La
proposition « vers la paix perpétuelle » d’Emmanuel Kant faite
en 1795, est-elle encore pertinente aujourd’hui ?
Alors qu’à la première tentative, la
Société des Nations (S.D.N.) entre les deux guerres mondiales, a succédé
l’Organisation des Nations Unis (O.N.U.) en 1945, assemblée regroupant 193
états ayant pour objet le maintien de la paix et la sécurité internationale.
C’est à dire traiter pacifiquement les conflits entre états. On doit faire un
constat d’échec, même si celui-ci n’est pas complet, des guerres dévastent
certaines parties du monde. La proposition de Kant reste à travailler…
Kant représente le sommet des
« Lumières » avec la foi optimiste et exclusive que son époque
mettait dans la raison humaine comme instrument de la connaissance du monde
sans l’aide quelconque d’origine surnaturelle ou irrationnelle.
Il
affirmait : « La paix est le souverain bien politique » (Doctrine du droit.) parce qu’elle ne définit pas la perfection individuelle et morale de
l’action, mais son achèvement collectif et juridique.
Propositions de Kant pour y accéder :
Première section.
Articles préliminaires en vue de la paix perpétuelle entre
les Etats.
Articles 1,5,6 : lois immédiatement exécutoires.
Interdiction pour
les États :
·
De se résoudre à la
paix afin de rétablir leur force, en vue d’une guerre future.
·
De s’immiscer par la
violence dans la constitution et le gouvernement d’un autre état.
·
De mener des hostilités
qui auraient pour effet de rendre impossible la confiance réciproque dans la
paix future : enrôler des tueurs à gages, des empoisonneurs....
Articles 2,3,4 : lois dont l’application peut être différer
car leur mise en œuvre doit tenir compte des circonstances :
·
Nul État Indépendant ne
pourra être acquis par un autre État que ce soit par héritage, échange, achat
ou donation.
·
Les armées permanentes
devront disparaître entièrement avec le temps.
·
On ne contractera
aucune dette publique en vue des querelles entre États.
Seconde section.
Articles définitifs de « Vers la paix
perpétuelle » : toutes les relations
entre les hommes doivent être définies par le droit. Or l’histoire des hommes a
été à maintes reprises celle de la guerre. Il montre comment la guerre entre
les peuples peut mener progressivement à la paix.
-
Article 1 : dans
tout État, la constitution doit être républicaine.
C’est à dire exiger
le consentement du peuple pour chaque décision politique. La guerre deviendra
improbable puisque le peuple n’a aucune raison de la souhaiter.
-
Article 2 : le
droit des gens doit être fondé sur une fédération d’États libres. Il faut
constituer une « fédération de peuples » qui n’aurait pas pour autant
à être un état fédératif, et finirait par contenir tous les peuples de la terre.
Ces peuples consentiraient à des lois publiques contraignantes (tout comme les
individus renoncent à leurs libertés sauvages) qui permettraient de régler les
conflits entre États sans qu’il soit nécessaire de recourir à la guerre.
-
Article 3 : le
droit cosmopolitique doit être limité aux conditions d’une hospitalité
universelle. C’est un « droit de visite » qui appartient à tous
les hommes de s’offrir comme membre de la société, en vertu du droit de la
propriété commune de la surface de la terre (un État humain universel).
La raison nous oblige :
il s’agit avant tout d’instituer et de garantir les droits fondamentaux de
l’humanité aussi bien à l’intérieur des frontières d’un Etat qu’entre les
Etats. Aucune présupposition anthroplogique (l’homme est
bon ou mauvais)ne doit entrer dans la définition du droit. Le respect de ces
droits, et par dessus tout celui de l’usage commun de la liberté, est le plus
sûr moyen d’accéder à la paix.
Kant
ne fait pas dans l’angélisme : la réalisation du droit dans l’histoire ne
dépend pas de la bonne volonté consciente (moralité) des hommes ; elle
n ‘est que le produit du mécanisme de « la Nature » c’est à dire
de l’affrontement mécanique des passions égoïstes, de sorte que je puis agir en
bon citoyen (respect de la légalité) sans être pour autant animé par des motifs
moraux(mais par crainte, par espoir, par intérêt…). « La question n’est
pas de savoir comment on peut améliorer les hommes, mais comment on peut
utiliser à leur progrès le mécanisme de la nature.. »(1er
supplément de « vers la paix perpétuelle »)
La philosophie kantienne est une
philosophie de la finalité (3ème critique du jugement : que
puis-je espérer ?) où la perfection peut seulement être approchée.
« Une tâche qui s’approchera toujours davantage de son but ».
