"Dieu, cet asile de l'ignorance" Spinoza.
« (…)
Et il ne faut pas négliger ici le fait que les Sectateurs de cette doctrine (le
christianisme - NDLR), qui ont voulu faire montre de leur esprit en assignant
les fins des choses, ont, pour prouver cette doctrine qui est la leur,
introduit une nouvelle manière d’argumenter la réduction, non à l’impossible,
mais à l’ignorance; ce qui montre bien que cette doctrine n’avait pas
d’autre moyen d’argumenter.
Car
si par ex.
une pierre est tombée d’un toit sur la tête de quelqu’un, et l’a tué, c’est de
cette manière qu’ils démontreront que la pierre est tombée pour tuer l’homme.
En effet, si ce n’est pas à cette fin, et par la volonté de Dieu, qu’elle est
tombée, comment tant de circonstances (il y faut souvent, en effet, le concours
de beaucoup) ont-elles pu se trouver concourir par hasard ?
Tu
répondras peut-être que c’est arrivé parce que le vent a soufflé, et que
l’homme passait par là. Mais ils insisteront, pourquoi le vent a-t-il soufflé à
ce moment-là? pourquoi l’homme passait-il par là à ce même moment? Si de
nouveau tu réponds que le vent s’est levé à ce moment-là parce que la mer, la
veille, par un temps encore calme, avait commencé à s’agiter; et que l’homme
avait été invité par un ami; de nouveau ils insisteront, car poser des
questions est sans fin, et pourquoi la mer s’était-elle agitée? pourquoi
l’homme avait-il été invité pour ce moment-là? et c’est ainsi de proche en
proche qu’ils ne cesseront de demander les causes des causes, jusqu’à ce que tu
te réfugies dans la volonté de Dieu, c’est-à-dire dans l’asile de l’ignorance.
Et il
en va de même quand ils voient la structure du corps humain, ils sont
stupéfaits, et, de ce qu’ils ignorent les causes de tant d’art, ils concluent
que ce n’est pas un art mécanique qui l’a construite, mais un art divin ou
surnaturel, et constituée de telle manière qu’aucune partie n’en lèse une
autre. Et de là vient que qui recherche les vraies causes des miracles, et
s’emploie à comprendre les choses naturelles comme un savant, au lieu de les
admirer comme un sot, est pris un peu partout pour un hérétique et un impie, et
proclamé tel par ceux que le vulgaire adore comme les interprètes de la nature
et des Dieux. Car ils savent bien qu’une fois supprimée l’ignorance, la
stupeur, c’est-à-dire le seul moyen qu’ils ont pour argumenter et maintenir
leur autorité, est supprimée. Mais je laisse cela, et je passe à ce que j’ai
décidé de faire ici en troisième lieu. (…)
(…)
Et donc tout ce qui contribue à la santé et au culte de Dieu, ils l’ont appelé
Bien, et ce qui leur est contraire, Mal. Et parce que ceux qui ne comprennent
pas la nature des choses, mais se bornent à imaginer les choses, n’affirment
rien des choses, et prennent l’imagination pour l’intellect, à cause de cela
ils croient fermement qu’il y a de l’Ordre dans les choses, sans rien savoir de
la nature ni des choses ni d’eux-mêmes. Car, quand elles ont été disposées de
telle sorte que, lorsqu’elles se représentent à nous par les sens, nous n’avons
pas de mal à les imaginer, et par conséquent à nous les rappeler, nous disons
qu’elles sont en bon ordre, et, sinon, qu’elles sont en désordre, autrement dit
confuses.
