La Vertu est-elle une valeur obsolète?
Il est intéressant quelquefois de donner une définition des mots
et concepts qui nous soit propre, sans en référer à un Dictionnaire de la
Philosophie, papier ou virtuel(Wikipédia).Cette démarche peut témoigner d'une
ignorance, ou d'une subjectivité excessive, mais elle a le mérite
d'exposer" le proposant. Je donnerais quelques définitions célèbres, avant
une qui me soit personnelle.
La Vertu du Politique, lorsqu'elle existait, n'était jamais
désintéressée, elle avait cet avantage: renforcer le lien d'obéissance à la Loi
" Le véritable politique est celui qui a consacré l'essentiel de ses
effort à la vertu, car il veut rendre ses citoyens honnêtes et obéissant aux
lois"(Aristote).Pour Robespierre, la Vertu est une arme de combat "Français,
ne souffrez pas que vos ennemis osent abaisser vos âmes et énerver vos vertus
par leur désolante doctrine". C’est, en dehors de ses positions
politiques, son supposé manque de Vertu, qui fera tomber la tête de Danton,
cette" idole pourrie", dira St Just.
Je dirais, pour ma part, que la Vertu est la tentative de
"sortir" l'Homme(?) d'une condition humaine qui se réduirait à la
satisfaction des besoins sociaux fondamentaux. La notion de finalité
intervient, dans une des fonctions de la Vertu, qui est de de nous relier aux
autres (être vertueux pour soi-même est un non-sens).Elle est une des
conditions qui s'impose si nous voulons transformer le simple désir de
changement en désir d'émancipation. Il n'y a pas de révolutions sans discours
"vertueux". Et même, dans son origine, le Libéralisme, avec son credo
de l'enrichissement et de la libération des énergies individuelles; posait
l'amélioration des conditions sociales comme postulat.
Chez des philosophes comme Rousseau, la Vertu est abnégation
"il n'y a point de Vertu sans combat, il n'y en a point sans victoire. La
Vertu ne consiste pas seulement à être juste, mais à l'être en triomphant de
ses passions". ("L'Emile")
S'émanciper, oui, mais pas à n'importe quel prix, et avec les
autres…..Pour Robespierre, la Vertu est une guerre, contre soi-même et contre
les autres. Danton montera à l'échafaud, sous l'accusation terrible, avons-nous
dit en ce temps-là," d'idole pourrie". Danton est resté, comme
l'exemple de l'homme sans vertu, prévaricateur, jouisseur dans des temps où la
rigueur morale est une exigence. A contrario, sa vertu fait de Robespierre, un
monstre sanguinaire, une sorte de Savonarole de la Révolution. On oublie qu'en
matière de sang,
Danton n'était pas économe d'appels aux épurations.
Danton n'était pas économe d'appels aux épurations.
Je
dirais, sans conviction et faute de meilleure analyse, que la Vertu est le
pouvoir de la conscience, sur l'opinion et le simple intérêt personnel, elle
les dépasse par son caractère immuable: la Vertu ne peut être une valeur à
"géométrie variable" .Pourquoi "sans conviction"?, parce
que c'est au nom d'une Vertu à retrouver que se sont construits aussi les pires
moments de ce siècle: les vertus de la terre, de la famille, de la
Patrie, la Vertu de cette" régénération- nécessaire" de la France,
sacralisée par Pétain. "Le Travail rend libre", la Famille structure,
la Patrie donne un idéal….Même si ceux qui se revendiquaient de cette dernière
vertu trahissait leur Patrie et la vendait à l'occupant.
La Vertu se situe au-delà de notre propre vie: c'est ce
devait penser les" Fusillés de l'Affiche Rouge", morts pour un combat
dans lequel, les valeurs qui étaient les leurs valaient bien le sacrifice de
leurs vies, certains avaient 17 ans. Étonnant point commun avec la Commune de
1871, leur souvenir est occulté dans la mémoire, et dans les commémorations,
quelques places, quelques squares, l'affaire est entendue!. Comme si ces
événements rappellent à la fois l'exigence de Vertu, et son ABSENCE de nos
jours. Nos villes abondent de rues et de lycées nommés "Thiers", mais
qui connait le nom de Missak Manouchian? Dont toute la conception qu'il avait
de la Vertu se résume en cette phrase, avant de mourir" je meurs sans
haine en moi pour le peuple allemand"....Jeune arménien, ayant vu sa famille
exterminée, il était venu se réfugier au pays des "Droits de
l'Homme", pays qui le lui rendra en l'arrêtant, le torturant, et le
mettant à mort.
