vendredi 13 juin 2025

Sujet du mercredi 18 juin 2025 : Ça m’est égal.

 

                    Ça m’est égal.   

Egalité raciale, égalité des sexes, égalité des individus, égalité de tout, nivellement des attributs de chacun. La morale débonnaire fait accroire que l’homme est transcendentalement identique, ne différant que par les conséquences du choix de ses entreprises ; elle se heurte de fait et d’abord, magistralement, à la diversité première, génétique, en laquelle elle trouve paradoxalement refuge lorsqu’il s’agit de justifier par l’iniquité de la « nature » des aberrations comportementales au regard de cette même nature, telle que l’homosexualité, ou des pathologies psychologiques diverses.

            L’égalité sied bien au monde de l’homme-machine, bien que la réalité des classes indique tout le contraire, et quand dans les discours médiatiques d’une naïveté croissante la contradiction domine. Parce qu’elle est nécessaire. Deux personnes se disant égales mais que dans la réalité tout sépare ne peuvent se retrouver en ce qui, dans l’autre, leur est à fait étranger, et vont donc défendre leur identité en prétendant défendre une « égalité » quelconque ; c’est le cas de nombreuses associations se positionnant pour les femmes ou contre le racisme et qui, dans le fait même d’exister, ne peuvent assurément, bien qu’elles le fassent contre tout bon sens, distiller l’idée d’égalité avec les autres de ces individus qu’elles-mêmes marginalisent.    

            Bien évidemment, tout ceci n’est que confusion conceptuelle, entre les termes d’égalité et d’identité.  Cette dernière, vue sociologiquement comme l’idiosyncrasie, i.e. l’ensemble des différences faisant la singularité d’un individu ou d’un groupe, s’offre à la curée des contradictions entre individualisme moderne (contrat social et anomie : cf. Tocqueville) et multiculturalisme. L’exemple hypothétique ci-dessus renvoie au dilemme aliénant de concilier son double principe individuel d’autonomie et de réciprocité avec le refuge de l’identité culturelle ; sans que cette culture relève d’un patrimoine qui, en tant que sentiment national, s’intègre à une identité qui n’est que propre, elle ne heurte à l’échec de sa définition individuelle ainsi que de la reconnaissance de l’alter ego. En d’autres termes, l’individu se connaît d’abord par ses actes, et situe ses affinités culturelles en conséquence, et non parce qu’il appartient a priori à des catégories sociales. Ceci, lorsqu’on y mêle le droit de chacun d’être traité de la même façon au sein d’un groupuscule politique, s’entend l’égalité, conduit aux écueils que l’on sait.

            Comprendre l’égalité plutôt que l’identité, ce n’est pas moins comprendre la différence. Celle-ci, une fois encore, s’acquiert de la vie même de la personne, des actes qu’elle opère sur le monde, des pensées qu’elle en constitue, tout en étant primordiale et naturelle ; qu’est-ce alors que revendiquer un droit à la différence ? Sinon se placer en contradiction avec les droits de l’homme même, qui instituent l’égalité (telle qu’elle a été justement définie plus haut), sinon nuire dangereusement à cette conception d’égalité, la confondant ? Sexisme et racisme naissent aussi dans l’angoisse de l’indifférenciation, résultat de l’égalitarisme.

            Cet égalitarisme revient à l’égalisation, au possible, des conditions et des moyens d’existence, défendue par Marx, et renvoie à cette notion d’égalité sociale qui ne se satisfait pas de la seule égalité des droits (i.e. devant la loi), laquelle repose sur l’égale dignité des hommes. On pourrait penser qu’il est de bon aloi de dire que le libéralisme critique, à raison, l’égalitarisme, pour ce qu’il sacrifie la liberté individuelle au nom de l’égalité, véritable insulte à l’homme, ainsi que pour ce qu’il entraîne cette confusion que nous avons vue, entre égalité et identité. De sorte que nous aurions aujourd’hui un canevas manichéen trivial pour comprendre l’opposition des courants politiques majeurs, à gauche pris dans un maelström revendicatif égalitariste, à droite enchâssé dans l’individualisme et le pugilat de la libre entreprise. Un philosophe averti de notre temps se doit non seulement de dépasser cette vision polémique de la réalité, mais de ne trouver refuge ni dans l’ésotérisme ni dans la sagesse vaine de l’épochê, de l’égalité de valeur de tout argument, ou, pire encore, dans un radicalisme démagogique infructueux en idées et en actes.

            Il faut peu pour comprendre qu’au départ de l’égalité devant la loi de nos régimes, égalité civique et politique, il y a une loi première, l’état de nature, exposé par Hobbes, penseur de l’Etat moderne. Cette « fiction théorique » comme disent certains, est ce que la raison et la conscience d’Homo sapiens, dans son état de primate social, en font un égoïste qui se le veut, le plaçant en réalité hors d’une organisation communautaire mise en place par l’évolution dans de nombreux taxons animaux, qui pourtant est, elle, bien naturelle. L’en sort le pacte, le contrat social, assurant le pouvoir absolu des potentats, excepté sur la vie des sujets ; dans notre métamorphose démocratique précaire de ce principe, les droits de l’homme ne peuvent se mettre en place que dans la situation d’un Etat auquel les individus peuvent demander des comptes, s’il ne remplit pas ses fonctions morales et pratiques. A la conception holiste des grecs et de Hobbes, où le tout prévaut sur la partie, se substitue une conception individualiste, où l’individu détient la valeur suprême. L’actualité fourmille d’exemples de la dérive individualiste : couples transsexuels, pompiers attaquant en justice les rescapés d’un désastre, droit des enfants à divorcer de leurs parents… Il apparaît qu’individualisme et égalitarisme sont corrélés dans nos démocraties de droit ; sommes-nous condamnés à choisir entre un régime égoïste et un autre, totalitaire ? A moins que le second, d’inhumanité, n’exhorte à éveiller un instinct de conservation altruiste, nous amenant au premier, qui retourne au second par glissement vers ce même égoïste des potentats. C’est la théorie de l’étalon moral.

            Reste que si l’on doit en tous les cas concilier égalité et différence, au nom de la créativité humaine et en égide contre l’homme-machine, il faut distinguer égalité et justice. « L’inégalité sociale n’est injuste que lorsqu’elle prive les individus de jouir de leurs droits » entendra-t-on. Le propos fait la part belle à l’heure de la profusion, que dis-je ! de l’orgie médiatique. Tout ces citoyens que nous sommes, d’Etats occidentaux moralistes, n’avons-nous pas accès aux sources d’informations les plus diverses et les plus contradictoires ? Nos enfants à un enseignement trop souvent conformiste ? Uniformitariste ? L’inégalité sociale est injuste dès lors qu’elle est laissée en pâture à ces fléaux que nous avons vus, qui sont l’individualisme et l’égalitarisme. Pour déplacer le problème, il existe un autre concept : l’équité.