Et, puisque nous plaît plus que tout ce
que nous n’avons pas de mal à imaginer, pour cette raison les hommes
préfèrent l’ordre à la confusion; comme si l’ordre était quelque chose dans la
nature indépendamment de notre imagination; et ils disent que Dieu a tout créé
en ordre, et de la sorte, sans le savoir, ils attribuent à Dieu de
l’imagination ; à moins peut-être qu’ils ne veuillent que Dieu, pourvoyant à
l’imagination humaine, ait disposé toutes choses de telle sorte qu’ils aient le
moins de mal possible à les imaginer; peut-être ne se laisseraient-ils pas
arrêter par le fait qu’on en trouve une infinité qui dépassent de loin notre
imagination, et un très grand nombre qui la confondent, à cause de sa
faiblesse. » (ETHIQUE)
La proposition de Spinoza ne concerne pas simplement l’idée de dieu. Son
axe central n’est pas la question de dieu.
C’est celle de nos possibilités enfin libérées, si nous rejetons dans les « asiles de
l’ignorance » toutes formes de justifications non démontrées de ce qui
peut nous advenir.
Pourquoi nous soumettons nous à une « volonté » qu’elle soit de
dieu ou d’une autre puissance chimérique ?
Pour avons-nous confiance, prêtons nous crédit à des discours sans
fondements ? Ou aux fondements biaisés ?
Nos modernes « asiles de l’ignorance », ont pour noms
« réchauffement climatique », « lois du Marché »,
« droits de l’homme »,
« libre entreprise » , « droit à la différence »,
« démocratie » ...etc….
Les hommes sont naïfs s’ils cherchent une cause première nous a dit
Spinoza. Alors ils sombrent dans la confiance (du latin cum fides - avec
la foi). Spinoza s’interroge sur la
manière dont les hommes peuvent procéder pour, dit-il, se donner une assurance
mutuelle et instaurer une «confiance mutuelle» (et fidem invicem habere), afin
de vivre ensemble en sécurité. Et dans le Traité Politique (I, 6), c’est bien
aussi envers la confiance accordée à l’homme politique que Spinoza nous met en
garde. En effet, contre la confiance que les sujets mettent naïvement dans la
loyauté de ceux qui gèrent les affaires publiques,
Spinoza rappelle que la bonne marche et la sécurité de l’État exigent,
bien au contraire, de la part des citoyens, une vigilance et une saine défiance
envers l’exercice des pouvoirs.
Et que ce n’est que sur cette vigilance de tous qu’une confiance
politique pourra effectivement advenir. Une vigilance qui ne peut se
matérialiser que par la création d’institutions démocratiques de
contre-pouvoirs qui intègrent des systèmes de résistance à la domination dont
la résistance armée au souverain si celui-ci était tenté d’opprimer ses sujets
.
(Les citations suivantes sont toutes tirées du Traité
Théologico-Politique)
«rien n’est plus insupportable aux hommes que d’être soumis à leurs égaux
[ou à leurs semblables] et d’être dirigés par eux»
1 Et de ce principe Spinoza
déduit deux séries de conséquences de nature politique : «Il en résulte
ceci», dit-il: ou bien, premièrement «la société tout entière, si c’est
possible, doit exercer collégialement le pouvoir, afin que de cette façon tous
soient tenus d’obéir à eux-mêmes sans que personne ait à obéir à son égal»… Et
l’on obtient alors une démocratie
Ou bien, c’est la seconde solution: «si un petit nombre ou un seul homme
détient le pouvoir, il doit avoir en lui quelque chose qui dépasse la nature
humaine commune, ou du moins il doit chercher de toutes ses forces à en
persuader le vulgaire».
Et nous entrons alors dans les mystifications qui accompagnent
nécessairement la domination.
Ainsi, abstraction faite de toute autre paramètre, le refus d’une part
d’être dirigé par un égal-semblable et, corrélativement, l’impossibilité
d’autre part de devenir maître de son semblable (étant donné la résistance de
chacun à la domination de l’égal), c’est par une mesure consensuelle et
commune, celle de l’égalité des droits, que sont résolues, dans et par les
institutions, les contradictions affectives et effectives qui traversent
nécessairement la multitude.
Chez Spinoza, la démocratie est d’abord cette résolution: c’est donc le
résultat d’une prudence commune, une prudence de la multitudinis potentia.
