COMMENT ENGENDRER DES MONSTRES ?
Tentons une argumentation philosophique fondée sur
les faits, que tous peuvent suivre jusqu'à son terme.
Qu'est-ce qu'un monstre si ce n'est le produit
d'une chimère humaine, une vue de l'esprit, un fantôme ? En effet, on n'en
a jamais constaté de « naturel », indépendant des hommes. Toute
chimère n'est-elle pas le produit de l'imagination humaine ? Précisément,
ce que certains décrètent être le propre du fameux « esprit de
l'Homme » qu'ils s'inventent. C'est là une expression hors-sol, abstraite
ou irréelle dans ses deux composantes. Car n'existent pas plus
l'« esprit » que cet « Homme » fantomatique. C'est une
expression par laquelle les hommes reconnaissent qu'ils sont seuls au monde
capables d'inventer des entités n'existant pas dans le réel mais seulement dans
les mondes illusoires qu'ils s'inventent de toute pièce.
C'est là qu’opinions et émotions créent par la
métaphysique, la religion ou les croyances ce que les hommes imaginent
constituer leur ultime qualité : cette aptitude ineffable de la
spiritualité comme essence d'une nature
humaine fabulée. La matière – dont les hommes sont constitués comme tout
objet réel – et les phénomènes qui l'ont accompagnée tout au long de son
évolution par une structuration croissante, sont les deux éléments constitutifs
du réel que cet imaginaire fantasmagorique considère comme des épiphénomènes
de l'« esprit ». Ce qui fait de cette notion
d'« esprit autonome » une invention vide de réalité. Nous avons là la
chimère la plus proprement humaine : une substance spirituelle autonome
imaginée par les hommes et propre à engendrer des monstres ou des fantômes
parmi eux (les « fantômes » dénoncés par Spinoza).
Expliquons cela et rien d'autre. Qui serait sinon
pure chimère.
•
Non la science – comme moyen de recherche
incessante menée par les hommes dans et sur le monde réel – ne peut donc
logiquement créer celui-ci... Non, au contraire, la science permet la meilleure
représentation actuellement possible du réel, en perpétuelle amélioration.
•
Non, la philosophie n'est pas la création de
mondes illusoires issus d'ineffables fantasmes de la métaphysique. Non, elle
est la recherche continue et rationnelle de connaissances authentiques du réel
fondées sur une observation pertinente et juste suffisante de celui-ci.
•
Non, l'éthique n'est pas un sous-produit des
événements qui surviennent sans cesse dans l'existence des hommes dans des
sociétés toutes singulières. Non, l'éthique repose sur l'universel de la
dignité de tout être humain qui doit toujours être considéré comme une fin et
jamais uniquement comme un moyen (Kant). Quels que soient les
« événements » particuliers qui se présentent à nous.
•
En bref, non la science, la philosophie et
l'éthique ne sont pas des entités spiritualo-chimériques abstraites et
« hors-sol » propres à engendrer des monstres parmi les hommes. Tout
au contraire. Mais, oui, ces trois démarches de même nature sont précisément ce
qui évite aux hommes de devenir des monstres. A cet égard, rappelons les
conséquences liées à tous dictateur, idéologie, religion ou toutes autres
croyances fausses à travers l'histoire jusqu'à ce jour ...
Mais au juste, comment ces trois démarches
procèdent-elles ? Argumentons la chose de façon concrète à partir des
faits. Loin donc des chimères de l'ignorance propres aux opinions et
présupposés. Et loin aussi des fantasmes issus de pulsions animales et
d'émotions en roues libres. L'abandon actuel de la pensée rationnelle –
entraînée vers l'égout de la doxa et des troubles du pathos, de
la démesure ou de l'hubris – conduit à un désarroi psycho-cérébral
généralisé, répercuté dans le délabrement des relations en société. Une
décérébration s'installe par la déstructuration de la démarche rationnelle des
Lumières ancrée dans le réel. Celle-ci est à l'opposé de l'ignorance et du pathétique,
des vues chimériques et monstrueuses de l'esprit ainsi que des dérives
pulsionnelles constamment instillés par les pouvoirs instigateurs d'idéologies
et d'utopies servant leurs intérêts par la déstructuration de la rationalité
parmi les hommes.
Mais si nous souhaitons perdurer dans cette
servitude largement inconsciente bien que volontaire (La Boëtie), il suffit de
persister et d'accroître « l'ignorance
des causes qui nous déterminent » et de continuer à nous illusionner
d'une liberté factice (Spinoza). A cet effet, il suffit de se laisser porter
par le « laisser faire, laisser aller » des sirènes de l'exubérance
des plaisirs vains et factices (Epicure) qu'offre le contexte idéologique
actuel qui sature les existences.
Faut-il, par veulerie, se laisser transformer en
monstres ?
Les éthiques de philosophes tels qu’Epicure,
Lucrèce, Spinoza ou Kant fondées sur la nature peuvent-elles guérir la chose
afin d'éviter de perdurer dans les monstruosités actuelles comme avatars des
enseignements oubliés de l'histoire ? Plus précisément, il s'agit au
départ des monstruosités relatives à l'invention platonicienne des démiurges
comme « dieux créateurs de l'univers ». Le judaïsme, le christianisme
et l'islam ont aggravé cette notion pendant les millénaires d'aliénation de
masse qui nous ont construits jusqu'à ce jour par la croyance métaphysique au
« Dieu Unique ». Ces utopiques idéologies ont conduit à nombre de
monstruosités de « l'esprit », d'ignominies et de massacres de masse.
Aujourd'hui même, la notion de démiurge* se poursuit par les utopies de
déstructuration et de manipulation mentales, particulièrement avérées dans la
propension au consumérisme hédoniste et narcissique, et à la croyance en la
mort climatique d'origine humaine. Et, annoncée partout chaque jour, l'évidente
nécessité de guerres contre les gens pour détruire les liens qu'ils tissent
entre eux car ils freinent la domination et les exactions des puissants.
Ceci dit, les classes moyennes aisées semblent
encore s'illusionner un temps de pouvoir échapper à la déstructuration en cours
et à ses conséquences. A nous tous, dès
lors, d'avoir le front d'appréhender concrètement cette conjoncture
historico-philosophique. Pour la renverser.
Reste à construire le comment de cette entreprise.
Par exemple, pouvons-nous la mener à partir de la
connaissance tant de la subtilité que du niveau très élevés des multiples
forces enchevêtrées déterminant une profonde aliénation des gens ? Il est
temps de passer à l'action sur ces deux points : la connaissance des
causes et celle de l'aliénation qui en résulte, ainsi que des moyens pratiques
pour les combattre.
__________
* Par
extension, est démiurge tout créateur d'une œuvre humaine, qui peut avoir un
caractère négatif ou destructeur, ou encore constructif.
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