            Elle se singularise de la loi, et se rattache la difficulté de penser la justice. L’équité est d’ailleurs en quelque sorte à la loi ce que l’éthique est à la morale. Elle se rapporte encore à un certain équilibre, que seule une sagesse, et par conséquent, une démarche philosophique, peut atteindre. Quoiqu’il en soit, et sans poser ici le problème de l’équité, ce n’est que d’elle dont il est question lorsque dans des méandres mièvres et réactionnaires, empestant la vanité, on cherche à nous faire avaler de l’égalité à longueur de jour.

Néanmoins, tout comme la fraternité ou la liberté, ces concepts ont été sortis de leur gangue démocratique, puisqu’il est devenu tout à fait insupportable de les penser dans le cadre d’une nationalité. Il n’y a plus de nation, il n’y a plus que individualités, que des animaux raisonnables qu’un avenir consistant en le repentir des erreurs des générations passées fait fonctionner. Des individualités de vies obligées, tirées par la carotte de petits plaisirs épicuriens, ou plutôt captieusement lâchées dans l’espace restreint de leurs pensées fabriquées.

            Pourquoi ? Précisément parce que la morale débonnaire, suite aux atrocités des guerres mondiales, au non-uniformitarisme de la guerre froide et à la libre entreprise, suite à la victoire des régimes polydictatoriaux de frontispice parlementaire, a préféré donner de la voix à la neutralité facile, à une réinvention du message apostolique, sans en oublier l’argument apocalyptique. Homo sapiens, sorti de sa torpeur bestiale par une sociabilité basée sur la contingence d’un langage, par l’usage coordonné de ses mains, semble avoir aujourd’hui autant perfectionné que raréfié les manifestations d’humanité, qui n’appartiennent pas toujours aux élites, bien au contraire. Mais la masse, le vulgum pecus, sorte de crevasse de l’oubli vers laquelle on tente de nous pousser chaque jour, est à la merci d’une communication ininterrompue, parasite, sans compréhension, d’un divorce du travail de la main d’avec la tête. Si tous sont égaux, qu’ont-ils à apprendre les uns des autres ? Pourquoi alors transmettre autre chose que des trivialités ? Que des faits de vie sans plus de substance qu’un nième message sur son téléphone, puisqu’enfin la raison est victorieuse, et la sensibilité morte, vaincue par l’émotivité des foules et la distraction générale ?

 

Pourquoi réaliser quelque chose dans un monde où tout est égal par définition ? Où tout est égal, tout doit nous être égal.

            L’humain, et a fortiori, la culture, doivent faire désormais intervenir une chose avant toute autre : la différence. Ne pas fuir tout ce qu’elle suppose, et ce à travers quoi les civilisations sont déjà passées, parce que le contraire laisserait la voie libre aux plus abominables dystopies.

 

Pourquoi vivre ? Pourquoi être humain ? demanderont encore ceux dont l’endoctrinement est le plus avancé.

 

            Parce que nous ne nous poserions plus la question si ce n’était pas le cas.

vendredi 6 juin 2025

Sujet du Mercredi 11 Juin 2025 : La justice peut-elle faire évoluer l’esprit de vengeance ?

 

La justice peut-elle faire évoluer l’esprit de vengeance ?

·       Les philosophes et le rôle de l’État, du droit et de la justice

Dans la préface du traité politique, Robert Misrahi résume l’idée de Spinoza selon laquelle l’état de nature est ce qui existe avant le contrat social. « Dans l’état de nature il n’y a pas de loi civile car il n’y a pas de société pour les constituer. Mais il existe des lois naturelles qui sont inapplicables puisque chacun se les représente comme il veut. En effet, si chacun a droit à tout puisqu’il n’y a pas de loi civile qui limite ses droits, les autres ont aussi droit à tout ; cela peut vite déboucher sur le droit à rien puisque chacun peut utiliser ses droits contre autrui. C’est donc le caractère incontrôlable du droit naturel qui va faire que l’état de nature va devenir invivable et qu’il deviendra nécessaire de passer à l’état de société qui peut être créé à travers le contrat social. »

Pierre-François Moreau, quant à lui, explique dans une conférence à l’école de commerce de Lyon1 que « le contrat social constitue la caractéristique d’un ensemble de doctrines qui ont essayé de rendre compte de la société politique entre le 17ème et le 18ème siècle. C’est un concept qui est au centre de toutes ces doctrines politiques. Chez Hobbes, Locke, Pufendorf, Rousseau et d’autres encore, on explique la société par un contrat : on ne considère pas que les hommes soient naturellement sociaux, mais qu’ils sont d’abord des individus et que pour expliquer cette société, il faut se rendre compte de la façon dont ces individus ont décidé volontairement de vivre ensemble et de se donner des institutions qui rendent visible l’union de ces individus séparés en un tout qui est la cité (la société politique). Ce modèle étant celui de nos sociétés modernes. ».

 

·       Du contrat social au système judiciaire

En France, l’État assure les fonctions régaliennes dont celle de définir le droit et de rendre la justice dans des tribunaux censés être égaux pour tous et assurant la défense des droits des citoyens. Les juges sont invités à y prononcer des jugements conformes à leur conscience et obéissant uniquement à la loi. La justice répond en ce sens à un idéal philosophique et moral qui renvoie à la notion d'égalité entre les citoyens et d'équilibre dans leurs relations. Mais comment être sûr qu’un juge aura le discernement pour exercer avec droiture ?

·       La vengeance s’affranchit des institutions judiciaires :

L’histoire du monde regorge de situations dans lesquelles des personnes en proie à des croyances, des peurs, un esprit de vengeance, de conquête, voire de grégarisme ou de rejet, ont contourné les formalités judiciaires.

C’est ainsi qu’une juridiction relevant du simple droit canonique fut l’alibi pour la torture et le bûcher ou qu’un tribunal irrégulier permit de lyncher des êtres humains au moment de la guerre d’indépendance des États-Unis. C’est également de cette manière que la question de savoir si les Espagnols pouvaient se servir du « droit de conquête » pour mettre en esclavage, tuer ou convertir par la force les populations indigènes dont on remettait en question le statut de leur humanité et la légitimité de la possession de leurs territoires, fut tranchée par un débat politico-religieux. La position de Sepúlveda dans la controverse de Valladolid s’est en effet reposée sur un fondement métaphysique du droit en invoquant à la fois la loi divine et la loi de la nature.

