N’idéalise-t-on pas la démocratie ?
Étymologie et définition
Le
terme démocratie tire son origine de deux racines grecques : demos (le peuple) et kratos (le pouvoir). Selon la célèbre
formule d’Abraham Lincoln, 16ème
président des États-Unis d’Amérique, la démocratie se définit comme « le
pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Il en existe
différentes formes que je ne citerai pas, faute de place.
Des principes
démocratiques
Ici
encore, brièvement, voici les principes démocratiques majeurs qui vont faire
l’objet d’une critique dans le développement, à savoir : la décision prise
à la majorité, l’égalité entre les personnes et la participation des citoyens à
la vie politique.
Critique de l’idéal
démocratique
Je
suppose que tout le monde ici a déjà connu l’expérience subjective d’un dîner
de famille où les conversations politiques ne sont rien d’autre que des débats
idéologiques et positions quasi théologiques afin de conforter les croyances et
idées préconçues de chacun. L’exemple parfait du biais de confirmation qui soit-dit-en-passant
mène la vie dure à la science et à la philosophie.
« Nous ne désirons pas
une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que
nous la désirons », nous disait Spinoza. En
effet, c’est notre désir qui détermine notre jugement et non l’inverse.
En
Occident, la démocratie s’est placée au-dessus de tout jugement. Elle s ‘est
établie en dogme, considérée comme le régime politique qui nous apportera une
félicité absolue et immuable. D’ailleurs, nous allons jusqu'à la répandre et
l’imposer à travers le monde à grand coups de bombardements.
Elle
est décrite comme une déesse aux mille et unes vertus, où chacun aurait le
pouvoir de faire entendre sa voix, son jugement, son avis. Où l’égalité serait
parfaite, les choix forcément justes, bons et moraux.
N’entendons-nous
pas constamment - si ce n’est souvent - qu’il faut plus de référendum, que le
peuple demande à s’exprimer ? Il semble bien que - d’une certaine façon -
ce soit déjà le cas, et que la décadence (en tout cas intellectuelle)
exponentielle actuelle soit la résultante de cet état de fait.
Permettez-moi
de citer Alexis de Tocqueville,
philosophe politique, écrivain, précurseur de la sociologie, historien et
aristocrate français du XIX siècle :
« Qu’est-ce donc qu’une
majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus
souvent des intérêts contraires à un autre individu qu’on nomme la
minorité ? Or si vous admettez qu’un homme revêtu de la toute-puissance
peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n’admettez-vous pas la même
chose pour une majorité ? … Pour moi je ne saurais le croire ; et le
pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai
jamais à plusieurs ».
Sous
les belles valeurs qu’elle semble défendre, la démocratie a créé le despote le
plus puissant qui n’ait jamais été : la majorité, qui trace un cercle
formidable autour de la pensée.
La démocratie suppose que
tout le peuple prenne part aux décisions. Or, cela donne donc la parole à une
horde d’individus non compétents sur pléthore de sujets et questions (santé,
économie, environnement, législative, politique, éthique, etc.) d’autant plus à
notre époque où chaque domaine est très vaste et très précis. Il devient
difficile de maitriser ne serait-ce que plusieurs branches d’une même
discipline parfaitement. Nous pouvons prendre l’exemple de la médecine et de
ses innombrables spécialités. Nous
posons déjà là le cœur du problème d’un tel système : tout le monde serait
apte à donner un avis – ou un vote - éclairé et objectif sur toutes les
décisions importantes. Ce qui n’est pas le cas dans la réalité.
Ce peuple, donc, prendrait part
aux décisions et/ou aux débats, sans les connaissances objectives et/ou
scientifiques requises sur un sujet et tomberait inéluctablement dans le débat
d’opinion, dans le clash idéologique, où le choix devient finalement binaire,
entrainant des combats médiatiques faisant stagner les discussions. En somme, c’est
les antis contre les pros. Cela est malheureusement devenu très courant dans
nos sociétés. Le lecteur cherchant souvent à confirmer ses opinions et croyances,
plutôt qu’à les infirmer.
