samedi 12 octobre 2024

Sujet du Merc. 16 Oct. 2024 : Y A-T-IL GUERRE QUI SOIT JUSTE ?

 

Y A-T-IL GUERRE QUI SOIT JUSTE ?

Aucune guerre n’est juste, sauf peut-être une. Laquelle ?

Le mot « juste » rappelle celui de justice. Certes pas celle des lois, qui reflètent la nature du pouvoir, mais celle de l’éthique. A cet égard, Kant concluait qu’il ne fallait jamais considérer l’homme (tous les hommes, d’où le caractère universel de sa réflexion) comme un moyen mais toujours comme une fin.

Dès lors faire la guerre, consistant à systématiquement massacrer tout ou partie d’une population - femmes, hommes et enfants compris - ne pourrait se prévaloir de l’éthique puisqu’elle prend comme fin l’extermination d’un groupe humain. En fait la question est de savoir si l’abolition de la vie de certains pourrait être une fin humainement plausible tant pour leurs exécutants que pour les victimes elles-mêmes.

1.  Prenons le cas des victimes. A première vue se faire la guerre à soi-même parait antinomique : les hommes ne peuvent avoir pour fin leur annihilation. A moins qu’ils ne croient à une autre vie plus authentique après la mort dans un au-delà imaginaire vers lequel il leur faudrait se hâter au plus vite. Par définition l’existence d’un tel monde ne pouvant être tenue pour avérée, elle n’est le fruit que d’une croyance fausse issue d’un égarement de la raison ou d’une manipulation psycho-mentale. Raël ou les religions de l’au-delà pourraient-ils alors jamais avoir raison ?

Il existe pourtant une autre possibilité de massacre auto-infligé dont on peut se demander si elle n’est pas légitime. N’est-il pas éthiquement juste d’accepter le suicide d’un groupe humain s’il doit permettre d’en sauver un autre bien plus grand en nombre ?
Le cas des résistants et de leurs familles craignant sous la torture de dévoiler leurs multiples comparses peuvent légitimement se donner la mort. De même, le suicide raisonné de nantis destructeurs du monde ne se justifierait-il pas par la sauvegarde des 90% restants de l’humanité ?

2.  Continuant dans cette voie et concernant les agresseurs, on peut se demander s’il serait juste de mener une guerre contre un groupe humain qui en mènerait déjà une contre un autre.

On mènerait alors une guerre pour en arrêter une autre qu’on aurait préalablement jugée injuste… Mais selon quels critères ?!

En fait, tout le problème ne serait-il que là ? Car, enfin, cela ne consiste-t-il pas à utiliser le groupe humain qui a déclenché une guerre jugée « injuste » strictement comme moyen sacrificatoire en vue de préserver l’existence du groupe qu’il avait initialement attaqué ?

On considérerait alors la préservation du groupe qu’il attaque comme fin, au détriment de celui qui attaque dont l’extermination par nos soins auto-justifiés ne serait que le moyen de cette fin que nous avons posée (cf les cas de guerre en Libye ou Syrie).

C’est ce qui s’appelait il y a peu encore une « guerre humanitaire » ou « juste » (dénommée « guerre d’humanité » lors des colonisations). Peut-elle pour autant être considérée comme éthique en son fondement ? D’autant que le fameux « droit d’ingérence », c’est toujours le « droit du plus fort ». Pourquoi : on n’a jamais vu les faibles intervenir dans les affaires des forts.

Un pas de plus et on considérerait comme éthique une guerre « juste » menée préventivement à une autre qu’on suppute. On considérerait que certains se prépareraient « injustement » à la guerre contre d’autres, ce qui justifierait de mener dès aujourd’hui une « guerre humanitaire préventive » contre eux. La belle affaire. Qui pourrait éthiquement justifier pareille guerre ? Elle est pourtant menée un peu partout dans le monde.

 3.  Finalement ne nous faut-il pas remonter aux causes ? Celles de l’émergence de la première guerre, du premier massacre systématique d’un groupe humain par un autre. Sauf à affabuler par des croyances fausses qui écarteraient les faits tangibles et avérés de traces archéologiques indubitables, il est certain qu’aucun vestige humain de massacre de masse systématique (os fracassés ou piqués de pointes de flèche ou de lance) n’a jusqu’à présent pu être découvert qui daterait d’avant 12 mille ans lorsqu’apparut la sédentarisation humaine.

Celle-ci correspondit à l’accaparement de territoire et à l’apparition du premier surplus ou capital issus du travail humain accumulé de manière toujours plus importante par la domestication rentable d’animaux et de plantes. Le partage naturel entre tous les membres d’un groupe des fruits de la pêche, chasse et cueillette - à l’instar de l’apprentissage de la parole par les enfants dans un groupe humain - fut alors remplacé par la défense guerrière du capital accumulé par le groupe (cf ""Le sentier de la guerre" de J. Guilaine). L’avènement d’une classe de soldats rémunérés à cet effet a instauré une hiérarchie sociale verticale visant à accumuler plus de pouvoir, privilèges et richesse en toujours moins de mains. Là est la justification des guerres qui se disent « justes ».

Cette accumulation croissante a conduit à la guerre permanente tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du groupe. Une fois que s’accumulèrent les surplus à défendre, la guerre devint le fondement des sociétés qui depuis considèrent que les hommes sont toujours le moyen d’une fin qu’ils ne sont pas. Sauf pour quelques uns peu nombreux et toujours les mêmes.

 C’est l’inversion de l’éthique par laquelle prévaut l’iniquité de guerres toutes injustes.

