Pourquoi pousser à la performance ?
La philosophie ne pousse-t-elle pas la pensée à la
performance radicale d'une perpétuelle remise en question? Ne faut-il pas
rechercher et réaliser le meilleur de soi en actes sans transcender l'humain
par aucune prothèse qu'elle soit médicamenteuse, génétique ou autre? Ne faut-il
pas rechercher le meilleur de la performance collective dans des limites
acceptables?
Allons aux origines. Depuis toujours on arrange des
mariages pour améliorer un patrimoine social, culturel ou génétique. Depuis ses
origines, le vivant n'a été qu'«erreur» de réplication génétique et lutte,
sélection et prédation pour la survie. L'aptitude à une performance adaptative
est inscrite dans l'évolution génétique et culturelle. De là à imaginer un but
ultime est une erreur métaphysique.
Pour Platon, «éduquer les hommes c'est les élever,
c'est-à-dire leur apprendre à renoncer aux séductions du sensible pour réaliser
le meilleur d'eux-mêmes qui participe de la divinité». A cet égard, n'y a-t-il
pas une contradiction logique entre la finitude postulée de l'humain enserrée
dans des bornes et le supposé infini de ses capacités? Si les limites de
l'humain existent, nous pouvons le définir; mais si nous ne pouvons pas le
définir, le voilà illimité. C'est ce dernier choix philosophique que poursuit
majoritairement l'Occident considérant que l'humain change si souvent et tant
qu'il excède toujours ce que l'on croit savoir de lui et que les multiples
façons de le penser requièrent de le re-penser toujours dans le questionnement
continu de la philosophie.
Mais alors, si la pensée n'a pas de fin et qu'on ne
peut la borner, la philosophie peut-elle logiquement critiquer la recherche
partout présente d'une performance toujours supérieure? D'emblée, toute
performance requiert un référent. Mais quelle norme apposer à l'humain, comment
échapper à cette exigence? Reconnaissons qu'une norme n'est pas en soi une et
absolue mais évolutive. Un homme se définit-il une fois pour toutes ou bien
émerge-t-il à l'existence par les actes qu'il pose? Ne se mesure-t-il pas à ses
actes librement consentis face à une situation toujours changeante? Poser une
norme, un objectif ou une fin prédéterminés est attentatoire à la dignité et
participe d'une démarche fascisante, totalitaire. Le nazisme décréta le
handicap «hors norme», à éradiquer. Les performances aryennes supposées
visaient la transcendance du surhomme (Nietzsche), sans confirmation aux jeux
olympiques de 1936 ni dans la guerre ou la supériorité génétique.
Avec la supposée «fin de l'Histoire» dès 1989
(Fukuyama), l'«élite» ploutocratique des profits croissants tend à se
constituer en surhommes génétiquement probables. Leur pendant obligé est la
constitution de masses infrahumaines génétiquement programmées à la docilité.
Ainsi se réalise en parcs humains obéissants le rêve
des camps du «Arbeit Macht Frei» tendant vers le «zéro humain» que ces camps
avaient vainement approché par une sublime performance de déshumanisation
(Primo Levi).
Le projet de transformation génétique de l'humain vise
à neutraliser les velléités révolutionnaires des multitudes généralement plus
inutiles que laborieuses et assurer l'Eden des princes du profit et de la
bio-informatique. La démocratie nous y conduit irrésistiblement parce que les
gens veulent la meilleure progéniture possible, comme lors déjà des mariages
arrangés (système hindouiste des castes). D'où la dérive autoritaire précitée
du pouvoir absolu sur les choses et les êtres (Descartes) car cette volonté de
maîtrise génétique développe des contrôles pour un prétendu bénéfice collectif.
Il y a menace sur les libertés par conformisme des buts collectifs, sur
l'égalité via la hiérarchie qui sortira des ordinateurs des généticiens, et sur
la fraternité parce que l'autre deviendra celui que la génétique définit et
débusque dans le génome.
Mais cette performance inouïe a-t-elle le moindre
sens? Ce qui en aurait ne serait-ce pas l'usage qu'on veut faire d'un
quelconque surou sous-homme à construire pour une utilisation précise? A cet
égard, qui spécifiera la norme qui présiderait au choix :
1- entre la quête métaphysique de la transcendance, du
divin et de l'impossible dans le fantasme de l'idéal et celle de la
compréhension du monde tel qu'il est ?
2- entre la course au progrès infini et la recherche de
l'humainement raisonnable et réalisable ?
3- entre l'objectif absolu de l'efficacité prédictive de
la science qui veut tout connaître et tout expliquer, même l'homme, et celui de
servir celui-ci dont la science ne saurait déterminer le sens ?
4- entre la société concurrentielle de marché, guerre,
profits infinis, et argent roi et celle du partage libre, équitable, solidaire
et économe des efforts des hommes et des ressources naturelles ?
5- entre
l'acharnement thérapeutique, la «passion» papale et une mort dignement
consentie-
6- entre la performance physique par le dopage et la
liberté de l'épanouissement personnel, convivial et fraternel
7- Le problème n'est-il pas de savoir s'il faut fixer une
norme pour que l'homme se construise en conséquence et si faire cela n'implique
pas de savoir s'il faut penser l'homme et particulièrement chercher sans cesse
comment le penser ?
Ce qui est
proprement philosopher.
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