"La bouffe vient d'abord, ensuite la morale" Brecht
– Opéra de quat’sous -
– Opéra de quat’sous -
Quatre sous pour un opéra. Quatre
sous pour cette forme de spectacle – art luxueux par excellence – Quatre sous
pour ôter les apparats et avoir une scène théâtrale dépouillée, voici l’opéra
de Bertolt Brecht et Kurt Weill attaquant au vitriol les valeurs d’une société
naufragée.
Nous sommes en 1928, l’Allemagne
jouit d’un essor artificiel fondé sur les prêts bancaires de l’étranger, un
déficit commercial chronique et la liquidation physique, par le parti
socialiste de l’époque (assassinat commandité par Ebert de Rosa Luxembourg et
Karl Liebknecht) de toute opposition ouvrière. C’est la fin des « années
folles ».
Dans cette lente agonie qui vit une spectaculaire inflation du Mark, c’est toute la société allemande qui part à la dérive. La crise des valeurs surgit sur la scène de Brecht comme dans le quotidien des allemands.
Un an plus tard :1929 et la fragile Allemagne – entre autres - s’effondre.
Que valent donc nos si chères valeurs ? Au pic de l’euphorie, elles
se vendent au prix fort. Au cœur de la crise, elles tombent à trois fois rien.
Sous les ors illusoires du capitalisme triomphant et de la bienséance
bourgeoise, grondent la misère, le malheur et la faim. Que monte ou chute la
bourse, la vie se révèle sans fard – réduite à la survie….
Mais que viendrait donc faire une
morale dans cette tempête ? Survivre est la devise. Ventre affamé n’a pas d’oreilles. Brecht dépeint une décomposition
sociale.
L’Opéra de quat’sous se fonde sur
l’affrontement entre un petit-bourgeois du crime aux grands airs, Mackie-le-Surineur, gentleman serial
murder, et un grand-bourgeois de la truanderie, Jonathan Peachum, très respectable chef des mendiants. L’un vit du
vol artisanal, l’autre de la charité industrielle. Mais expropriation ou imploration,
extorsion physique ou morale, tous deux grappillent les miettes du grand
banquet bourgeois – tout en reproduisant l’organisation capitaliste….
Il y a Mackie, le prince des voleurs et des maquereaux : « Mesdames
et messieurs, vous voyez devant vous l'un des derniers représentants d'une
classe appelée à disparaître. Nous autres, petits artisans aux méthodes
désuètes, qui travaillons avec d'anodines pinces-monseigneurs les tiroirs
caisses des petits boutiquiers, nous sommes étouffés par les grandes
entreprises appuyées par les banques.
Qu'est-ce qu’une passe partout, comparé à une action de société anonyme
? Qu'est-ce que le cambriolage d'une banque, comparé à la fondation d'une
banque ? Qu'est-ce que tuer un homme, comparé au fait de lui donner un travail
rétribué ? »
Il y a Peachum, le roi des mendiants : « Il faut que cela change. Mon métier
devient impossible; il consiste à éveiller la pitié chez les gens. Il existe
bien quelques trop rares procédés capables d'émouvoir le cœur de l'homme, mais
le malheur est qu'ils cessent d'agir au bout de deux ou trois fois. Car l'homme
possède une redoutable aptitude à se rendre insensible pour ainsi dire à
volonté.
C'est ainsi, par exemple, qu'un homme qui en voit un autre tendre un
moignon au coin de la rue, sera prêt, dans son saisissement, à lui donner dix
pennies la première fois, mais la deuxième fois, plus que cinq pennies, et,
s'il le rencontre une troisième fois, il le livrera froidement à la police.
Il en va de même des armes psychologiques. A quoi bon peindre avec
amour les devises les plus nobles et les plus convaincantes sur les plus
ravissants panonceaux ? Elles perdent tout de suite leur force de persuasion.
Dans la Bible, il y a peut-être quatre ou cinq maximes qui parlent au cœur,
quand on les a épuisées, on se retrouve sans gagne-pain.
Tenez, par exemple, cet écriteau: « Donne et il te sera donné », depuis trois malheureuses semaines qu'il pend ici, il ne fait plus aucun effet. Le public veut toujours du nouveau. Évidemment, je vais encore mettre la Bible à contribution, mais combien de temps cela suffira-t-il ? ! En cinq minutes, je fais de n'importe qui une épave si affligeante qu'un chien fondrait en larmes en le voyant. Que voulez-vous que j'y fasse, si ça ne fait pas pleurer un homme ».
Tenez, par exemple, cet écriteau: « Donne et il te sera donné », depuis trois malheureuses semaines qu'il pend ici, il ne fait plus aucun effet. Le public veut toujours du nouveau. Évidemment, je vais encore mettre la Bible à contribution, mais combien de temps cela suffira-t-il ? ! En cinq minutes, je fais de n'importe qui une épave si affligeante qu'un chien fondrait en larmes en le voyant. Que voulez-vous que j'y fasse, si ça ne fait pas pleurer un homme ».
La désintégration du peuple en
tant que classe, son émiettement en voyous, maquereaux, mendiants, putains,
dealers, braqueurs, assassins ; ne doit pas nous étonner.
Si les lois sont l’instrument de quelques-uns pour asseoir leur
domination et non l’expression d’une règle à la validité absolue, la révolte
est normale. Mais il ne faut pas attendre de comportement moral de la part de
ceux qui n’ont pas le nécessaire pour vivre.
Ce qu’on appelle « l’ordre moral », que seule sa durée a transformé en quelque chose qui serait intangible, n’est pour Brecht, que la preuve de l’habileté des oppresseurs qui sont parvenus à le faire reconnaitre par leurs victimes mêmes comme sacré pour mieux asseoir leur domination.
Il faut alors décrypter ce monde où faux mendiants et vrais bandits sont manipulés par bourgeois et forces de l’ordre, et en appeler à le transformer :
« Qu’est-ce que le cambriolage d’une banque comparé à la fondation d’une banque ? », interroge Mackie.
Truands, mendiants, policiers et prostituées forment au fond un seul et même monde, guidé par un seul et même principe – la survie par le profit, sans foi ni loi.
« Beaux Messieurs, qui venez nous prêcher de vivre
honnête et de fuir le péché, Vous devriez d'abord nous donner à croûter. Après,
parlez : vous serez écoutés. Vous
aimez votre panse et notre honnêteté, Alors, une fois pour toutes, écoute z:
Vous pouvez retourner ça dans tous les sens, La bouffe vient d'abord, ensuite la morale.
Il faut d'abord donner à tous les pauvres gens Une part du gâteau pour calmer leur fringale. »
Vous pouvez retourner ça dans tous les sens, La bouffe vient d'abord, ensuite la morale.
Il faut d'abord donner à tous les pauvres gens Une part du gâteau pour calmer leur fringale. »
Conclusion de ce spectacle
réjouissant : « Ne jetez pas la
pierre sur les opprimés » (Opéra de Quat’sous).
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