Et c’est ainsi que Spinoza pense que les premières formes du vivre ensemble ont
du être, logiquement, des sociétés démocratiques5.
La démocratie est, en effet d’abord, l’invention d’une mesure commune qui
donne sa condition de possibilité au vivre-ensemble.
Les « hommes
providentiels « :
Il arrive souvent, en effet, qu’en situation de crise, et à la faveur de
ses victoires présentes ou passées, un homme illustre devienne le tyran de son
propre peuple: «dans les crises extrêmes de l’État, lorsque tous sont saisis
d’une sorte de terreur panique, on les voit tous se ranger au seul avis que
leur inspire l’épouvante du moment, sans s’inquiéter ni de l’avenir, ni des
lois, tourner leurs regards vers un homme illustré par ses victoires,
l’affranchir seul de toutes les lois, lui continuer son commandement (ce qui
est du plus dangereux exemple), et confier enfin à sa seule loyauté la
république toute entière.
Ce fut là certainement la cause de la ruine de l’État romain».
Solution des plus illusoire et des plus dangereuse alors qu’il
devrait s’agir, bien au contraire pour les citoyens, non pas de chercher la
vertu salvatrice dans un homme providentiel mais, bien plutôt, de construire,
la confiance c’est-à-dire l’équilibre, la vertu et la prudence rationnelle de
l’État démocratique lui-même. Un État qui en temps de crise pourrait alors
trouver, en lui-même et par lui-même, dans ses institutions, les solutions
adéquates, sans se laisser emporter par les espoirs et les craintes du moment
présent »
La
« démocratie » :
La démocratie n’est donc pas, pour Spinoza, cette forme faible, débile,
de gouvernement, que nous connaissons aujourd’hui, dont on nous dit qu’il faut
quand même raisonnablement s’en accommoder car, s’il s’agit, en effet, du «pire
des régimes», c’est, quand même, «à l’exception de tous les autres déjà essayés
au cours de l’Histoire» et qui ont conduit au pire du pire! Non.
La démocratie à construire (telle que Spinoza la conçoit) porte, bien au
contraire, en elle et par elle, la même puissance, la même exigence et la même
rigueur que la vérité elle-même. Car c’est en elle et par elle – la démocratie
– que la confiance politique peut effectivement se produire.
Une confiance politique corrélative de la certitude et de la joie éthique
qui accompagnent nécessairement la production du vrai. Car il s’agit, dans la
construction démocratique puissante que propose Spinoza, du même mouvement réel
du réel, celui de l’autonomie ou de la «libre nécessité»: celle des peuples,
des hommes, comme des idées lorsqu’elles sont vraies.
Quelques citations de SPINOZA :
« les
hommes les plus attachés à toute espèce de superstition, ce sont ceux qui
désirent sans mesure des biens incertains ; aussitôt qu’un danger les menace,
ne pouvant se secourir eux-mêmes, ils implorent le secours divin par des
prières et des larmes ; la raison (qui ne peut en effet leur tracer une route
sûre vers les vains objets de leurs désirs), ils l’appellent aveugle, la
sagesse humaine, chose inutile ; mais les délires de l’imagination, les songes
et toutes sortes d’inepties et de puérilités sont à leurs yeux les réponses que
Dieu fait à nos vœux. Dieu déteste les sages.
Ce n’est point dans nos âmes qu’il a gravé ses décrets, c’est dans les fibres des animaux. Les idiots, les fous, les oiseaux, voilà les êtres qu’il anime de son souffle et qui nous révèlent l’avenir. Tel est l’excès de délire où la crainte jette les hommes. » T.T.P Préface
« Les universités, dont la fondation est supportée pécuniairement par l’administration publique, sont des institutions destinées, non à cultiver, mais à contraindre les esprits » T.P Chap.8
« L’homme
libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non
de la mort, mais de la vie ». Éthique IV, prop. 67
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
1 - Tout commentaire anonyme (sans mail valide) sera refusé.
2 - Avant éventuelle publication votre message devra être validé par un modérateur.