« La tolérance est la vertu des faibles » A.
D. de Sade
« La
notion de vertu connote celle de force et de qualité morale. Pour les
Grecs, l’homme vertueux est l’homme qui accomplit son humanité dans son
excellence. Le vice au contraire renvoie à l’idée de faiblesse, de défaut
moral. La question est de savoir ce qu’il en est de la tolérance sous le
rapport de la force ou de la faiblesse morale. On entend par tolérance une
attitude consistant à accepter des croyances, des conduites que l’on n’approuve
pas. Dans l’idée de tolérance il y a à la fois l’idée d’une acceptation et
celle d’une réprobation D’ou les problèmes :
Si ce qui est réprouvé l’est en raison, la vertu humaine ne consiste-t-elle pas à le
dénoncer et à le combattre? Il nous
semble que la vocation de l’homme est de lutter contre l’erreur et le mal
moral, non de s’en accommoder. Inversement, si ce qui est réprouvé a sa
légitimité, il n’y a pas à le tolérer mais à le respecter.
Qu’est-ce donc qui peut conduire les hommes à
s’accommoder de l’inacceptable ou bien à avoir une attitude condescendante là
où le respect serait de rigueur? Ne faut-il pas admettre que ce sont des
principes peu honorables rejetant la tolérance du côté du vice
Seuls sont
en situation de tolérer ceux qui sont en situation d’interdire.
Les majorités tolèrent les minorités, pas l’inverse.
Elles s’abstiennent de sanctionner des opinions ou des conduites qu’elles condamnent
pourtant S’il va de soi que ce blâme est parfois légitime, cette attitude fait
problème lorsqu’elle vise une manière de penser ou d’agir dont le seul tort est
d’être différente. Par exemple, y a-t-il sens à dire que les Edits de tolérance
au XVI° siècle témoignent de la vertu des catholiques? Non, car ceux-ci
condescendent à admettre sur le territoire français le culte protestant, ils ne
reconnaissent pas le droit des protestants à la liberté de croyance. Le tort de
la tolérance est ici d’offrir comme un don gracieux de la charité ce qui est un
dû, en vertu du principe de justice. Elle cache sous une façade de tolérance
une intolérance foncière consistant à refuser à l’autre un droit égal à la
liberté de penser et à la détermination autonome de sa conduite.
On tolère souvent ce que l’on n’a pas le pouvoir
d’empêcher. Tolérance vient du latin tolero: endurer; supporter; souffrir
Le citoyen des quartiers où sévit la délinquance
tolère la dégradation des locaux; le bruit la nuit. La femme battue; l’enfant
martyr tolèrent les sévices aussi longtemps qu’ils n’ont pas le pouvoir
En ce sens Sade pouvait dire que «la tolérance est la
vertu des faibles;». La faiblesse,
l’impuissance ne sont pas des motifs de vertu
On tolère souvent parce que l’on fait preuve d’une
grande compréhension à l’égard des faiblesses et des vices des hommes. Il y a
dans cette facilité à accepter les fautes des autres, sans doute beaucoup de
commisération pour notre misérable condition mais aussi un brin de
complaisance. Cette motivation est très ambiguë. Qualité des grandes âmes,
souvent sévères avec elles-mêmes mais indulgentes aux autres; elle peut aussi
caractériser des êtres peu exigeants, enclins à flatter chez les autres les
vices qu’ils s’autorisent.
Qu’est-ce que la tolérance? disait Voltaire; c’est
l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesse et d’erreur.
Pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature
Ne pas tolérer c’est toujours prendre parti,
s’engager, combattre ce que l’on condamne et cela ne va pas sans risque. Ne pas
tolérer la délinquance c’est, dans certains quartiers s’exposer aux
représailles. Cela demande du courage or le courage n’est pas la chose du monde
la mieux partagée. Beaucoup ferment les yeux par peur, pour ne pas s’exposer
aux dangers qu’implique la lutte contre l’intolérable. Lorsque l’on a perdu le
sens des différences, lorsque l’inertie spirituelle fait que pour les hommes,
tout se vaut, on se croit tolérant là où en réalité on est indifférent. Etrange
tolérance qui ne coûte rien et qui est vidée de toute substance puisque seul
peut se sentir tenu de tolérer des convictions différentes des siennes, celui
qui en a de fermes.
Si c’est
l’intolérance, l’impuissance, la lâcheté ou l’indifférence qui fondent une
attitude tolérante, il n’y a guère de sens à la célébrer.
Si c’est la compréhension, le pardon, elle nous
redevient sympathique mais où tracer la frontière la séparant de la
complaisance voire de la complicité? Il y a beaucoup de vertu dans la personne
magnanime mais enfin, la tolérance consiste dans le premier cas à nier le droit des autres et dans les autres à
s’accommoder de ce qui fait injure à l’humanité, l’erreur dans les paroles,
la faute dans les conduites et cela fait problème.
Alors comment comprendre que la tolérance puisse jouir d’un tel prestige et qu’elle puisse revêtir le visage de la vertu? Suffit-il de dire qu’elle permet aux hommes de vivre en paix? Mais que vaut une paix si c’est la paix de la peur, de la lâcheté et de la démission spirituelle?
C’est ailleurs qu’il faut chercher et il semble bien
que la tolérance se soit imposée comme une vertu parce qu’elle est le contraire
de l’intolérance et là, pas d’ambiguïté possible, c’est bien le pire des vices. »
Par S. Manon
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