pour moi une épreuve de vérité,
le leur est souvent un simple jeu d’affirmation de soi, une « liberté de parole ».
Je cherche de la matière, ils cherchent du confort, d’où le malaise et
l’incompréhension. Ils en concluent ainsi que ce n’est pas un dialogue, qu’il
n’est pas possible de discuter avec moi.
O. Brenifier
samedi 21 juin 2025
Sujet du Merc. 25 Juin 2025 : "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer" K. Marx.
"Les
philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières,
ce qui importe c'est de le transformer"
K. Marx.
Pour nombre d’auteurs, cette formulation de Marx viendrait
sonner la fin de toute philosophie. Dès lors les penseurs (comme les autres
hommes – les philosophes devenant inutiles !) devraient s’attaquer à la
transformation du monde.
Cette analyse, si elle s’adosse à la syntaxe même de la phrase, ne tient en
aucun cas compte de l’œuvre elle-même de Marx et de ce qu’il a développé en
particulier dans le « renversement » de la dialectique de Hegel. Elle
est pratique pour la polémique, mais totalement non opératoire si l’on veut
tenter, un tant soit peu, de pénétrer la posture de Marx.
Rappelons aussi, pour l’histoire, que lesdites « thèses sur
Feuerbach » sont une succession de notes prises en 1845 par Marx
et publiées en 1888 par F. Engels en appendice d’un texte plus élaboré qui
s’intitule « L’idéologie allemande ». Il sera donc utile pour cette
discussion d’avoir lu ce texte dans son intégralité (on retrouvera par ailleurs
en fin de ce philopiste l’intégralité des 11 « Thèses »).
Mais avant d’aller plus loin ayons à l’esprit les deux thèses suivantes
qui aideront à positionner la discussion dans le champ précis dans lequel Marx
s’inscrit : celui d’une philosophie matérialiste, tournée vers la
pratique :
Thèse II
La question de savoir s'il y a lieu de reconnaître à la pensée humaine une
vérité objective n'est pas une question théorique, mais une question pratique.
C'est dans la pratique qu'il faut que l'homme prouve la vérité, c'est-à-dire la
réalité, et la puissance de sa pensée, dans ce monde et pour notre temps. La
discussion sur la réalité ou l'irréalité d'une pensée qui s'isole de la
pratique, est purement scolastique.
Thèse VIII
Toute vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui
détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle
dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique.
Acte de décès de la philosophie ? :
Voyons de plus près le détail de la phrase de Marx : Qui sont ces
philosophes ? Ce sont tous les penseurs qui appartiennent à
l'ancienne tradition du matérialisme, tradition à laquelle, en dépit de ses
efforts d'innovation, Feuerbach appartient encore ; mais ce sont aussi les
penseurs de l'autre bord, les philosophes idéalistes à la Fichte, que Marx
comme la plupart des jeunes hégéliens ont suivis un temps, ces philosophes
auxquels l'impardonnable négligence des matérialistes en proie à une sorte de
délire chosiste, dont le matérialisme intuitif de Feuerbach demeure une manifestation
exemplaire, a réservé le droit exclusif d'explorer les voies de la subjectivité
et de l'action. Matérialistes et idéalistes, même combat ! De part et d'autre,
même souci obsessionnel d'interpréter le monde !
Interpréter le monde, c'est-à-dire élaborer une
spéculation à caractère global sur la réalité qui a pour résultat de ramener
celle-ci à un principe unique : démarche qui ne peut mettre en avant et
privilégier indûment que des abstractions, c'est-à-dire des conceptions
prétendant à la globalité, mais qui, pour donner corps à cette prétention,
mutilent la réalité en la réduisant à l'un seul de ses aspects présenté comme
constitutif de son essence et capable de l'expliquer en totalité. Ainsi
« le monde », que les philosophes se proposent d'interpréter, ce n'est jamais
qu'un succédané de la réalité effective, un substitut appauvri de celle-ci, un
état figé de son développement abusivement élevé au rang de représentant
définitif de sa nature essentielle. Et l'interprétation est précisément
l'opération qui donne un air de légitimité à cette entreprise de
récupération en lui prêtant les apparences de la systématicité et de la
cohérence. Interpréter le monde, c'est donc mettre en forme à son propos une
théorie censée en épuiser toutes les déterminations, rassemblées dans le cadre
d'une « vision du monde » ordonnée et raisonnée, dont la valeur n'est
finalement pas supérieure à celle des mythes religieux dont elle cherche à
prendre la place : imposture contre laquelle il convient de s'élever avec une
nette et entière résolution.