De nos jours, le recours à la vengeance perdure par exemple à travers la vendetta ; un code de l‘honneur
qui implique, par obligation de solidarité, tous les parents ou les membres d’un clan dans un processus vindicatif. Par ailleurs, l’utilisation de la vengeance se nourrit souvent de la résistance à une domination politique ; le sentiment d'injustice, d'inégalité de traitement étant souvent à l'origine de cette forme de justice privée, considérée comme primitive, tout comme les conflits tribaux et/ou ethniques qui semblent se jouer de faiblesses structurelles (faiblesse des États, lenteur des institutions …)

C’est ainsi que le  8 juin 1993, Christian Didier tue de cinq balles René Bousquet, haut fonctionnaire français, antisémite et collaborateur avec l'occupant nazi,  alors qu’une instruction est enfin en cours pour crimes contre l’humanité, mais après des années de liberté sans contrainte. Christian Didier aurait voulu venger les victimes des meurtriers nazis, tuées dans sa ville. Même si certains ont soupçonné C. Didier de vouloir simplement être célèbre, les raisons de ce crime auraient peut-être trouvé moins de légitimité auprès de la population si le procès du collabo avait eu lieu plus tôt.

De tout temps, la justice a été exposée à la critique de l’opinion publique. Les décisions des tribunaux sont souvent contestées et vécues comme injustes ou insuffisantes. Les juges sont alors considérés comme hors sol, corrompus, voire politiquement orientés, ce qui serait supposé altérer leur raisonnement. Il est vrai que certains événements nous amènent parfois à constater des dysfonctionnements dans la conduite de l'instruction comme par exemple, dans l’affaire d’Outreau. On peut également observer une méfiance au sujet de peines d’une justice considérée à deux vitesses, consistant notamment à plus de clémence pour des personnalités politiques ou médiatiques. La frustration des citoyens engendrée par cela nous offrant au moins le plaisir de voir refleurir certains classiques sur les réseaux sociaux : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »  Les Animaux malades de la Peste (J. de La Fontaine).

Dans une interview, un ancien président de cours d’assises explique la différence de traitement entre une personne prise en flagrant délit pour possession de cannabis et un homme politique qui détourne des fonds publics, par la différence entre les types d’infraction. Le consommateur de drogue lambda sera déféré, et passera en comparution immédiate devant le tribunal, parce que la situation pose un risque de problème d’ordre public, alors que la délinquance financière ne poserait pas les mêmes problèmes. Mais quand Johnny Halliday déclarait à la presse "La cocaïne, j'en prends pour travailler ", nous n'avons pas vu la police arriver, saisir la cocaïne, le placer en garde à vue, et le faire passer en comparution immédiate.

Bien que la justice soit faillible, la volonté que les jugements restent équitables devrait maintenir nos esprits en alerte, afin que les manquements ne puissent servir d’arguments à de sombres idéologies, comme cela s’est vu, par exemple, lors de la dégénérescence progressive du système judiciaire sous le régime nazi.

 

·       La vengeance selon certains philosophes :

Si Montesquieu (Mes pensées) 2, donne partiellement raison à Aristote « la vengeance est la seule façon que la Nature nous ait donnée pour arrêter les mauvaises inclinations des autres », il précise néanmoins que la vengeance est animée par la passion qui implique de la subjectivité : « un homme dans la passion, n'est guère en état de voir au juste la peine que mérite celui qui offense ». En cela, il est rejoint, entre autres, par Hegel2 (Propédeutique philosophique) qui distingue la vengeance de la punition et préconise de préférer « l’œuvre d’un juge ». « La vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l’arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien quand le droit se présente sous la forme de la vengeance, il constitue à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle, et provoque inexpiablement, à l’infini, de nouvelles vengeances ». 

 

La justice est donc censée décentrer le problème de la victime en cherchant à connaître les responsabilités respectives et en essayant de trouver une solution de réparation adaptée en évitant le chacun pour soi, mais réussit-elle toutefois à apaiser l’esprit de vengeance en toute circonstance ?


1 https://www.canal-u.tv/chaines/ens-de-lyon/la-philo-par-les-mots/le-contrat-social

2 https://www.philo52.com/articles.php?lng=fr&pg=878

samedi 31 mai 2025

Sujet du Merc. 04 Juin 2025 : COMMENT EPICURE ARRIVE-T-IL AU BONHEUR ATARAXE ?

 

          COMMENT EPICURE ARRIVE-T-IL AU BONHEUR ATARAXE ?

Oui, en définitive, n’est-ce pas « le comment » qui compte pour arriver au bonheur ? Afin de sans cesse pouvoir s’y référer pour ne pas perdre son chemin.

 Pour Epicure, le bonheur c’est l’ataraxie. C’est l’absence de tous ces troubles qui assaillent communément l’âme, l’esprit des hommes. Et cela de leur propre chef parce qu’ils s’inventent de puissants dieux qui les terrifient. S’ils se libéraient d’eux, ils se libéreraient des troubles majeurs qu’ils leur occasionnent, les privant ainsi du bonheur. Les hommes sont également assaillis par la peur de mourir, de la maladie, des revers de fortune… Ils craignent tout cela ainsi que le(s) dieu(x) tout en espérant son secours et son pardon ? C’est tout simplement la peur de vivre, de la souffrance, de l’agonie. Et, en fin de compte, les hommes ont tout simplement peur d’avoir peur. Pour échapper à toutes ces peurs, ils s’abandonnent à une force supérieure pour, espèrent-ils, qu’elle prenne soin de leur destinée. C’est le fatalisme.

 Philosophiquement, c’est la double croyance dans la providence divine de l’idéalisme platonicien et dans le finalisme d’Aristote, selon lequel les dieux créent et ordonnent le monde précisément en vue de la meilleure satisfaction des hommes. De sorte que, même sans se l’avouer, souvent nous vivons dans la croyance d’une « religion », quelle qu’elle soit. Cela implique la superstition majeure de(s) dieu(x), d’idées parfaitement illusoires.

 C’est l’abandon de toute rationalité humaine, alors même que c’est là tout ce que nous avons pour vivre loin de troubles délétères. La raison n’est-t-elle pas la seule fondation stable dont nous disposons pour élaborer des remèdes aux maux qui nous tourmentent ?

 Alors ça, c’est vite dit. Encore faut-il le montrer dans le détail et de façon persuasive pour tout un chacun. Pour qu’on comprenne enfin. Et l’applique. Mais comment faire ?

 Epicure s’explique. Enfant il suivait sa mère qui exerçait des rites propitiatoires auprès des pauvres. C’était pures superstitions. Comme une providence néfaste. Epicure en percevait toute l’absurdité et les dangers pour les récipiendaires. A l’école, il percevait l’inanité du récit de la création du monde par les dieux à partir du chaos et du néant. A vingt ans, il est expulsé en tant que colon athénien de son île natale de Samos. Il mène alors une vie errante faite de pauvreté frugale en compagnie de toujours plus d’amis. Dans leurs débats ils n’excluent personne. Ni femmes ni enfants ni esclaves ni étrangers. Personne. C’était une révolution. Ensemble, ils se demandent ce qu’est ce monde, là devant eux, dont ils font partie. Disposant des découvertes philosophiques fondamentales les précédant sur trois siècles depuis Anaximandre, ils savent que le monde est à la fois stable et changeant. Ils en tirent 1) une physique fondée sur les atomes et les agrégats, 2) une théorie de la connaissance reposant sur les sensations, 3) une éthique fondée sur la libération de toute crainte et 4) une politique, loin du tumulte des foules. Le tout conduit à l’ataraxie.

