Il
y a peu, un reportage montrait des habitants d’une Ville du Sud de la France
revenant du marché de Vintimille avec des sacs remplis d’objets de contrefaçon.
Contrefaçons de « marque ». La douane arrête le bus et saisit les
objets. Réflexions outrées et indignées des fraudeurs : « pourquoi
vous faites ça », « on n’a pas les moyens de se payer les
vrais », etc ….
L’ensemble
des personnes interviewées ce jour là reconnaissait avoir acquis des faux. Ce
qui frappait c’était leur parfaite connaissance que les objets n’étaient pas
authentiques mais que la possession d’un objet au logo des
« marques » suffisait donc à leur donner l’apparence d’appartenir à
un autre monde social, à une autre classe.
La
forme devenait principale au fond. L’objet, la marchandise conférant, dans leur
raisonnement, l’image d’un autre statut social. L’apparence se substituant à
tout autre critère objectif.
En
1894 William Morris écrivait « l’âge de l’ersatz ». En cette époque
d’essor fulgurant de l’industrie Morris déclarait
: « De même que l’on nomme certaines périodes de
l’histoire l’âge de la connaissance, l’âge de la chevalerie, l’âge de la foi,
etc., ainsi pourrais-je baptiser notre époque «l’âge de l’ersatz ».
En d’autres temps, lorsque quelque chose leur
était inaccessible, les gens s’en passaient et ne souffraient pas d’une
frustration, ni même n’étaient conscients d’un manque quelconque.
Aujourd’hui en revanche, l’abondance
d’informations est telle que nous connaissons l’existence de toutes sortes
d’objets qu’il nous faudrait mais que nous ne pouvons posséder et donc, peu
disposés à en être purement et simplement privés, nous en acquérons l’ersatz.
L’omniprésence des ersatz et, je le crains, le
fait de s’en accommoder forment l’essence de ce que nous appelons civilisation
….. Je pense pouvoir conclure cet exposé par la description de l’inquiétant
tableau que compose l’addition de tous ces ersatz en, la vie civilisée n’étant
plus qu’un ersatz en comparaison de ce que devrait être la vie sur Terre».
L’utilisation
du mot Ersatz doit être entendue ici avec ce qu’il y a de péjoratif dans la
langue française. C’est ce sens que voulait lui donner Morris ( qui était
anglais).
Mais
si la marchandise reste le plus voyant des ersatz il en est d’autres
manifestations, intellectuelles et politiques qui forment ce qu’on pourrait
appeler des ersatz-pensées.
C’est
ainsi que Pierre Legendre Historien du droit, philosophe et psychanalyste,
donne à voir dans son film Dominium Mundi, un aspect ignoré de la
globalisation, le management en tant que croyance :
«L’Occident a réussi le « Dominium Mundi » et
produit des institutions standard. Seulement, la Démocratie ne désigne
peut-être plus un régime politique, mais plutôt un ersatz de religion à
l'occidentale.
Après l'effondrement soviétique, une célèbre revue américaine de business
titrait : « La Démocratie est inévitable. » Comme on parlerait, dans les sectes
millénaristes, du retour du Messie ! Et il suffit d'écouter la radio ; vous
entendez des prêches, assortis de propos d'exécration contre ceux qui refusent
d'accueillir le Bonheur politique
Reprenant les mots de la papauté adressés aux païens d'Amérique au XVIe siècle,
vous diriez : contre ceux qui refusent de « partager la gloire du peuple
chrétien » ; remplacez « chrétien » par « démocratique », vous avez le nouveau
discours de la foi ».
Enfin,
las de chercher à comprendre ce monde où « la vérité est ailleurs »
nos contemporains vivent avec une multitude de petites ersatz-pensées.
Redevenus des païens modernes les voici adorant les poubelles colorées dans
lesquelles ils pourront trier eux-mêmes les ersatz-produits qu’on leur propose.
Les voici effrayés par divers catastrophismes : le gaz carbonique (à quand
une taxe sur nos exhalaisons ?), le soi disant réchauffement climatique dont-nous-serions-tous-responsables…..
« Quoi faire ? » demandait
l’auteur d’un philopiste récent, « Faut-il
y croire ? » questionne un sujet à venir. Ecoutons donc pour
terminer les propositions de W. Morris : « Chers amis, vous en savez long désormais sur le sujet, aussi je ne m’y
attarderai pas, sans pour autant éluder le problème. La société de l’ersatz continuera
à vous utiliser comme des machines, à vous alimenter comme des machines, à vous
surveiller comme des machines, à vous faire trimer comme des machines et vous
jettera au rebut, comme des machines lorsque vous ne pourrez plus vous
maintenir en état de marche. Vous devez donc riposter en exigeant d’être
considérés comme des citoyens. Vous
avez commencé le faire. J’estime que l’exigence d’un salaire décent, du
règlement des problèmes de chômage, de la diminution légale du temps de travail
et autres revendications du même ordre ne sont pas, prises séparément, la
panacée qui provoquera un changement immédiat de société. En revanche, l’ensemble
de ces exigences, dès aujourd’hui (et leur nombre s’accroîtra sans doute au fil
du temps), signifie pour moi le réveil de cette revendication, à savoir le
droit pour les travailleurs de régler leurs affaires eux-mêmes. Continuons à
élargir la brèche dans le système de propriété actuel, qu’il nous faut
détruire, avant de pouvoir produire rationnellement, avec plaisir, et d’en
finir avec l’âge de l’ersatz. »
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