Si la philosophie se contente d'interpréter le monde,
elle se condamne à terme à disparaître, chargée d'un opprobre universel, la
seule forme d'accord dont elle puisse escompter faire l'objet.
Si la onzième thèse sur Feuerbach décrète ou constate la mort de la
philosophie comme telle, elle proclame manifestement l'échec de la philosophie
ramenée à une interprétation du monde, ce qui, si l'on persiste à voir un
avenir à la philosophie, conduit à programmer la nécessité d'une autre manière
de faire de la philosophie, pour laquelle le mot « faire » retrouve sa pleine
signification, qui permette de récupérer ce que les procédures interprétatives
ont dû fatalement laisser tomber, à savoir la praxis humaine
saisie dans sa dimension historico-sociale. La thèse 11, si elle ne l'évoque
pas directement, n'écarte donc pas l'idée d'une réforme en
profondeur de la philosophie, qui en remodèle les enjeux, ce qui nécessite de
nouveaux moyens pour y parvenir.
Une autre manière de philosopher ? :
Lorsqu'on cite la onzième thèse sur Feuerbach, citation rituellement
effectuée à la cantonade sans souci philologique d'exactitude, on a souvent
l'habitude de rajouter à son énoncé : « ce qui importe maintenant
», et par là de rétablir une césure entre l'ancien et le nouveau,
entre des pratiques antérieures et celles qu'il faudrait impérativement leur
substituer. Mais, à la lettre, la thèse 11 ne dit pas cela. Elle se contente
d'énoncer un ordre des priorités : « ce qui compte », et ceci
en quelque sorte dans l'absolu, sans que soit tenu compte de la
différence entre hier, aujourd'hui et demain. Ce qui compte,
sous-entendu, ce qui compte le plus, c'est aussi ce qui a toujours compté et
comptera toujours de cette même manière. S'il y a quelque chose qui compte, et,
peut-on ajouter, qui doit compter pour la philosophie, ce serait donc de
participer aussi activement que possible à la transformation du monde.
Ceci peut être compris dans le sens d'une réhabilitation au
moins partielle de la philosophie, même dans son état antérieur où elle se
contentait en pensée d'interpréter le monde, faisant fond sur l'accessoire au
détriment de l'essentiel, ce qui est bien sûr regrettable. Les philosophes
étaient animés, possédés par le projet d'effectuer une telle interprétation, et
ils s'en satisfaisaient en apparence. Mais, en réalité, ne
faisaient-ils que cela ? Ne participaient-ils pas eux aussi, de façon biaisée
et inconsciente, au mouvement historique de son devenir ?
la onzième thèse, prise à la lettre, ne dit pas : ce qui
compte, c'est que le monde se transforme ou soit transformé, mais ce
qui compte, c'est de le transformer, ou qu'on le transforme, c'est-à-dire
qu'on participe activement à la dynamique de son changement, au lieu de se
contenter de le regarder passivement de loin comme s'il s'agissait d'une chose
étrangère, objet de spectacle ou de simple consommation : la transformation,
est un processus objectivement en cours, auquel manque seulement qu'on s'y
associe subjectivement, c'est-à-dire qu'on prenne conscience de la nécessité de
prendre part à ce mouvement qui est lui-même, en lui-même, irrépressible, car
on ne voit pas comment le monde pourrait cesser, ni même pourrait avoir jamais
cessé de se transformer.
Ce qui compte, c'est donc de s'intéresser au mouvement de
transformation du monde, d'en faire un sujet de préoccupation, théorique et
pratique à la fois, qui passe au premier plan, ce qui constitue précisément le
principe directeur de la praxis, par laquelle l'homme entre en
confrontation avec les choses et les autres hommes. Or, prendre au sérieux
cette confrontation, en faire l'objectif d'une praxis au sens plein et entier
du terme, c'est refuser de la laisser se dérouler au hasard, de façon sauvage,
mais autant que possible la contrôler et pour une part la diriger, ce qui
suppose qu'on prenne connaissance de ses tendances profondes, ce sans quoi on
se prive de toute chance d'intervenir efficacement à leur égard. La thèse 8, de
la même façon, pose que « tous les mystères qui incitent la théorie au
mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la praxis humaine et dans la
compréhension de cette praxis », la praxis et sa compréhension
rationnelle allant nécessairement ensemble et étant condamnées à être perverties
si elles sont conçues séparément, et a fortiori si elles sont renvoyées dos à
dos en étant présentées comme exclusives l'une de
l'autre.