 1. Concernant la physique et en accord avec Démocrite, ils arrivent à la reconnaissance que l’ultime particule de matière stable ne peut être que celle qu’on ne peut plus diviser. Car, sinon, le monde se réduirait au néant. Rien n’existerait plus. Et, certes pas nous, nous les hommes. Ni donc la possibilité de percevoir et de penser ce monde. Ils concluent que cet irrationnel-là serait absolu et nous plongerait dans les affres du recours aux dieux, dans des troubles sans fin et donc dans l’impossibilité de tout bonheur humain.

 Ce substrat matériel stable et insécable, c’est l’a-tomos, les atomes qui forment le substrat matériel de base. Parce que parfaitement stables, les atomes sont immuables et donc éternels. Or on constate que le monde est changeant et qu’il évolue sans cesse. Pour cela il faut que les particules stables (atomes) se déplacent et se rencontrent pour s’unir en agrégats divers entre eux. A cet effet, il faut deux choses. Certes du vide où se déplacer dans un espace lui aussi immuable et éternel et donc illimité dans l’extension infinie du temps éternel. Il faut aussi une déviation, impromptue parce que due au hasard inhérent aux atomes. C’est un mouvement de côté des atomes qui les fait se rencontrer en un instant et en un lieu indéterminé pour former des agrégats, dès lors composés uniquement de matière. Ensemble ces agrégats forment divers mondes parce qu’ils sont en mouvement. Et donc en évolution perpétuelle. Ce mouvement est lui aussi en déclinaison, due à son tour au hasard inhérent aux atomes qui composent ces mondes. Les agrégats finissent par se disloquer par les chocs de leurs mouvements pour se recomposer à nouveau. Ces changements conduisent à la formation de mondes temporaires et multiples. Et toujours uniquement matériels.

 Les hommes faisant partie intrinsèque du monde sont donc eux aussi strictement faits de matière. Mais malgré cela, souvent ils croient déroger à leur (pseudo) dignité fondée sur la conviction fausse d’avoir une âme, un esprit éternel et tout spirituel. Et en cela totalement distinct de leur corps fait de matière. Dur, dur d’accepter la simple matérialité des faits. Mais foin des croyances hors-sols d’une âme, d’un esprit non matériel. Car cette fiction ne plonge-t-elle pas ceux qui s’y adonnent dans des troubles dévastateurs de toute possibilité de bonheur humain ?

 Epicure fonde donc rationnellement son éthique sur une physique soigneusement conçue. Il commence par reconnaître que le caractère immuable et indestructible des atomes dérive de leur solidité, c’est-à-dire de l’absence de vide en leur sein. Cela entraîne leur extrême sensibilité aux chocs et donc l’éternité de leur mouvement, même lorsqu’ils se trouvent à l’intérieur des agrégats.

 Le nombre de formes des atomes est très grand mais pas infini car sinon les qualités sensibles des agrégats seraient elles aussi en nombre infini et ceux-ci seraient éternels (ce qu’ils ne sont pas). La limitation du nombre des formes des atomes entraîne aussi celle de leur taille. Finalement poids, formes et tailles sont les seules qualités des atomes. Les autres qualités sensibles sont celles des agrégats et elles dépendent de la position des atomes qui les composent.

 Ces caractéristiques des agrégats se retrouvent dans tous les mondes qu’on peut raisonnablement imaginer dans l’infinité éternelle de l’univers. Ces mondes, identiques au nôtre ou dissemblables, sont tous destinés à se désagréger pour se recombiner en d’autres mondes. Mais aucun de ces mondes n’est éternel puisqu’ils sont faits d’agrégats transitoires. Le(s) dieu(x) sont eux aussi des agrégats. Mais ils appartiennent, eux et eux seuls, à une catégorie unique puisque leur totale et éternelle béatitude suppose qu’ils sont immortels car indestructibles. Ils échappent donc aux lois de notre monde (et de tous les autres mondes) qui règlent la vie et la mort. Cette différence du monde divin est capitale. Le(s) dieu(x) ne subissent aucune perturbation dans le parfait équilibre atomique qui est le leur. Il s’en suit qu’ils ne connaissent aucune passion perturbatrice de leur sérénité. Ni colère ni haine ni pitié. Ils n’ont donc nulle colère ni amour pour nous. Ils ne s’intéressent pas à nous.

 Les dieux sont dotés d’un corps car le corps, tout matériel, est l’instrument du bonheur. Bien que d’une constitution particulière, il est pourtant semblable au nôtre. Enfin les dieux ont à leur disposition tout ce qui est nécessaire au bonheur. Ainsi comblés de tous les biens et assurés que rien ne leur fera jamais défaut, ils jouissent du parfait bonheur.

 Bref, la physique épicurienne présente une vision matérialiste de l’univers, assimilé à la multitude des atomes animés d’un mouvement éternel dans le vide infini. Sinon tout y est matière. Rien ne naît de rien car tout naît à partir d’atomes et rien ne retourne au néant puisqu’il ne saurait exister. La mort est une simple décomposition de notre agrégat en ses atomes constitutifs. Ceux-ci subsistent puisqu’ils sont éternels. A notre mort nos atomes se dispersent pour reformer de nouveaux agrégats. En conséquence tout est connaissable et explicable. Il n’y a pas de mystères insondables. La nature est un mécanisme qu’on peut connaître. La science est démystification.

 L’âme elle-même est matérielle. Elle est un agrégat composé de particules subtiles disséminées dans l’agrégat de notre organisme. Les opérations mentales se résument donc elles aussi à des déplacements d’atomes. Ceci conduit au deuxième volet de la philosophie épicurienne.

 2. C’est la théorie de la connaissance. Elle se fonde et se fie aux sensations. Pour Epicure, le bonheur étant un état de sécurité sereine, celle-ci s’obtiendra d’abord par la connaissance. Pourquoi ? Parce qu’elle est le préalable et le fondement de toutes les autres activités humaines. En ceci qu’elle rétablit un contact confiant avec la réalité. La connaissance basée sur la physique est apaisante et nous fortifie. Elle nous apprend qu’il ne faut pas craindre les dieux.

 Le premier intermédiaire du contact de l’homme avec la réalité est la sensation. C’est sur la véracité des informations sensibles qu’elle fournit qu’Epicure fonde son système. La véracité des sensations tient à deux raisons :
1) nous sommes dans l’impossibilité de démontrer qu’elles sont erronées et
2) elles procèdent par le
contact physique et prouvent ainsi leur capacité à nous faire connaître la réalité telle qu’elle est. Le martèlement continuel des atomes à l’intérieur des objets émet sans cesse des « simulacres » de l’objet. C’est comme l’émission de « fractales » conservant une structure identique à celle de l’objet dont elles émanent. Ces simulacres d’objet se meuvent à très grande vitesse car, leur constitution étant très ténue, ils ne rencontrent que peu d’obstacles sur leur parcours.