La Vertu antique était identifiée entre autres au courage, et à
l'inflexibilité de principes moraux, dont un est celui de ne pas être
"malléable" aux évènements et de ne jamais trahir son idéal au point
d'en mourir. En ces temps-là, le suicide héroïque est la récompense et va
hanter des siècles de créations artistiques .La vertu est à la portée de
tout le monde, elle n'est pas le fruit d'exploits extraordinaire:" la
vertu n'appartient qu'à un être faible par sa nature et FORT par sa
volonté" dira Rousseau .Parlons d'altruisme en ce sens ou ce qui est
vertueux s'applique à nous-même et à l'autre. C'est son aspect collectif qui
caractérise la naissance de la vertu .Nous pouvons sommairement résumer cela en
quelques mots, trahir l'autre, c'est se trahir soi-même.
En
dehors de ses aspects dramaturgiques, et aigus, la Vertu n'est-elle pas une
nécessité?.....Sans laquelle, l'exercice du Pouvoir ne se résume qu'à une
simple défense d'intérêts et à leur conservation, n'hésitant pas à une
confrontation violente, comme nous le constatons dans notre pays. Dans le
non-dit du malaise que traverse notre pays, la question de l'exemplarité est
essentielle, à savoir la désacralisation du Pouvoir, et d'élites perçues comme
profondément immorales. Immorales dans leurs salaires, indécents dans leur
mœurs: l’image d'un Ministre de l'Intérieur alcoolisé, en boite de nuit a fait
des ravages, celle d'un Président favorisant la carrière d'une "petite
frappe», en faisant son ami intime a fait le reste.
Y a-t-il eu un "âge d'or" de l'exercice du Pouvoir?
Certainement non .Mais l'exposition médiatique, la circulation dans
l'immédiateté technologique de toute information, crée la nostalgie d'un temps
où, derrière le voile du silence, était supposé sommeiller une Morale de
l'action politique, dans la main d'hommes et de femmes dotés d'une hauteur
d'esprit. Dirigeants d'une Nation autrefois, devenus aujourd'hui chefs de
Partis gardant le "pré carré" d'une classe dominante….quelle chute
dans l'imaginaire d'un Peuple, et quel déclassement dans le "grand récit
national".
De Gaulle, pour justifier ses choix, parlait de "Destin de
la France". De nos jours, pour forger ce destin, un Président
"normal" parle de" boite à outils", vocabulaire révélateur
qui relève du bricolage. Passer de Jaurès, ou d'autres à Leroy Merlin a de quoi
nous laisser effarés. Quelquefois la Vertu s'habille de bien pale manière,
diluée, détournée, manipulée, ce sont les grands moments d’Union sacrée"
comme lorsqu'une cathédrale brule, et que un peuple est supposé, encouragé à
dépasser ses "mesquins" intérêts, pour communier dans l'unité
.Mesquins intérêts étant la défense des acquis sociaux et de l'exigence de
dignité. "Comment allez-vous OSER manifester, alors que Notre Dame
de Paris a brulé?".....
Autrefois le sentiment de déclin et de décadence semblait
relever d'une pensée conservatrice, crispée sur un passé révolu.
Aujourd’hui, ce constat est généralisé...bien au-delà d'un quelconque
discours sur la nostalgie d'un Ordre moral disparu.
De nos jours, la libération jusqu'à la nausée de la
parole, le pragmatisme érigé en dogme, ont eu raison d'un discours sur le
Progrès, sur le respect des droits fondamentaux du citoyen, sur une philosophie
de l'émancipation .
Tout cela est considéré avec mépris comme une "Utopie»,
mot devenu de nos jours une insulte, là où autrefois il mettait les peuples en
marche. Qu'il s'agisse de la Cité de Dieu ou de la montée des faubourgs vers la
Bastille. C'est dans le nécessaire retour de l’éthique au cœur de la Pensée
politique, dans l'exigence d'une Morale d’état, c'est dans ces absences que se
situe la question de la Vertu.
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