Réforme de la philosophie :
Ce qui est en jeu dans le projet d'une réforme de la philosophie, ce n'est pas
l'élaboration d'une philosophie de plus, qui vienne débattre avec les autres
sur un même plan qu'elles, mais c'est la mise en place effective des conditions
d'une nouvelle pratique de la philosophie, poursuivant d'autres
objectifs que ceux traditionnellement assignés à son entreprise : des objectifs
faisant passer au premier plan ce qui réellement compte sur le fond, à savoir
la nécessité de transformer le monde, c'est-à-dire de prendre part activement à
son évolution au lieu de se faire entraîner par elle comme s'il s'agissait
d'une fatalité inexorable, d'un déterminisme aveugle.
De ce point de vue, la onzième thèse sur Feuerbach renoue à
sa façon avec le programme des philosophies de l'action tel qu'il
avait été développé auparavant, par Moses Hess, qui, en reprenant
le message que Cieskowski avait résumé à l'aide de la formule:
«à la fin sera l'action », qui parodie celle du Faust de
Goethe « Am Anfang war die Tat », avait
exposé la nécessité la philosophie de se dépasser de manière à rejoindre le
terrain de l'action réelle, faute de quoi elle se condamne à disparaître
complètement. Mais, tout en reprenant ce programme, la onzième thèse en décale
le point d'application : transformer le monde, ce n'est pas agir
sur l'extérieur, par l'opération d'une volonté pure ; mais comme
nous l'avons dit, prendre part au mouvement de sa transformation qui, de toute
façon, qu'on le veuille ou non, doit avoir lieu d'une façon ou
d'une autre ; c'est agir en lui, suivant l'élan propre à une praxis immanente
plutôt que prétendre agir sur lui, ce qui serait encore une manière de
réactiver les vieux dilemmes de l'objet sujet, de la pensée
et du réel, de la théorie et de la pratique, de l'abstrait
et du concret, du déterminisme et de la liberté, du matérialisme
et de l'idéalisme, ces dilemmes avec lesquels, comme Marx l'avait dit dès
la première sur Feuerbach, il faut en finir si on veut redonner sens
l'entreprise de la philosophie.
« La philosophie ne serait fausse qu'en tant
qu'elle resterait abstraite, s'enfermerait dans les concepts et dans les êtres
de raison et masquerait les relations interhumaines effective. Même
alors, tout en les masquant, elle les exprime, et le marxisme n'entend pas
se détourner d'elle, mais la déchiffrer, la traduire, la réaliser...
Philosopher est une manière d'exister entre autres, et l'on ne peut pas se
flatter d'épuiser, comme le dit Marx, dans « l'existence purement philosophique
» « l'existence religieuse », « l'existence politique », « l'existence
juridique », « l'existence artistique », ni en général « la vraie existence
humaine » (Manuscrits de 1844).
Mais si le philosophe le sait, s'il se donne pour tâche de suivre les autres
expériences et les autres existences dans leur logique immanente au lieu de se
mettre à leur place, s'il quitte l'illusion de contempler la totalité de
l'histoire achevée et se sent comme tous les autres hommes pris en elle et
devant un avenir à faire, alors la philosophie se réalise en se
supprimant comme philosophie séparée.
Cette pensée concrète, que Marx appelle critique pour la distinguer de la
philosophie spéculative, c'est ce que d'autres proposent sous le nom de
philosophie existentielle » Merleau-Ponty (Sens
et non-sens, Nagel, Paris, 1948, p. 235-237).
Comme le signale P. Macherey :
«L'exigence pour la philosophie de « se supprimer comme philosophie séparée
», exigence posée comme condition pour que la philosophie, au lieu de se
périmer, s'arrime au mouvement d'un avenir à faire. C'est sans aucun doute
possible cette exigence qui animait Marx lorsque, en 1845, il rédigeait ses
« thèses » sur Feuerbach.»».
P. Macherey, Marx 1845, Les «thèses» sur Feuerbach»
Note : de nombreuses citations de l'ouvrage précité
constituent la charpente de ce philopiste.
Ad
Feuerbach
K. Marx 1845
1
Le défaut principal, jusqu'ici, de tous les matérialismes (y compris celui de
Feuerbach) est que l'objet, la réalité effective, la sensibilité, n'est saisi
que sous la forme de l'objet ou de l'intuition ; mais non pas comme activité
sensiblement humaine, comme pratique, non pas de façon subjective. C'est
pourquoi le côté actif fut développé de façon abstraite, en opposition au
matérialisme, par l'idéalisme – qui naturellement ne connaît pas l'activité
réelle effective, sensible, comme telle. Feuerbach veut des objets sensibles –
réellement distincts des objets pensés : mais il ne saisit pas l'activité
humaine elle-même comme activité objective. C'est pourquoi il ne considère,
dans L'Essence du christianisme, que l'attitude théorique comme vraiment
humaine, tandis que la pratique n'est saisie et fixée que dans sa manifestation
sordidement juive. C'est pourquoi il ne comprend pas la signification de
l'activité
«révolutionnaire», de l'activité «pratique-critique».