 Les simulacres expliquent les rêves et l’imagination. L’esprit ou l’âme restent réceptifs aux simulacres déjà reçus, ce qui explique qu’on puisse en rêver. Si des défunts nous apparaissent dans nos rêves, c’est que des simulacres émanés d’eux avaient atteint notre esprit et s’y étaient imprimés. Nos sens assoupis pendant le sommeil ne parviennent pas à corriger cette rémanence de simulacres mélangés. Mais, quoi qu’il en soit, les opérations de l’âme ou de l’esprit traduites en pensée restent bien matérielles, atomiques.

 Selon Epicure, ceci montre tant la puissance que la faiblesse de l’âme ou de l’esprit et de leur produit, la pensée. Nous pouvons nous représenter l’idée de(s) dieu(x), d’un fantôme ou d’un centaure. A nouveau, le hasard a rapproché des simulacres déformés ou usés d’un cheval et d’un homme pour former un simulacre composite. Ainsi la physique des simulacres explique-t-elle les mythes et d’autres fictions. L’important est de retenir que la raison peut vaincre l’imagination quand elle nous effraie. Et qu’inversement, l’imagination, créée par l’effet de simulacres, peut nous aider à lutter et vaincre souffrances et douleurs.

 Outre la sensation, il y a deux autres critères de vérité. Ce sont les affections (le plaisir et la douleur) qui concernent le domaine de l’éthique (cf 3.). Il y a aussi les prolepses ou anticipations qui sont étroitement liées au domaine de l’activité de la connaissance. Ce sont des espèces d’idées générales qui se fixent progressivement dans l’esprit, à la suite d’innombrables perceptions par les sens d’un même type d’objet (exemple, divers véhicules). Ces idées sont liées à un mot qu’il suffit de prononcer un certain nombre de fois de sorte que, grâce à la prolepse ou anticipation correspondante, on parvient à penser l’objet que ce mot désigne pour nous. Ainsi peuvent être ressaisis, parmi les simulacres qui frappent l’esprit, ceux qui correspondent à l’objet. Il pourra ainsi progressivement être pensé.

 Dans la philosophie épicurienne, rigoureusement matérialiste, l’âme ou l’esprit eux-mêmes sont matériels, corporels. Il s’en suit que les actes et comportements humains correspondent eux aussi à des mouvements particuliers des atomes qui composent l’âme-esprit. Le principe de liberté du mouvement des atomes fait ainsi admettre ce même principe chez l’homme, au moins en partie. Contrairement au strict déterminisme de Démocrite de la causalité nécessaire où tout effet a une cause et où la liberté n’existe pas, le monde d’Epicure est régi tant par le hasard que par la nécessité. La nécessité est celle de la chute nécessaire des atomes. Le hasard, l’imprévisible et une liberté relative viennent eux aussi des atomes dont tout est fait. Ils s’expriment par la déclinaison du mouvement atomique. Les hommes, constitués d’atomes, ont donc eux aussi des degrés de liberté et d’imprévisibilité dans un monde où intervient également la causalité, qui les détermine pour une autre partie.

 3. L’éthique épicurienne, c’est se libérer de toute crainte. Essayons d’arriver, oui par nous-mêmes, à cette proposition d’Epicure. Il suffit de poursuivre selon sa méthode développée jusqu’ici. Nous avons vu que sa théorie de la connaissance dérive rationnellement de sa physique fondée sur le principe de la fidélité aux sensations, l’une et l’autre étant elles aussi parfaitement rationnelles.

 La conséquence nécessaire et logique de l’atomisme est que, à la condition expresse que rien ne le trouble, tout ce qui existe se trouve nécessairement dans la plénitude de son être. C’est-à-dire dans sa puissance à exister, mobilisée et amplifiée par le plaisir. En effet, nous sommes des êtres de plaisir et donc constamment mus par le désir d’en avoir. Néanmoins ce n’est que quand notre corps possède tout ce qui lui est nécessaire (et ce strict nécessaire est peu de chose) qu’il jouit du plaisir dans une quiétude qui vient du parfait équilibre des atomes qui le composent.

L’éthique, c’est-à-dire les valeurs universelles de vie, ne peut donc aller que dans le sens de cette quiétude. Il s’agit d’assurer la paix de l’âme, constituée d’atomes, en dissipant les terreurs de l’esprit. Mais comment faire ? En tirant, par la raison, toutes les conséquences de ce qui précède. Dès lors n’est-il pas temps de philosopher par nous-mêmes pour transformer nos vies vers le bonheur ataraxique, cette réduction au maximum possible de tout trouble de l’esprit ?

 Chiche. Allons-y ...

 Mais cette transformation de vie vers le strict nécessaire assurant l’ataraxie ne constituerait-elle pas une totale révolution par rapport à nos vies actuelles poussées à la satisfaction de toutes les pulsions, de tous les plaisirs ? Les drogués que nous sommes peuvent-ils y parvenir ? Courage ! Simplicité. Pourtant les contemporains affirment souvent que tout est « compliqué ».

 

vendredi 23 mai 2025

Sujet du Merc.28 Mai 2025 : La conscience porte-parole de l’inconscient.

 

La conscience porte-parole de l’inconscient

   Pour beaucoup de philosophes la conscience est un processus mystérieux, métaphysique, indépendant de notre matière charnelle. Bergson pensait que l’évolution de la matière était guidée par une conscience immatérielle antérieure à la vie alors qu’elle émerge de l’activité de la matière.

   Apprendre c’est inconscientiser : Tout apprentissage consiste à confier à l’inconscient l’essentiel de la réalisation d’un processus. L’inconscient est une épargne de la conscience. Dans toute pensée ou action volontaires seul le but à atteindre est réellement conscient tandis que les différentes étapes pour l’atteindre sont inconscientes. Pour réussir une action complexe il faut simplifier l’ordre conscient donné à notre corps.

1- Les réflexes inconditionnels sont offerts par la mémoire génétique = kit de survie d’origine génétique. Exemples : Réflexes de retrait. Salivation. Réflexe d’étirement dit myotatique contraction d’un muscle en réponse à son étirement. Il maintient le tonus musculaire pour tenir debout. Ces réflexes constituent une intelligence inconsciente, animale, froide, très précises et efficiente ; ils constituent une sécurité qui épargne la conscience.