L’égalité des conditions rend
la majorité impressionnante et crée la peur de la contredire. Il suffit de se
remémorer les expériences de conformation au groupe de la psychologie sociale
pour en connaître la tendance.
La solution consensuelle
semble utopique, la plupart des citoyens sont irrationnels et défendent leurs
positions politiques tel des hooligans défendant leur équipe de football
favorite. La crétinisation des masses s’est aussi emparée de la sphère
politique et militante.
Petit aparté sur nos
systèmes actuels et sur l’actualité
Selon
le principe de Condorcet, le candidat élu lors d’une élection à deux tours
n’est pas nécessairement celui de la majorité. Les scrutins à deux tours ne
représentent pas toujours la majorité.
Mis à part ça, les politiciens qui nous
gouvernent, où plutôt leurs conseillers, ayant analysé, compris et appréhendé un
certain nombre de données émanant de la psychologie sociale (psychologie des
foules et fabrique du consentement) - je pense ici notamment à Edward Bernay – ont réussi des tours de
passes impressionnant : grâce à eux, la démocratie en est réduite à de la
technocratie « malhonnête ».
Je m’explique : la majorité a été définie
comme un tyran qui gouvernait grâce à l’opinion publique et à la force du
nombre qui lui est associé. Forts de leurs connaissances, ces petits groupes
peuvent « insérer » en amont les idéaux, les pensées, les préceptes
moraux, et que sais-je encore dans l’esprit des masses via divers procédés
(propagande, publicité, etc.) Ils sont devenus les marionnettistes du tyran.
Formulé de manière plus formelle et logique cela
donne :
1) L’opinion de la majorité est
celle qui domine et décide 2) De petits groupes politiques et
industriels, grâce à la propagande, insèrent l’opinion souhaitée pour le
peuple. 3) Ces petits groupes choisissent donc l’opinion majoritaire du
peuple. 4) Donc l’opinion souhaitée par ces petits groupes est celle qui
domine et décide.
C’est -principalement- dans l’égalité des conditions et de
l’illusion de la liberté que l’on peut en trouver les causes. Désormais, l’oligarchie renaît de ses cendres sous une nouvelle forme, non pas en affirmant sa supériorité à l'égard du peuple
mais en lui faisant croire qu'il est son égal.
Ajoutez à cela la détention des médias français par une poignée d’hommes très fortunés et la place privilégiée des multinationales dans la rédaction des amendements européens, vous
voilà avec une bonne recette propagandiste, une
technocratie économique si
j’ose dire, mais certainement pas avec une démocratie.
Je
vous invite également à discuter de l’actualité brûlante sur la liberté de la
presse qui comme le souligne Tocqueville
« est l’arme démocratique par excellence » sur laquelle le
gouvernement vient de s’abattre avec la loi sur les fake news et celle sur le secret des affaires.
Que conclure de tout
cela ?
Après
cette critique assez dense je le reconnais, je précise néanmoins que celle-ci n’a
pas pour but de rejeter la démocratie, de dire qu’elle est mauvaise et qu’il vaudrait
mieux l’oublier. Ma présente critique ne fait que souligner ses limites, ses
défauts et tente de lui rendre sa juste valeur, à cause des qualificatifs
souvent exagérés que l’on emploie pour la décrire.
Pour
finir, je vais m’attribuer le rôle du serpent qui se mord la queue en répondant
à l’utopie par l’utopie. Un système politique idéal serait, me semble-t-il, un
système technocrate sans finances et donc sans lobbys et donc sans conflits
d’intérêts. Bien sûr un tel monde n’est – de prime abord - pas concevable. La
question sous-jacente - peut-être pour un prochain sujet du café philo - est
légitimement : Les multinationales ont elles ôté tout pouvoir aux
états ?
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