2
La question de savoir s'il faut accorder à la pensée humaine
une vérité objective n'est pas une question de théorie, mais une question
pratique. C'est dans la pratique que l'homme doit prouver la vérité, i.e. la
réalité effective et la puissance, le caractère terrestre de sa pensée. La
dispute concernant la réalité ou la non-réalité effective de la pensée – qui
est isolée14 de la pratique – est une question purement scolastique.
3
La doctrine matérialiste du changement des circonstances et
de l'éducation oublie que les circonstances sont changées par les hommes et que
l'éducateur doit lui-même être éduqué. C'est pourquoi elle doit diviser la
société en deux parties – dont l'une est élevée au-dessus d'elle.
La coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou
autochangement ne peut être saisie et rationnellement comprise que comme
pratique révolutionnaire.
4
Feuerbach part du fait de l'auto aliénation religieuse, du
redoublement du monde en un religieux et un mondain. Son travail consiste à
résoudre le monde religieux en son fondement mondain. Mais que le fondement
mondain se détache de lui-même et se fixe en un royaume autonome dans les
nuages ne peut s'expliquer que par l'autodéchirèrent et l'autocontradiction de
ce fondement mondain. Celui-là lui-même doit donc en lui-même être autant
compris dans sa contradiction que révolutionné pratiquement. De telle sorte
qu'une fois, par exemple, que la famille terrestre a été découverte comme le
secret de la famille céleste, c'est désormais la première elle-même qu'on doit
détruire théoriquement et pratiquement.
5
Feuerbach, point satisfait de la pensée abstraite, veut
l'intuition ; mais il ne saisit pas la sensibilité comme activité
humaine-sensible pratique.
6
Feuerbach résout l'essence religieuse en l'essence humaine.
Mais l'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu
singulier. Dans sa réalité effective, elle est l'ensemble des rapports sociaux.
Feuerbach, qui n'entre pas dans la critique de cette essence réelle affective,
est, par conséquent, contraint : 1. De faire abstraction du cours de l'histoire
et de fixer le sentiment religieux pour soi, et de présupposer un individu
humain abstrait – isolé. 2. L'essence ne peut donc plus être saisie que comme
«genre», comme universalité interne, muette, liant les nombreux individus de
façon naturelle.
7
C'est pourquoi Feuerbach ne voit pas que le « sentiment religieux » est
lui-même un produit social et que l'individu abstrait qu'il analyse appartient
à une forme sociale déterminée.
8
Toute vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui orientent
la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la
pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique.
Le sommet auquel parvient le matérialisme intuitif, c'est-à-dire le
matérialisme qui ne conçoit pas la sensibilité comme activité pratique, c'est
l'intuition des individus singuliers et de la société civile-bourgeoise.
10
Le point de vue de l'ancien matérialisme est la société civile-bourgeoise ; le
point de vue du nouveau, la société humaine ou humanité sociale.
11
Les philosophes ont seulement interprété différemment le monde, ce qui importe,
c'est de le changer.
vendredi 13 juin 2025
Sujet du mercredi 18 juin 2025 : Ça m’est égal.
Ça m’est égal.
Egalité raciale, égalité des sexes,
égalité des individus, égalité de tout, nivellement des attributs de chacun. La
morale débonnaire fait accroire que l’homme est transcendentalement identique,
ne différant que par les conséquences du choix de ses entreprises ; elle se
heurte de fait et d’abord, magistralement, à la diversité première, génétique,
en laquelle elle trouve paradoxalement refuge lorsqu’il s’agit de justifier par
l’iniquité de la « nature » des aberrations comportementales au regard
de cette même nature, telle que l’homosexualité, ou des pathologies
psychologiques diverses.
L’égalité sied bien au monde de
l’homme-machine, bien que la réalité des classes indique tout le contraire, et
quand dans les discours médiatiques d’une naïveté croissante la contradiction
domine. Parce qu’elle est nécessaire. Deux personnes se disant égales mais que
dans la réalité tout sépare ne peuvent se retrouver en ce qui, dans l’autre,
leur est à fait étranger, et vont donc défendre leur identité en prétendant
défendre une « égalité » quelconque ; c’est le cas de nombreuses
associations se positionnant pour les femmes ou contre le racisme et qui, dans
le fait même d’exister, ne peuvent assurément, bien qu’elles le fassent contre
tout bon sens, distiller l’idée d’égalité avec les autres de ces individus
qu’elles-mêmes marginalisent.