2- Les réflexes conditionnels épigénétiques nécessitent un apprentissage, c’est-à-dire un conditionnement ; nous n’avons aucun effort particulier à fournir pour qu’ils s’installent en nous. Ils correspondent à la mise en place de la mémoire procédurale épigénétique ou mémoire de nos automatismes. Ils furent décrits dès 1902 par Ivan Petrovitch Pavlov. Au cours du conditionnement, des liaisons nerveuses du cerveau, des synapses, sont modifiées et deviennent fonctionnelles ; elles relient des centres nerveux où se forment des coalitions de neurones, qui n’étaient pas connectés au départ.

3- Les comportements motivés furent analysés en 1953 par le psychologue américain Burrhus Frederic Skinner avec sa Boîte à problèmes. Un animal placé tout seul dans une boîte à problèmes apprend de lui-même à appuyer sur le levier distributeur de nourriture et à éviter celui qui distribue des décharges électriques. Ceci montre que l’apprentissage fait intervenir des renforçateurs qui sont soit des punitions soit des récompenses qui agissent comme agents de sélection pour favoriser les comportements les plus avantageux et éliminer ceux qui ne sont pas favorables. Ainsi le système nerveux et tout le corps est modelé par l’environnement, et par notre instruction et notre éducation. Ce modelage est guidé par les émotions ; c’est donc un modelage affectif.

Conclusion : Notre animalité est génétique tandis que notre humanité est épigenétique.

   Les travaux de Pavlov et Skinner ont abouti à la conception du béhaviorisme qui considère le cerveau comme une boîte noire. L’erreur des béhavioristes est d’avoir voulu écarter l’idée d’introspection.

    Ces réflexes conditionnés et motivés illustrent notre plasticité cérébrale et donc mentale. Nous sommes donc dotés d’une intelligence animale sur laquelle nous pouvons installer toutes nos fantaisies humanisantes. Notre esprit est construit par nos sens. Nos sens sont à l’origine de notre essence et donc des sens qu’on accorde à notre vie.

   L’inconscient devient l’artisan de notre mémoire et donc de notre connaissance : Henri Laborit : « Oublier son corps c’est savoir s’en servir. La conscience se bâtit sur l’inconscient. » L’information enregistrée et mémorisée dans le cerveau n’est pas toute directement utile mais, grâce à des associations d’idées, à un jeu intérieur, elle permet de créer des gestes mentaux prémonitoires permettant une anticipation des comportements futurs. Henri Laborit a montré à quel point l’isolement, la privation sensorielle et l’agression sans possibilité d’agir provoquent ce qu’il appelle une inhibition de l’action

   Épigénèse d’une étreinte spirituelle : Il n’y a pas d’immaculée conception de la pensée, ni de la conscience qui nous la révèle ; il faut que nos capteurs sensoriels soient fécondés par des informations pour aboutir à des pensées connaissantes. La conscience peut se concevoir comme une sorte de perception sensorielle. Selon cette idée les neurones dont l’activité sont à l’origine de la prise de conscience, agiraient comme des capteurs sensoriels à l’origine de notre pensée consciente. Le corps entier est l’organe de nos pensées et de notre conscience qui révèle l’unité de notre organisme ; en effet ce sont les capteurs sensoriels répandus dans tout le corps qui apportent leurs informations aux neurones de la conscience.

Émergence de la conscience : La conscience ne fait pas intervenir tous les neurones mobilisés mais seulement ceux qui sont en bout de circuits et qui sont ainsi plus stimulés que les autres jusqu’à dépasser un certain seuil de conscientisation. Ce sont les neurones sensoriels de la conscience. Ces neurones qui sont en bout de chaîne sont les porte-parole de ceux qui les ont stimulés.

   La conscience résulte de l’interaction organisée de milliards de milliards de molécules au sein de neurones spécifiques qui sont activés jusqu’à franchir un seuil quantitatif et qualitatif ; elle émerge d’une multitude d’inconscients actifs et discrets.

   L’être humain par rapport aux autres animaux est caractérisé par son incomplétude. C’est parce qu’il y a des pages blanches, vierges, dans notre livre charnel, la tabula rasa, à la naissance, que nous pouvons écrire notre histoire. La conscience est synthétique ; elle ne peut être consciente que parce que l’essentiel de ce qui se passe dans le corps est inconscient. Le silence de la plupart des neurones nous permet d’entendre la parole signifiante de la conscience. Nous avons accès à la conclusion, au résultat attendu, et non pas à toutes les activités qui participent à son élaboration. La chair est la porte-parole et la conscience : sa parole. Autrement dit, c’est parce qu’il y a une conscience non communicante, silencieuse, que la conscience unifiante devient audible. Le corps entier aux pouvoirs spiritualisants devient communicant grâce à tous ses langages charnels.

   Parmi les cent milliards de neurones du cerveau, il faut distinguer trois types : sensoriels, intermédiaires et les moteurs. La conscience est le résultat d’une collaboration organisée entre ces trois catégories de neurones ; ce sont les neurones intermédiaires qui sont le plus importants chez l’homme. Les animaux ont souvent des capacités sensorielles et motrices beaucoup plus sensibles que les nôtres. Les biologistes ont mis en évidence les corrélats neuronaux de la Conscience. L’arrière du cortex est dédié surtout à la réception sensorielle, l’avant à la commande et entre les deux se situent les aires d’association qui, comme leur nom l’indique, les mettent en relation. Ces aires d’associations sont très développées chez l’homme par rapport aux animaux non humains.

   On peut résumer la conscience en disant que ce sont les aires du cortex cérébral situées à l’avant du cerveau qui regardent les aires sensorielles situées à l’arrière ; l’avant est le porte-parole de l’arrière. Le lobe frontal contrôle nos comportements complexes, la prise de décision, la planification, la coordination motrice volontaire, la maîtrise du langage et la créativité. L’arrière du cerveau informe l’avant et le lobe antérieur traite cette information pour prendre les décisions adaptées conscientes.

   Toute prise de conscience est générée par une coalition de neurones, une constellation, un réseau spécialisé qui constitue un encodage.

   La conscience est une création de l’inconscient. L’inconscient est soit en résistance contre la conscience, soit il abonde en sa faveur. Il faut utiliser notre conscience comme un levier pour activer l’inconscient qui nous est favorable et nécessaire.

   Pour Francis Crick, découvreur de la structure de l’ADN et son collègue Christof Koch, la conscience serait un phénomène de seuil atteint grâce à la coalition de neurones capables d’atteindre le seuil.

   L’Américain Gerald M. Edelman, désigne la sélection des neurones de darwinisme neuronal, le Français Jean-Pierre Changeux, parle de darwinisme des synapses. On peut parler aussi de darwinisme mental. C’est un processus d’évolution darwinienne du comportement car l’individu réagit au hasard puis l’environnement sélectionne les comportements adaptés.

   La conscience émerge d’un processus neuronal qui est à l’origine de la mémoire. Les neurologues ont constaté que des interactions réciproques de groupes de neurones localisés entre le cortex et les thalamus, dans les deux sens, jouent un rôle important.

