lundi 9 mars 2020

Sujet du Merc. 11 Mars 2020 : La proposition « vers la paix perpétuelle » d’Emmanuel Kant faite en 1795, est-elle encore pertinente aujourd’hui ?


  La proposition « vers la paix perpétuelle » d’Emmanuel Kant faite en 1795, est-elle encore pertinente aujourd’hui ?

Alors qu’à la première tentative, la Société des Nations (S.D.N.) entre les deux guerres mondiales, a succédé l’Organisation des Nations Unis (O.N.U.) en 1945, assemblée regroupant 193 états ayant pour objet le maintien de la paix et la sécurité internationale. C’est à dire traiter pacifiquement les conflits entre états. On doit faire un constat d’échec, même si celui-ci n’est pas complet, des guerres dévastent certaines parties du monde. La proposition de Kant reste à travailler…

Kant représente le sommet des « Lumières » avec la foi optimiste et exclusive que son époque mettait dans la raison humaine comme instrument de la connaissance du monde sans l’aide quelconque d’origine surnaturelle ou irrationnelle.
Il affirmait : « La paix est le souverain bien politique » (Doctrine du droit.) parce qu’elle ne définit pas la perfection individuelle et morale de l’action, mais son achèvement collectif et juridique.
Propositions de Kant pour y accéder :
Première section.
Articles préliminaires en vue de la paix perpétuelle entre les Etats.
Articles 1,5,6 : lois immédiatement exécutoires.
 Interdiction pour les États :
·         De se résoudre à la paix afin de rétablir leur force, en vue d’une guerre future.
·         De s’immiscer par la violence dans la constitution et le gouvernement d’un autre état.
·         De mener des hostilités qui auraient pour effet de rendre impossible la confiance réciproque dans la paix future : enrôler des tueurs à gages, des empoisonneurs....

Articles 2,3,4 : lois dont l’application peut être différer car leur mise en œuvre doit tenir compte des circonstances :
·         Nul État Indépendant ne pourra être acquis par un autre État que ce soit par héritage, échange, achat ou donation.
·         Les armées permanentes devront disparaître entièrement avec le temps.
·         On ne contractera aucune dette publique en vue des querelles entre États.

Seconde section.
Articles définitifs de « Vers la paix perpétuelle » : toutes les relations entre les hommes doivent être définies par le droit. Or l’histoire des hommes a été à maintes reprises celle de la guerre. Il montre comment la guerre entre les peuples peut mener progressivement à la paix.
-          Article 1 : dans tout État, la constitution doit être républicaine.
 C’est à dire exiger le consentement du peuple pour chaque décision politique. La guerre deviendra improbable puisque le peuple n’a aucune raison de la souhaiter.
-          Article 2 : le droit des gens doit être fondé sur une fédération d’États libres. Il faut constituer une « fédération de peuples » qui n’aurait pas pour autant à être un état fédératif, et finirait par contenir tous les peuples de la terre. Ces peuples consentiraient à des lois publiques contraignantes (tout comme les individus renoncent à leurs libertés sauvages) qui permettraient de régler les conflits entre États sans qu’il soit nécessaire de recourir à la guerre.
-          Article 3 : le droit cosmopolitique doit être limité aux conditions d’une hospitalité universelle. C’est un « droit de visite » qui appartient à tous les hommes de s’offrir comme membre de la société, en vertu du droit de la propriété commune de la surface de la terre (un État humain universel).
La raison nous oblige : il s’agit avant tout d’instituer et de garantir les droits fondamentaux de l’humanité aussi bien à l’intérieur des frontières d’un Etat qu’entre les Etats. Aucune présupposition anthroplogique (l’homme est bon ou mauvais)ne doit entrer dans la définition du droit. Le respect de ces droits, et par dessus tout celui de l’usage commun de la liberté, est le plus sûr moyen d’accéder à la paix.
Kant ne fait pas dans l’angélisme : la réalisation du droit dans l’histoire ne dépend pas de la bonne volonté consciente (moralité) des hommes ; elle n ‘est que le produit du mécanisme de « la Nature » c’est à dire de l’affrontement mécanique des passions égoïstes, de sorte que je puis agir en bon citoyen (respect de la légalité) sans être pour autant animé par des motifs moraux(mais par crainte, par espoir, par intérêt…). « La question n’est pas de savoir comment on peut améliorer les hommes, mais comment on peut utiliser à leur progrès le mécanisme de la nature.. »(1er supplément de « vers la paix perpétuelle »)
La philosophie kantienne est une philosophie de la finalité (3ème critique du jugement : que puis-je espérer ?) où la perfection peut seulement être approchée. « Une tâche qui s’approchera toujours davantage de son but ».
 L’idée de paix doit donc animer tout projet politique sans pouvoir pour autant le réaliser, mais « vers la paix perpétuelle » établit les conditions juridiques de la paix, aux hommes de réaliser cet idéal.