Bien évidemment, tout ceci n’est que
confusion conceptuelle, entre les termes d’égalité et d’identité. Cette dernière, vue sociologiquement comme
l’idiosyncrasie, i.e. l’ensemble des différences faisant la singularité d’un
individu ou d’un groupe, s’offre à la curée des contradictions entre
individualisme moderne (contrat social et anomie : cf. Tocqueville) et
multiculturalisme. L’exemple hypothétique ci-dessus renvoie au dilemme aliénant
de concilier son double principe individuel d’autonomie et de réciprocité avec
le refuge de l’identité culturelle ; sans que cette culture relève d’un patrimoine
qui, en tant que sentiment national, s’intègre à une identité qui n’est
que propre, elle ne heurte à l’échec de sa définition individuelle ainsi que de
la reconnaissance de l’alter ego. En d’autres termes, l’individu se connaît
d’abord par ses actes, et situe ses affinités culturelles en conséquence, et
non parce qu’il appartient a priori à des catégories sociales. Ceci, lorsqu’on
y mêle le droit de chacun d’être traité de la même façon au sein d’un
groupuscule politique, s’entend l’égalité, conduit aux écueils que l’on sait.
Comprendre l’égalité plutôt que
l’identité, ce n’est pas moins comprendre la différence. Celle-ci, une fois
encore, s’acquiert de la vie même de la personne, des actes qu’elle opère sur
le monde, des pensées qu’elle en constitue, tout en étant primordiale et
naturelle ; qu’est-ce alors que revendiquer un droit à la
différence ? Sinon se placer en contradiction avec les droits de l’homme
même, qui instituent l’égalité (telle qu’elle a été justement définie plus
haut), sinon nuire dangereusement à cette conception d’égalité, la
confondant ? Sexisme et racisme naissent aussi dans l’angoisse de
l’indifférenciation, résultat de l’égalitarisme.
Cet égalitarisme revient à
l’égalisation, au possible, des conditions et des moyens d’existence, défendue
par Marx, et renvoie à cette notion d’égalité sociale qui ne se satisfait pas
de la seule égalité des droits (i.e. devant la loi), laquelle repose sur
l’égale dignité des hommes. On pourrait penser qu’il est de bon aloi de
dire que le libéralisme critique, à raison, l’égalitarisme, pour ce qu’il
sacrifie la liberté individuelle au nom de l’égalité, véritable insulte à
l’homme, ainsi que pour ce qu’il entraîne cette confusion que nous avons vue,
entre égalité et identité. De sorte que nous aurions aujourd’hui un canevas
manichéen trivial pour comprendre l’opposition des courants politiques majeurs,
à gauche pris dans un maelström revendicatif égalitariste, à droite enchâssé
dans l’individualisme et le pugilat de la libre entreprise. Un philosophe
averti de notre temps se doit non seulement de dépasser cette vision polémique
de la réalité, mais de ne trouver refuge ni dans l’ésotérisme ni dans la sagesse
vaine de l’épochê, de l’égalité de valeur de tout argument, ou, pire encore,
dans un radicalisme démagogique infructueux en idées et en actes.
Il faut peu pour comprendre qu’au
départ de l’égalité devant la loi de nos régimes, égalité civique et politique,
il y a une loi première, l’état de nature, exposé par Hobbes, penseur de l’Etat
moderne. Cette « fiction théorique » comme disent certains, est ce
que la raison et la conscience d’Homo
sapiens, dans son état de primate social, en font un égoïste qui se le
veut, le plaçant en réalité hors d’une organisation communautaire mise en place
par l’évolution dans de nombreux taxons animaux, qui pourtant est, elle, bien
naturelle. L’en sort le pacte, le contrat social, assurant le pouvoir absolu
des potentats, excepté sur la vie des sujets ; dans notre métamorphose
démocratique précaire de ce principe, les droits de l’homme ne peuvent se
mettre en place que dans la situation d’un Etat auquel les individus peuvent
demander des comptes, s’il ne remplit pas ses fonctions morales et pratiques. A
la conception holiste des grecs et de Hobbes, où le tout prévaut sur la partie,
se substitue une conception individualiste, où l’individu détient la valeur
suprême. L’actualité fourmille d’exemples de la dérive individualiste :
couples transsexuels, pompiers attaquant en justice les rescapés d’un désastre,
droit des enfants à divorcer de leurs parents… Il apparaît qu’individualisme et
égalitarisme sont corrélés dans nos démocraties de droit ; sommes-nous
condamnés à choisir entre un régime égoïste et un autre, totalitaire ? A
moins que le second, d’inhumanité, n’exhorte à éveiller un instinct de
conservation altruiste, nous amenant au premier, qui retourne au second par
glissement vers ce même égoïste des potentats. C’est la théorie de l’étalon
moral.