   La conscience nous permet de comprendre l’intuition, la simplexité, les compétences des autistes Asperger, gestion mentale : Comme pour la conscience beaucoup de philosophes se plaisent à croire que l’intuition est une pensée mystérieuse, métaphysique qui ne pourrait être qu’un don d’origine divine. En réalité c’est une pensée complexe essentiellement traitée et mijotée par l’inconscient et qui surgit comme par magie dans notre conscience en s’exprimant en toute simplicité. La simplexité est la capacité de réaliser simplement un processus complexe.

   Les autistes Asperger fonctionnent essentiellement de façon inconsciente.

   La gestion mentale étudiée par Antoine de La Garanderie permet de comprendre les gestes mentaux, visuels, auditifs, kinesthésiques.

   Le travail inconscient des rêves joue un rôle fondamental pour l’imagination, la mémorisation et l’élaboration d’une conscience efficiente et préventive.

   L’inconscient est à l’origine des archives mémorielles de la pensée dans lesquels la conscience puise l’information nécessaire pour la compréhension des activités du présent.

   La solution c’est la CONFIANCE en notre INCONSCIENT !

samedi 17 mai 2025

Sujet du 21 Mai 2025 : FEMMES ET PHILOSOPHIE, DEUX INCONNUES MUTUELLEMENT RÉCIPROQUES ?

 

FEMMES ET PHILOSOPHIE, DEUX INCONNUES MUTUELLEMENT RÉCIPROQUES ?

 Les êtres humains, femmes et hommes, ne sont-ils que des corps ? Les femmes ne seraient-elles que ça ? Et les hommes, ne seraient-ils eux aussi que des corps ? Ou peut-être aussi des esprits ? Ou hommes et femmes seraient-ils à ces égards différents l'un de l'autre ? Tout en l'ignorant. Et la philosophie existante du régime patriarcal n'ignore-t-elle pas ce qu'elle deviendrait si elle se basait sur des prémices de régime matriarcal ?

 A cet effet, il faut se reporter à quelques fondamentaux. Sans cela ces questions peuvent paraître incongrues, irréelles. N'aurions-nous donc pas d'âme, pas d'esprit distincts de notre corps ? Ma "belle âme" n'existerait-elle donc pas ? Ou, pour le moins, si nous avions ne serait-ce qu'une petite fraction d'esprit, celui-ci ne serait-il qu'un épiphénomène de notre corps ? Qui, lui, alors ne serait que pure matière ? Ne serions-nous donc qu'une machine biologique ? Certes ultra sophistiquée. Mais, quand même, juste que de la matière ?

 Il y a là deux positions philosophiques bien distinctes, l'une dissociant corps et esprit et l'autre pas. Les conséquences sur la vie en société des femmes et des hommes en seraient radicalement différentes. Considérer que corps et esprit ne seraient pas séparés ne nous plongerait-il pas dans un abîme d'angoisse existentielle qui nous ferait douter jusqu'à de notre identité d'être humain ? Ce serait comme du temps de Darwin quand la majorité ne pouvait accepter de "descendre du singe". Et de n'avoir pas d'âme, contrairement aux affirmations des très Saintes Écritures et autres textes sacrés des religions monothéistes.

 1.  Mais cette angoisse est-elle justifiée ? En effet, ne peut-on avoir quelque doute quant à "l'âme" de certaines catégories de nos congénères ?

  Pensons à Platon et à ses Idées pures et absolues selon lesquelles notre monde ne serait qu'une apparence, une pure illusion humaine. Platon en induit des conséquences pratiques. Par nature, la société se composerait de philosophes faits comme d'or, rutilant telle l'éclatante lumière de l'âme et de l'esprit ; de soldats de fer et, enfin, de travailleurs pétris de glaise privée d'esprit et de pensée. Sa philosophie autorisait à leur mentir et à les tromper. Les esclaves, les étrangers, les métèques de races allochtones, les femmes, elles aussi, ne constituaient-ils pas les inférieurs ultimes, presque infrahumains ?

 Et, dans chaque catégorie d'inférieurs, les femmes ne sont-elles pas traitées comme les inférieures parmi les inférieurs ? N'est-ce pas cette philosophie-là qui a majoritairement prospéré, notamment au sein des religions, jusqu'au philosophe Heidegger, suppôt du nazisme ? Ne nous imprègne-t-elle pas en profondeur encore et toujours, malgré nous ?

 Mais Platon et sa "philosophie idéaliste" des hautes sphères éthérées étaient-ils à ce point absurdes au point de nier que Platon était, lui aussi, fait de chair et d'os qu'il entretenait d'ailleurs à force d'exercices physiques ? Dès lors, si sa philosophie est absconse, qu'est-ce qui fait de Platon, de ses amis philosophes et de nous des humains ? Ne peut-on, ne doit-on pas en conséquence considérer tous les êtres humains uniquement sous l'angle de la biologie ? Sans recourir à la distinction entre un corps matériel et une âme spirituelle ?

 La question est alors de savoir comment discerner le juste du faux entre dualisme et monisme ? L'histoire de la philosophie a en effet longtemps opposé deux conceptions majeures des hommes :

1) Le dualisme (Platon, Descartes) pour lequel l'être humain est composé de deux substances distinctes, une âme immatérielle et un corps matériel.

2) Le monisme (Épicure, Spinoza, Canguilhem) pour lequel toutes les femmes et tous les hommes, formant une commune humanité, sont constitués d'une seule et même substance, sans distinction entre l'âme et le corps.

 2.  Voyons ce deuxième point. L'être humain, homme ou femme, est une entité animée d'une vie biologique qui inscrit son existence dans un milieu, un environnement humain et naturel. La distinction entre l'âme et le corps devient ainsi une invention philosophique superflue.

Le monisme nous fait alors poser une question essentielle. Qu'est-ce qui fait de nous des humains ? C'est notre biologie. Elle rend inutile d'invoquer une âme ou un esprit séparé du corps. L'homme est un être vivant qui évolue, s'adapte et cherche à survivre (Darwin). Il n'y a pas de vie sans milieu. Et pas d'hommes sans société. Aristote le reconnaissait déjà il y a 24 siècles. Les faits montrent que tout nouveau-né est une potentialité humaine qui ne devient un être humain à part entière qu'au contact de ceux avec lesquels il interagit dans un environnement, naturel ou construit, à une époque donnée.

 Ceci est avéré. Les médecines traditionnelles, en étudiant les plantes et en appliquant leurs pouvoirs, ne montrent-elles pas que le corps humain interagit avec son environnement sans qu'il soit nécessaire d'évoquer des esprits ou qu'ils n'interviennent en aucune façon ? Des êtres humains atteints de cancer ou autre maladie avérés ont-ils pu, jusqu'à présent, être guéris et ne pas succomber par l'usage d'une prétendue télépathie initiée par de supposées forces d'esprits quelconques, que ce soit de femmes ou d'hommes ? Effectivement, non. 

