Y A-T-IL GUERRE QUI SOIT JUSTE ?
Aucune guerre n’est juste, sauf peut-être une. Laquelle ?
Le mot « juste »
rappelle celui de justice. Certes pas celle des lois, qui reflètent la nature
du pouvoir, mais celle de l’éthique. A cet égard, Kant concluait qu’il ne
fallait jamais considérer l’homme (tous les hommes, d’où le caractère universel
de sa réflexion) comme un moyen mais toujours comme une fin.
Dès lors faire la guerre, consistant à systématiquement massacrer tout ou
partie d’une population - femmes, hommes et enfants compris - ne pourrait se
prévaloir de l’éthique puisqu’elle prend comme fin l’extermination d’un groupe
humain. En fait la question est de savoir si l’abolition de la vie de certains
pourrait être une fin humainement plausible tant pour leurs exécutants que pour
les victimes elles-mêmes.
1. Prenons le cas des victimes. A
première vue se faire la guerre à soi-même parait antinomique : les hommes ne
peuvent avoir pour fin leur annihilation. A moins qu’ils ne croient à une autre
vie plus authentique après la mort dans un au-delà imaginaire vers lequel il
leur faudrait se hâter au plus vite. Par définition l’existence d’un tel monde
ne pouvant être tenue pour avérée, elle n’est le fruit que d’une croyance
fausse issue d’un égarement de la raison ou d’une manipulation psycho-mentale.
Raël ou les religions de l’au-delà pourraient-ils alors jamais avoir raison ?
Il existe pourtant une autre possibilité de massacre auto-infligé dont on
peut se demander si elle n’est pas légitime. N’est-il pas éthiquement juste
d’accepter le suicide d’un groupe humain s’il doit permettre d’en sauver un
autre bien plus grand en nombre ?
Le cas des résistants et de leurs familles craignant sous la torture de
dévoiler leurs multiples comparses peuvent légitimement se donner la mort. De
même, le suicide raisonné de nantis destructeurs du monde ne se justifierait-il
pas par la sauvegarde des 90% restants de l’humanité ?
2. Continuant dans cette voie et
concernant les agresseurs, on peut se demander s’il serait juste de mener une
guerre contre un groupe humain qui en mènerait déjà une contre un autre.
On mènerait alors une guerre pour en arrêter une autre qu’on aurait
préalablement jugée injuste… Mais selon quels critères ?!
En fait, tout le problème ne serait-il que là ? Car, enfin, cela ne
consiste-t-il pas à utiliser le groupe humain qui a déclenché une guerre jugée
« injuste » strictement comme moyen sacrificatoire en vue de préserver
l’existence du groupe qu’il avait initialement attaqué ?
On considérerait alors la préservation du groupe qu’il attaque comme fin, au
détriment de celui qui attaque dont l’extermination par nos soins
auto-justifiés ne serait que le moyen de cette fin que nous avons posée (cf les
cas de guerre en Libye ou Syrie).
C’est ce qui s’appelait il y a peu encore une « guerre humanitaire » ou «
juste » (dénommée « guerre d’humanité » lors des colonisations). Peut-elle pour
autant être considérée comme éthique en son fondement ? D’autant que le fameux
« droit d’ingérence », c’est toujours le « droit du plus fort ». Pourquoi : on
n’a jamais vu les faibles intervenir dans les affaires des forts.
Un pas de plus et on considérerait comme éthique une guerre « juste » menée
préventivement à une autre qu’on suppute. On considérerait que certains se
prépareraient « injustement » à la guerre contre d’autres, ce qui justifierait
de mener dès aujourd’hui une « guerre humanitaire préventive » contre eux. La
belle affaire. Qui pourrait éthiquement justifier pareille guerre ? Elle est
pourtant menée un peu partout dans le monde.
Celle-ci correspondit à l’accaparement de territoire et à l’apparition du
premier surplus ou capital issus du travail humain accumulé de manière toujours
plus importante par la domestication rentable d’animaux et de plantes. Le
partage naturel entre tous les membres d’un groupe des fruits de la pêche,
chasse et cueillette - à l’instar de l’apprentissage de la parole par les
enfants dans un groupe humain - fut alors remplacé par la défense guerrière du
capital accumulé par le groupe (cf ""Le sentier de la guerre" de J. Guilaine).
L’avènement d’une classe de soldats rémunérés à cet effet a instauré une
hiérarchie sociale verticale visant à accumuler plus de pouvoir, privilèges et
richesse en toujours moins de mains. Là est la justification des guerres qui se
disent « justes ».
Cette accumulation croissante a conduit à la guerre permanente tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur du groupe. Une fois que s’accumulèrent les surplus
à défendre, la guerre devint le fondement des sociétés qui depuis considèrent
que les hommes sont toujours le moyen d’une fin qu’ils ne sont pas. Sauf pour
quelques uns peu nombreux et toujours les mêmes.
C’est l’inversion de l’éthique par
laquelle prévaut l’iniquité de guerres toutes injustes.
L’aporie et le sophisme seraient alors pour nous de considérer que toute
initiative contre cet état de fait guerrier et injuste serait elle-même injuste
(cft La Paix indésirable). Alors que le contraire est équitable qui vise à
s’opposer - éventuellement même par une insurrection violente - à
l’exploitation du plus grand nombre par la guerre qui lui est sans cesse menée
au profit de quelques uns.
L’éthique étant universelle s’applique indistinctement à tous les hommes
tandis que l’exploitation (guerrière) vise un intérêt particulier au détriment
de tous.