Reste que si l’on doit en tous les
cas concilier égalité et différence, au nom de la créativité humaine et en
égide contre l’homme-machine, il faut distinguer égalité et justice.
« L’inégalité sociale n’est injuste que lorsqu’elle prive les individus de
jouir de leurs droits » entendra-t-on. Le propos fait la part belle à
l’heure de la profusion, que dis-je ! de l’orgie médiatique. Tout ces
citoyens que nous sommes, d’Etats occidentaux moralistes, n’avons-nous pas
accès aux sources d’informations les plus diverses et les plus
contradictoires ? Nos enfants à un enseignement trop souvent
conformiste ? Uniformitariste ? L’inégalité sociale est injuste dès
lors qu’elle est laissée en pâture à ces fléaux que nous avons vus, qui sont
l’individualisme et l’égalitarisme. Pour déplacer le problème, il existe un
autre concept : l’équité.
Elle se singularise de la loi, et se
rattache la difficulté de penser la justice. L’équité est d’ailleurs en quelque
sorte à la loi ce que l’éthique est à la morale. Elle se rapporte encore à un
certain équilibre, que seule une sagesse, et par conséquent, une démarche
philosophique, peut atteindre. Quoiqu’il en soit, et sans poser ici le problème
de l’équité, ce n’est que d’elle dont il est question lorsque dans des méandres
mièvres et réactionnaires, empestant la vanité, on cherche à nous faire avaler de
l’égalité à longueur de jour.
Néanmoins, tout comme la fraternité ou la liberté, ces
concepts ont été sortis de leur gangue démocratique, puisqu’il est devenu tout
à fait insupportable de les penser dans le cadre d’une nationalité. Il n’y a
plus de nation, il n’y a plus que individualités, que des animaux raisonnables
qu’un avenir consistant en le repentir des erreurs des générations passées fait
fonctionner. Des individualités de vies obligées, tirées par la carotte de
petits plaisirs épicuriens, ou plutôt captieusement lâchées dans l’espace
restreint de leurs pensées fabriquées.
Pourquoi ? Précisément parce que la
morale débonnaire, suite aux atrocités des guerres mondiales, au
non-uniformitarisme de la guerre froide et à la libre entreprise, suite à la
victoire des régimes polydictatoriaux de frontispice parlementaire, a préféré
donner de la voix à la neutralité facile, à une réinvention du message
apostolique, sans en oublier l’argument apocalyptique. Homo sapiens, sorti de sa torpeur bestiale par une sociabilité
basée sur la contingence d’un langage, par l’usage coordonné de ses mains,
semble avoir aujourd’hui autant perfectionné que raréfié les manifestations
d’humanité, qui n’appartiennent pas toujours aux élites, bien au contraire.
Mais la masse, le vulgum pecus, sorte de crevasse de l’oubli vers laquelle on
tente de nous pousser chaque jour, est à la merci d’une communication
ininterrompue, parasite, sans compréhension, d’un divorce du travail de la main
d’avec la tête. Si tous sont égaux, qu’ont-ils à apprendre les uns des autres ?
Pourquoi alors transmettre autre chose que des trivialités ? Que des faits de
vie sans plus de substance qu’un nième message sur son téléphone, puisqu’enfin
la raison est victorieuse, et la sensibilité morte, vaincue par l’émotivité des
foules et la distraction générale ?
Pourquoi
réaliser quelque chose dans un monde où tout est égal par définition ? Où tout
est égal, tout doit nous être égal.
L’humain, et a fortiori, la culture,
doivent faire désormais intervenir une chose avant toute autre : la différence.
Ne pas fuir tout ce qu’elle suppose, et ce à travers quoi les civilisations
sont déjà passées, parce que le contraire laisserait la voie libre aux plus
abominables dystopies.
Pourquoi
vivre ? Pourquoi être humain ? demanderont encore ceux dont l’endoctrinement
est le plus avancé.
Parce que nous ne nous poserions
plus la question si ce n’était pas le cas.
vendredi 6 juin 2025
Sujet du Mercredi 11 Juin 2025 : La justice peut-elle faire évoluer l’esprit de vengeance ?
La
justice peut-elle faire
évoluer l’esprit de
vengeance ?
· Les philosophes et
le rôle de l’État, du droit et de la justice
Dans
la préface du traité politique, Robert Misrahi résume l’idée de Spinoza
selon laquelle l’état de nature est ce qui existe avant le contrat social.