 Voici des exemples. Le biologiste Claude Bernard a démontré que le corps humain fonctionne comme un système autorégulé, sans intervention d'un élément immatériel. Tout être humain étant un organisme biologique doit être compris comme tel, sans avoir recours à des explications de philosophie métaphysique complexes.

Néanmoins René Descartes, en bon dualiste, a développé l'idée que l'âme et le corps sont deux substances distinctes. Pour lui, l'âme dirige le corps, comme un pilote gouverne son avion. Cette idée paraît irréelle. À nouveau, comment pratiquement une entité immatérielle (l'âme) pourrait-elle agir sur une substance matérielle (le corps) ? Les faits le démentent.

 Dans certaines cultures, des maladies sont attribuées à des esprits. Or, la science moderne démontre que les infections sont dues à des micro-organismes ou des virus. De même Antonio Damasio, neurologue, a montré que la conscience elle-même repose sur des activités du cerveau, fait de matière.

 De ces faits on peut inférer que l'idée d'un esprit distinct du corps, bien qu'attirante, pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses.

  Mais alors le monisme ne conduit-il pas à se demander si vivre sans âme ne serait pas un problème pour nous ?

 Voyons-en quelques conséquences de fond pour une éthique du corps et de la santé. Si nous sommes uniquement des êtres biologiques, nos valeurs doivent refléter cet état. Cela implique de 1) considérer la santé comme un bien fondamental, 2) comprendre la maladie comme un phénomène biologique et non comme une destinée inéluctable ou un illusoire décret punitif divin, et 3) reconnaître que tant nos émotions que nos pensées sont le produit de processus cérébraux. Et donc purement matériels, biologiques et neurochimiques.

 À cet égard on constate que la démarche biomédicale remplace de plus en plus les croyances spirituelles traditionnelles sur la maladie. En outre, les neurosciences montrent que nos décisions morales et nos réactions psychiques sont influencées par des processus biologiques et neurochimiques.

 Le monisme induit donc à sans tarder reconsidérer, sous un angle scientifique et rationnel, notre rapport à la santé et au corps. Qu'il soit celui d'un homme ou d'une femme. Tout ce qui fait de nous des humains gît dans nos corps et nos interactions avec le milieu dans lequel nous baignons. Cet état de fait montre qu'en nous il n'y a pas d'âme distincte du corps et que le dualisme métaphysique abstrait entre notre corps et un esprit tout à fait fictif est une erreur -- si pas une faute, involontaire ou pas ? -- des philosophies idéalistes plurimillénaires.

 Mais alors, si tout en nous est matériel et biologique, notre pensée et notre conscience seraient-elles entièrement déterminées ? Quelle part de liberté nous reste-t-il ? Est-ce celle que démontre Spinoza ? Celle que notre humanité nous pousse à réaliser pleinement en mobilisant notre puissance naturelle (le conatus) ? En identifiant les degrés de liberté que seule une connaissance authentique des causes des choses peut nous offrir.

 3.  À partir de ces prémices philosophiques, il devient possible de mieux cerner certaines différences et éléments de commune humanité entre les femmes et les hommes.

 Ils sont tous deux des entités vivantes animées par des processus matériels biologiques et neurochimiques hyper complexes. Ils ont une commune appartenance au genre humain assurant sa survie par la reproduction sexuée fondée sur les chromosomes qui les distinguent. En tant que mammifères évolués, le placenta des femmes se diversifie pleinement en villosités jusque dans leurs vaisseaux sanguins par des processus hormonaux très divers qui leur sont propres. Ils soumettent les femmes à des influences hormonales sans cesse variables nécessitant des transitions en déséquilibre. Dans des cycles de 28 jours, environ 600 ovocytes sont relâchés en six jours lors d'une inversion hormonale. Si aucune fécondation n'a lieu, une nouvelle inversion provoquera les menstrues sur 8-10 jours. Au total, cela crée de multiples déséquilibres hormonaux pendant 14-16 jours, soit pendant près de la moitié de la vie de fertilité d'une femme. Celle-ci est suivie du nouveau et brusque déséquilibre hormonal de la ménopause.

 Si une fécondation se produit tout un cycle de chamboulements multiples de 9 mois conduira à un accouchement par lequel apparaît un nouveau déséquilibre physique. Ceci se fait après passage du nouveau-né dont la tête, au néocortex surdéveloppé malgré son état de prématuré, provoque des douleurs reconnues par la médecine comme les plus intenses. La combinaison de changements hormonaux radicaux, d'extrêmes douleurs et du grand soulagement qui suit, tant physique que psychique, marquent la distinction entre les femmes et les hommes. Et ce hiatus majeur se prolonge tant par la contrainte que la joie de l'allaitement et de soins immédiats au nouveau-né. Tout cela ne distingue-t-il pas radicalement les sexes ?

 Ces différences physiques, induisant des états psychiques particuliers de premier ordre, ne conduisent-elles pas les femmes à des perceptions d'un réel bien distinct de celui des hommes ? S'y ajoutent en outre, depuis l'émergence du patriarcat depuis environ huit millénaires en Grèce, des discriminations fortes envers elles qui se sont cristallisées à la faveur des philosophies idéalistes et des structures religieuses et sociales qui ont suivi.

 Ces deux facteurs n'induisent-ils pas à eux seuls des visions du monde et de la philosophie différents de ceux des hommes ? Ces derniers ont une vie hormonale plus étale et moins complexe. Cela ne faciliterait-il pas une rationalité plus constante et un pathos plus aisément maîtrisé ? Même si la testostérone peut déchaîner, chez les hommes, des pulsions et des émotions inconsidérées, sans doute parfois ou souvent difficilement jugulables.

 Ces différences entre les femmes et les hommes n'ont-elles pas été brillamment mises en lumière par la philosophie matérialiste des Lumières de Donatien de Sade, féministe authentique qui donnait intégralement aux femmes le pouvoir de faire vivre et présenter sa philosophie. Même si celle-ci -- se fondant sur le désir dont sont pétris les humains (cf Épicure, philosophe matérialiste) -- envisage certes tous les types de plaisirs, mais strictement personnels. Et donc sans aucune considération de l'autre, qu'il soit femme ou homme. Et surtout sans considération du caractère collectif ou social des plaisirs les plus débridés de l'individu...

 Dès lors, ne faut-il pas revisiter à la lueur d'une remise sur le métier des avancées de Sade 1) tant la tradition de la philosophie et la place que les femmes y ont tenue 2) que la position des femmes vis-à-vis de la philosophie et 3) que le renouvellement qu'elles pourraient y apporter, si seulement elles pouvaient se dégager philosophiquement des liens qui les enserrent dans les traditions philosophiques instaurées par le patriarcat ?

Sujet du mercredi 18 juin 2025 : Ça m’est égal.

                      Ça m’est égal.     Egalité raciale, égalité des sexes, égalité des individus, égalité de tout, nivellement des attri...