L’aporie et le sophisme seraient alors pour nous de considérer que toute initiative contre cet état de fait guerrier et injuste serait elle-même injuste (cft La Paix indésirable). Alors que le contraire est équitable qui vise à s’opposer - éventuellement même par une insurrection violente - à l’exploitation du plus grand nombre par la guerre qui lui est sans cesse menée au profit de quelques uns.

L’éthique étant universelle s’applique indistinctement à tous les hommes tandis que l’exploitation (guerrière) vise un intérêt particulier au détriment de tous.

samedi 5 octobre 2024

Sujet du merc. 09/10/2024 : Quand on nait, qu’est ce qu’on est ?

 

Quand on nait, qu’est ce qu’on est ?

« Il y a le gène de la méchanceté et celui de la bonté, celui de l’intelligence et celui de la bêtise ; et puis ceux du saut à la perche, de la gourmandise, de l’avarice et de la cupidité, et puis celui de l’amour » ?!

Le fœtus humain est d’abord une larve nageuse amniotique des temps primaux. Puis il passe par tous les stades de l’évolution animale. C’est donc d’abord une bête, puis toutes les bêtes à la queue leu leu. Enfin sa tête est déjà si peu animale que, si humaine et si grosse, il faut qu’elle sorte par l’issue osseuse déjà trop exigüe. Il naît prématuré, à façonner par la culture. Ce n’est alors déjà plus une bête mais un homme physiquement construit par la culture immémoriale de l’outil finalement lithique. A-t-on jamais vu quelque animal faire du feu, tailler un silex, enterrer ses morts ? Son cerveau, sa patte le lui permettent-ils ? Mais, en plus, déjà le monde humain de l’instant a eu une incidence sur cet embryon. La société, la culture l’impactait de façon radicale, à la racine et dans l’amnios. Il n’a déjà plus de nature déterminée ou si peu, mais devient à chaque étape un être en évolution. Façonné par la culture au cours d’un processus dialectique entre lui et celle-ci.        

Autrement dit, les animaux sont des prémisses d’homme. En devenir ils sont des promesses et potentialités incomplètes d’homme. Les hommes, eux, ne sont plus des bêtes et n’en sont donc tout simplement pas. Mais toujours plus des êtres de culture en devenir. Progressivement, depuis des millions d’années. Les hommes ne sont au fond pas des bêtes et cela de plus en plus. Les bêtes, elles, sont fondamentalement des hommes en devenir.

En fait, ni les uns ni les autres n’ont été créés tels quels une fois pour toutes et méchants de surcroît pour ce qui nous concerne, comme dans un rêve métaphysiquement créationniste. Ce qui voudrait faire croire que les hommes, à l’instar des animaux et des pierres, auraient une nature définie, déterminée par une animalité immuable. C’est là le fruit d’un système métaphysique totalisant qui décrit un ordre naturel illusoire propre à l’Occident depuis les premiers philosophes grecs.  

De plus cette métaphysique définit la nature imaginaire de l’homme comme nécessairement cupide et violente livrant la société à l’anarchie, à moins de soumettre cette nature fantasmatique à quelque gouvernement. « La théorie politique de l’animal humain sans foi ni loi a souvent pris deux partis opposés : ou bien la hiérarchie, ou bien l’égalité ; ou bien l’autorité monarchique (chef, patron), ou bien l’équilibre républicain ; ou bien un système de domination idéalement capable de mettre un frein à « l’égoïsme naturel » des hommes grâce à l’action d’un pouvoir extérieur, ou bien un système auto régulé où le partage égal des pouvoirs et leur libre exercice parviendraient à concilier les intérêts particuliers avec l’intérêt commun. »

Ce système métaphysique totalisant vaut « aussi bien pour l’organisation de l’univers que pour celle de la cité ou pour la conception de la santé et du corps humains. Cette métaphysique est propre à l’Occident car la distinction entre nature et culture qu’elle suppose définit une tradition qui nous est propre, nous démarquant de tous les peuples qui considèrent que les bêtes sont au fond des êtres humains et non que les humains sont au fond des bêtes. Pour ces derniers il n’est pas de « nature animale «  que nous devrions maîtriser ». 
En effet l’espèce humaine, l’homo sapiens sapiens, est née il y a relativement peu de temps dans une histoire culturelle de l’homme beaucoup plus ancienne. La paléontologie en témoigne : nous sommes des animaux de culture. Notre patrimoine biologique est déterminé par notre pouvoir symbolique, culturel. La conception de notre esclavage involontaire aux penchants animaux est une illusion ancrée dans notre culture.

Dès lors Adam Smith, le capitalisme, le néolibéralisme contemporain tiennent-ils encore autrement que comme une croyance, ou même une religion au vu des rites et incantations qu’ils véhiculent ? Y a-t-il ailleurs que dans une métaphysique délirante l’idée saugrenue d’un déterminisme génétique qui prétend expliquer la culture par une disposition innée des hommes à rechercher leur intérêt personnel dans un milieu compétitif ? N’est-ce pas oublier tant l’histoire que la diversité des cultures que de prôner l’égoïsme évolutionniste sans même remarquer que derrière ce qu’on appelle la « nature humaine » se cache la figure du (petit) bourgeois ?

Pouvons-nous (bêtement) continuer à affirmer sans preuve que nous, les hommes, sommes des bêtes immuablement « bêtes et méchantes » ?! Ou même que nous ayons une quelconque nature, essence ou être ontologiquement déterminé ?

** Les extraits entre guillemets sont de M. Sahlins, « La nature humaine, une illusion occidentale ».

 

Sujet du Merc. 16 Oct. 2024 : Y A-T-IL GUERRE QUI SOIT JUSTE ?

  Y A-T-IL GUERRE QUI SOIT JUSTE ? Aucune guerre n’est juste, sauf peut-être une. Laquelle ? Le mot « juste » rappelle celui de justic...