« Dans l’état de nature il n’y a pas de loi civile car il n’y a pas de
société pour les constituer. Mais il existe des lois naturelles qui sont
inapplicables puisque chacun se les représente comme il veut. En effet, si
chacun a droit à tout puisqu’il n’y a pas de loi civile qui limite ses droits,
les autres ont aussi droit à tout ; cela peut vite déboucher sur le droit
à rien puisque chacun peut utiliser ses droits contre autrui. C’est donc le
caractère incontrôlable du droit naturel qui va faire que l’état de nature va
devenir invivable et qu’il deviendra nécessaire de passer à l’état de société
qui peut être créé à travers le contrat social. »
Pierre-François
Moreau, quant à lui, explique dans une conférence à l’école de commerce de Lyon1
que « le contrat social constitue la caractéristique d’un ensemble de
doctrines qui ont essayé de rendre compte de la société politique entre le 17ème
et le 18ème siècle. C’est un concept qui est au centre de toutes ces
doctrines politiques. Chez Hobbes, Locke, Pufendorf, Rousseau et d’autres
encore, on explique la société par un contrat : on ne considère pas que les
hommes soient naturellement sociaux, mais qu’ils sont d’abord des individus et
que pour expliquer cette société, il faut se rendre compte de la façon dont ces
individus ont décidé volontairement de vivre ensemble et de se donner des
institutions qui rendent visible l’union de ces individus séparés en un tout
qui est la cité (la société politique). Ce modèle étant celui de nos sociétés
modernes. ».
· Du contrat social
au système judiciaire
En
France, l’État assure les fonctions régaliennes dont celle de définir le droit et
de rendre la justice dans des
tribunaux censés être égaux pour tous et assurant la défense des droits des
citoyens. Les juges sont invités à y prononcer des jugements conformes à leur
conscience et obéissant uniquement à la loi. La justice répond en ce sens à un
idéal philosophique et moral qui renvoie à la notion d'égalité entre les
citoyens et d'équilibre dans leurs relations. Mais comment être sûr qu’un juge aura le discernement pour
exercer avec droiture ?
· La vengeance s’affranchit des
institutions judiciaires :
L’histoire du monde
regorge de situations dans lesquelles des personnes en proie à des croyances,
des peurs, un esprit de vengeance, de conquête, voire de grégarisme ou de
rejet, ont contourné les formalités judiciaires.
C’est ainsi qu’une
juridiction relevant du simple droit canonique fut l’alibi pour la torture et
le bûcher ou qu’un tribunal irrégulier permit de lyncher des êtres humains au
moment de la guerre
d’indépendance des États-Unis. C’est également de cette manière que la question de
savoir si les Espagnols pouvaient se servir du « droit de
conquête » pour mettre en esclavage, tuer ou convertir par la
force les populations indigènes dont on remettait en question le statut de leur
humanité et la légitimité de la possession de leurs territoires, fut tranchée
par un débat politico-religieux. La position de Sepúlveda
dans la controverse de Valladolid s’est en
effet reposée sur un fondement métaphysique du droit en invoquant à la fois la
loi divine et la loi de la nature.
De nos jours, le recours à la vengeance perdure par exemple à travers la
vendetta ; un code de l‘honneur qui implique, par obligation de solidarité, tous les parents
ou les membres d’un clan dans un processus vindicatif. Par ailleurs,
l’utilisation de la vengeance se nourrit souvent de la résistance à une
domination politique ; le sentiment d'injustice, d'inégalité de traitement
étant souvent à l'origine de cette forme de justice privée, considérée comme
primitive, tout comme les conflits tribaux et/ou ethniques qui semblent se
jouer de faiblesses structurelles (faiblesse des États, lenteur des
institutions …)
C’est
ainsi que le 8
juin 1993, Christian Didier tue de
cinq balles René Bousquet, haut fonctionnaire français, antisémite
et collaborateur avec l'occupant nazi, alors qu’une instruction est enfin en cours
pour crimes contre l’humanité, mais après des années de liberté sans
contrainte. Christian Didier aurait voulu venger les victimes des meurtriers nazis, tuées
dans sa ville. Même si certains ont soupçonné C. Didier de vouloir simplement
être célèbre, les raisons de ce crime auraient peut-être trouvé moins de
légitimité auprès de la population si le procès du collabo avait eu lieu plus
tôt.