Déjà de son vivant les Romantiques s’opposeront à Kant. En réaction à la valorisation de la raison par les Lumières, les romantiques vont mettre en avant les sentiments, la foi, les émotions, l’introspection, la vie intérieure. Ce n’est pas par la raison que l’on arrive à la liberté mais par une sensibilité éduquée. Il faut une éducation esthétique, pour une sensibilité cultivée. Exit la raison, c’est le retour de la religiosité et des passions et avec elles le militarisme triomphant. C’est surtout en Allemagne que ce sentiment de déclin de l’élite confina à un pessimisme, qui produisit les œuvres de Schopenhauer, de Nietzche entre autres, et justifiera la guerre (le cataclysme rédempteur).

A deux reprises la guerre ruinera l’Europe au XXème siècle, les démocraties pacifiques seront contraintes à se défendre de l’agression des empires autocratiques (en 1914) puis du nazisme (en 1939).

La dernière entreprise pacifiste fut la fondation Bertrand Russel pour la paix (1963), mise en place avec la menace thermonucléaire des années 50-60. Son action visait deux objectifs, l’un à court terme qui consistait à condamner publiquement l’agresseur et de décider des sanctions à son encontre, le second à long terme consistant à promouvoir toutes les conditions et institutions propices à la formation d’un gouvernement mondial.

Si l’affrontement thermo-nucléaire entre le monde occidental et l’U.R.S.S. n’eu pas lieu, nombre de guerres virent s’affronter les anciens colonisateurs et leurs colonies, de la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’aux années soixante dix. Le paysage géo-politique contemporain, sans entrer dans le détail car ce n’est pas le sujet, fait la part belle aux pouvoirs bellicistes de potentats qui assoient leur légitimité sur leur capacité de violence et n’hésitent pas à entrer en conflit armé. Par ailleurs le fonctionnement de l’ONU est largement paralysé par le vote « des membres permanents », qui au gré des alliances s’opposent aux décisions du conseil de sécurité.

Quels sont les obstacles à la proposition de paix perpétuelle de Kant ?
Encore à ce jour ce ne sont pas les intérêts rationnels qui mènent le Monde mais les passions, religieuses ou Nationalistes. La guerre est déclenchée pour défendre des valeurs qu’on juge, à tort ou à raison, comme sacré : on meurt pour la religion, pour la patrie, quelque fois pour distraire l’attention d’un peuple insatisfait par des conquêtes qui flattent l’orgueil national, pour la révolution, mais aussi pour l’accès aux matières premières (pétrole).

Quelles sont les raisons d’espérer ?
La guerre est devenue illégale alors qu’elle était un moyen politique de gouvernance, les états sont immortels et les frontières sanctuarisées. Il faut donc favoriser l’existence de forces internationales de maintien de la paix.
Ce ne sont plus les tyrans mais les peuples qui décident en démocratie. L’autonomie du citoyen doit lui permettre d’influer sur la décision politique. C’est en démocratie qu’est née la sacralisation de la vie humaine : à la vision mortifère de se sacrifier pour « la cause » succède « la vie humaine sacrée ». Le développement de la démocratie dans le monde apparaît comme le meilleur moyen de tendre « vers la paix perpétuelle » proposée par Kant.
Mais les démocraties sont fragiles et même si globalement le monde s’est enrichi et que l’on vit mieux, les inégalités économiques se sont creusées depuis la révolution conservatrice des années quatre-vingt, initiée par Thatcher et Reagan, tant au niveau des états que des individus. Ces tensions favorisent la renaissance des nationalismes exacerbés et des autoritarismes salvateurs.
La démocratie existe au moins depuis Solon en Grèce, VIème siècle avant J-C, on peut donc espérer l’améliorer et la rendre plus fidèle à ses principes. On gardera à l’esprit que l’une des bases de la démocratie, régime politique fait d’équilibre et de liberté entre les hommes qui la composent, doit rester : « la liberté de se plaindre repose sur la garantie que le gouvernement ne punira pas ou ne fera pas taire ceux qui se plaignent ».

Sources :
(1) « Vers la paix perpétuelle » Emmanuel Kant (classiques Hatier de la philosophie).
(2) « Une lecture des trois critiques » Luc Ferry (Grasset)
(3) « Le triomphe des Lumières » Steven Pinker (Les arènes).

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