L’idée
de paix doit donc animer tout projet politique sans pouvoir pour autant le
réaliser, mais « vers la paix perpétuelle » établit les conditions
juridiques de la paix, aux hommes de réaliser cet idéal.
Déjà de son vivant les Romantiques
s’opposeront à Kant. En
réaction à la valorisation de la raison par les Lumières, les romantiques vont
mettre en avant les sentiments, la foi, les émotions, l’introspection, la vie
intérieure. Ce n’est pas par la raison que l’on
arrive à la liberté mais par une sensibilité éduquée. Il faut une éducation
esthétique, pour une sensibilité cultivée. Exit
la raison, c’est le retour de
la religiosité et des passions et avec elles le militarisme triomphant. C’est
surtout en Allemagne que ce sentiment de déclin de l’élite confina à un
pessimisme, qui produisit les œuvres de Schopenhauer, de Nietzche entre autres,
et justifiera la guerre (le cataclysme rédempteur).
A
deux reprises la guerre ruinera l’Europe au XXème siècle, les démocraties
pacifiques seront contraintes à se défendre de l’agression des empires
autocratiques (en 1914) puis du nazisme (en 1939).
La dernière entreprise pacifiste fut la fondation Bertrand Russel
pour la paix (1963), mise en place avec la menace thermonucléaire des
années 50-60. Son action visait deux objectifs, l’un à court terme qui
consistait à condamner publiquement l’agresseur et de décider des sanctions à
son encontre, le second à long terme consistant à promouvoir toutes les
conditions et institutions propices à la formation d’un gouvernement mondial.
Si l’affrontement thermo-nucléaire entre le monde occidental et
l’U.R.S.S. n’eu pas lieu, nombre de guerres virent s’affronter les anciens
colonisateurs et leurs colonies, de la fin de la deuxième guerre mondiale
jusqu’aux années soixante dix. Le paysage géo-politique contemporain, sans
entrer dans le détail car ce n’est pas le sujet, fait la part belle aux
pouvoirs bellicistes de potentats qui assoient leur légitimité sur leur
capacité de violence et n’hésitent pas à entrer en conflit armé. Par ailleurs
le fonctionnement de l’ONU est largement paralysé par le vote « des
membres permanents », qui au gré des alliances s’opposent aux décisions du
conseil de sécurité.
Quels
sont les obstacles à la proposition de paix perpétuelle de Kant ?
Encore
à ce jour ce ne sont pas les intérêts rationnels qui mènent le Monde mais les
passions, religieuses ou Nationalistes. La guerre est déclenchée pour défendre
des valeurs qu’on juge, à tort ou à raison, comme sacré : on meurt pour la
religion, pour la patrie, quelque fois pour distraire l’attention d’un peuple
insatisfait par des conquêtes qui flattent l’orgueil national, pour la
révolution, mais aussi pour l’accès aux matières premières (pétrole).
Quelles
sont les raisons d’espérer ?
La guerre est devenue illégale
alors qu’elle était un moyen politique de gouvernance, les états sont immortels
et les frontières sanctuarisées. Il faut donc favoriser l’existence de forces
internationales de maintien de la paix.
Ce
ne sont plus les tyrans mais les peuples qui décident en
démocratie. L’autonomie du citoyen doit lui permettre d’influer sur la décision
politique. C’est en démocratie qu’est née la sacralisation de la vie
humaine : à la vision
mortifère de se sacrifier pour « la cause » succède « la
vie humaine sacrée ». Le développement de la démocratie dans le monde
apparaît comme le meilleur moyen de tendre « vers la paix perpétuelle »
proposée par Kant.
Mais
les démocraties sont fragiles et même si globalement le monde s’est enrichi et
que l’on vit mieux, les inégalités économiques se sont creusées depuis la
révolution conservatrice des années quatre-vingt, initiée par Thatcher et Reagan,
tant au niveau des états que des individus. Ces tensions favorisent la renaissance
des nationalismes exacerbés et des autoritarismes salvateurs.
La
démocratie existe au moins depuis Solon en Grèce, VIème siècle avant J-C, on
peut donc espérer l’améliorer et la rendre plus fidèle à ses principes. On
gardera à l’esprit que l’une des bases de la démocratie, régime politique fait
d’équilibre et de liberté entre les hommes qui la composent, doit rester :
« la liberté de se plaindre repose sur la garantie que le gouvernement ne
punira pas ou ne fera pas taire ceux qui se plaignent ».
Sources :
(1)
« Vers la paix perpétuelle » Emmanuel Kant (classiques Hatier de la
philosophie).
(2)
« Une lecture des trois critiques » Luc Ferry (Grasset)
(3)
« Le triomphe des Lumières » Steven Pinker (Les arènes).
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