De
tout temps, la justice a été exposée à la critique de l’opinion publique. Les
décisions des tribunaux sont souvent contestées et vécues comme injustes ou
insuffisantes. Les juges sont alors considérés comme hors sol, corrompus, voire
politiquement orientés, ce qui serait supposé altérer leur raisonnement. Il est
vrai que certains événements nous amènent parfois à constater des
dysfonctionnements dans la conduite de l'instruction comme par exemple, dans
l’affaire d’Outreau. On peut également observer une méfiance au sujet de peines
d’une justice considérée à deux vitesses, consistant notamment à plus de
clémence pour des personnalités politiques ou médiatiques. La frustration des
citoyens engendrée par cela nous offrant au moins le plaisir de voir refleurir
certains classiques sur les réseaux sociaux : « selon que vous
serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou
noir » Les
Animaux malades de la Peste (J. de La Fontaine).
Dans une interview, un ancien président de
cours d’assises explique la différence de traitement entre une personne prise
en flagrant délit pour possession de cannabis et un homme politique qui
détourne des fonds publics, par la différence entre les types d’infraction. Le
consommateur de drogue lambda sera déféré, et passera en comparution immédiate
devant le tribunal, parce que la situation pose un risque de problème d’ordre
public, alors que la délinquance financière ne poserait pas les mêmes problèmes.
Mais quand Johnny Halliday déclarait à la presse "La cocaïne, j'en prends pour travailler ", nous
n'avons pas vu la police arriver, saisir la cocaïne, le placer en garde à vue,
et le faire passer en comparution immédiate.
Bien
que la justice soit faillible, la volonté que les jugements restent équitables
devrait maintenir nos esprits en alerte, afin que les manquements ne puissent
servir d’arguments à de sombres idéologies, comme cela s’est vu, par exemple,
lors de la dégénérescence progressive du système judiciaire sous le régime
nazi.
· La vengeance selon
certains philosophes :
Si
Montesquieu (Mes pensées) 2, donne partiellement raison à
Aristote « la vengeance est la seule façon que la Nature nous ait
donnée pour arrêter les mauvaises inclinations des autres », il
précise néanmoins que la vengeance est animée par la passion qui implique de la
subjectivité : « un homme dans la passion, n'est guère en état de
voir au juste la peine que mérite celui qui offense ». En cela, il est
rejoint, entre autres, par Hegel2 (Propédeutique philosophique)
qui distingue la vengeance de la punition et préconise de préférer « l’œuvre
d’un juge ». « La vengeance n’a pas la forme du
droit, mais celle de l’arbitraire, car la partie lésée agit toujours
par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien quand le droit se
présente sous la forme de la vengeance, il constitue à son tour une nouvelle
offense, n’est senti que comme conduite individuelle, et provoque
inexpiablement, à l’infini, de nouvelles vengeances ».
La
justice est donc censée décentrer le problème de la victime en cherchant à
connaître les responsabilités respectives et en essayant de trouver une
solution de réparation adaptée en évitant le chacun pour soi, mais réussit-elle
toutefois à apaiser l’esprit de vengeance en toute circonstance ?
1 https://www.canal-u.tv/chaines/ens-de-lyon/la-philo-par-les-mots/le-contrat-social
samedi 31 mai 2025
Sujet du Merc. 04 Juin 2025 : COMMENT EPICURE ARRIVE-T-IL AU BONHEUR ATARAXE ?
COMMENT
EPICURE ARRIVE-T-IL AU BONHEUR ATARAXE ?
Oui, en définitive, n’est-ce pas « le
comment » qui compte pour arriver au bonheur ? Afin de sans cesse
pouvoir s’y référer pour ne pas perdre son chemin.
1) nous sommes dans l’impossibilité de
démontrer qu’elles sont erronées et
2) elles procèdent par le contact
physique et prouvent ainsi leur capacité à nous faire connaître la réalité
telle qu’elle est. Le martèlement continuel des atomes à l’intérieur des objets
émet sans cesse des « simulacres » de l’objet. C’est comme
l’émission de « fractales » conservant une structure identique à
celle de l’objet dont elles émanent. Ces simulacres d’objet se meuvent à très
grande vitesse car, leur constitution étant très ténue, ils ne rencontrent que
peu d’obstacles sur leur parcours.
L’éthique, c’est-à-dire les valeurs universelles
de vie, ne peut donc aller que dans le sens de cette quiétude. Il s’agit
d’assurer la paix de l’âme, constituée d’atomes, en dissipant les terreurs de
l’esprit. Mais comment faire ? En tirant, par la raison, toutes les
conséquences de ce qui précède. Dès lors n’est-il pas temps de philosopher par
nous-mêmes pour transformer nos vies vers le bonheur ataraxique, cette
réduction au maximum possible de tout trouble de l’esprit ?
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