lundi 19 février 2018

Sujet du Mercredi 21 Fév. : FREUD ET LA GUERRE



FREUD ET LA GUERRE

Au cours de l’année 1932 la montée du nazisme laisse présager un  nouveau conflit. Einstein est mandaté par la Société des Nations (ancêtre de l’ONU)  pour réfléchir au moyen « d’affranchir les hommes de la menace de la guerre ». Il se tourne alors vers Freud et la psychanalyse qui lui semble être l’outil pour éclairer le comportement humain.          

Einstein : « En ce qui me concerne, la direction habituelle de ma pensée n’est pas de celles qui ouvrent des aperçus dans les profondeurs de la volonté et du sentiment humains, et c’est pourquoi, dans l’échange de vues que j’amorce ici, je ne puis guère songer à faire beaucoup plus qu’essayer de poser le problème et, tout en laissant par avance de côté les tentatives de solution plus ou moins extérieures, vous donner l’occasion d’éclairer la question sous l’angle de votre profonde connaissance de la vie instinctive de l’homme….Comment est-il possible que la masse, par les moyens que nous avons indiqués, se laisse enflammer jusqu’à la folie et au sacrifice  ? Je ne vois pas d’autre réponse que celle-ci : L‘homme a en lui un besoin de haine et de destruction. En temps ordinaire, cette disposition existe à l’état latent et ne se manifeste qu’en période anormale ; mais elle peut être éveillée avec une certaine facilité et dégénérer en psychose collective. C’est là, semble- t-il, que réside le problème essentiel et le plus secret de cet ensemble de facteurs. Là est le point sur lequel, seul, le grand connaisseur des instincts humains peut apporter la lumière. » Postdam 30 Juillet 1932.
Einstein est-il naïf ?  Ou manipulateur ? D’un côté il dit : «je ne puis guère songer à faire beaucoup plus qu’essayer de poser le problème..», mais quelques lignes loin il déclare : «Je ne vois pas d’autre réponse que celle-ci : L‘homme a en lui un besoin de haine et de destruction. ». Poser le problème et dire que l’homme a un besoin de haine, etc…., ce n’est pas du tout poser le problème de façon objective. Mais que lui répond son interlocuteur « le grand connaisseur des instincts humains » comme dit ce cher Albert ?

Freud : « A l’ origine, dans une horde restreinte, c’est la supériorité de la force musculaire qui décidait ce qui devait appartenir à l’un, ou quel était celui dont la volonté devait être appliquée… »

« En partant de nos lois mythologiques de l’instinct, nous arrivons aisément à une formule qui fraye indirectement une voie à la lutte contre la guerre. Si la propension à la guerre est un produit de la pulsion destructrice, il y a donc lieu de faire appel à l’adversaire de ce penchant, à l’eros. Tout ce qui engendre, parmi les hommes, des liens de sentiment doit réagir contre la guerre. Ces liens peuvent être de deux sortes. En premier lieu, des rapports tels qu’il s’en manifeste à l’égard d’un objet d’amour, même sans intentions sexuelles. La psychanalyse n’a pas à rougir de parler d’amour, en l’occurrence, car la religion use d’un même langage : aime ton prochain comme toi- même. Obligation facile à proférer, mais difficile à remplir. La seconde catégorie de liens sentimentaux est celle qui procède de l’identification. C’est sur eux que repose, en grande partie, l’édifice de la société humaine. »

« C’est l’une des faces de l’inégalité humaine, — inégalité native et que l’on ne saurait combattre, — qui veut, cette répartition en chefs et en sujets. Ces derniers forment la très grosse majorité ; ils ont besoin d’une autorité prenant pour eux des décisions auxquelles ils se rangent presque toujours sans réserves. Il y aurait lieu d’observer, dans cet ordre d’idées, que l’on devrait s’employer, mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici, à former une catégorie supérieure de penseurs indépendants, d’hommes inaccessibles à l’intimidation et adonnés à la recherche du vrai, qui assumeraient la direction des masses dépourvues d’initiative.

L’État idéal résiderait naturellement dans une communauté d’hommes ayant assujetti leur vie instinctive à la dictature de la raison. »

Ainsi partant de « lois mythologiques de l’instinct »  - il faut oser le dire et l’écrire ! -  Freud nous ressert ni plus ni moins qu’un « discours sur l’inégalité ». Les théories justificatrices de l’ordre dominant telles que développées par Hobbes. Il embraye aussi sur l’idée fantasque et élitiste : les chefs – qui eux raisonnent – doivent assujettir les masses à la dictature de la raison  (comme Platon !). Il ne fait que ressasser les sempiternelles litanies sur la soi-disant « nature humaine.        
Freud avoue sa méconnaissance de l’ethnologie (pourtant déjà fort développée depuis le 19ième siècle) :

« En des contrées heureuses de la terre, où la nature offre à profusion tout ce dont l’homme a besoin, il doit y avoir des peuples dont la vie s’écoule dans la douceur et qui ne connaissent ni la contrainte ni l’agression. J’ai peine à y croire et je serais heureux d’en savoir plus long sur ces êtres de félicité. »

Il a peine à y croire, et serait heureux d’en savoir plus long ! Mais qu’à cela ne tienne mon cher Sigmund, plongez-vous dans les ouvrages de Morgan, anthropologue américain mort en 1881 ou de Bachofen philologue et sociologue suisse mort 1887. Que n’avez  lu l’ouvrage majeur d’Engels : « l’origine de la famille de la propriété privée et de l’Etat » publié en 1884, ouvrage auquel se réfèrent à notre époque même les plus grands préhistoriens :

« La violence n’est pas une fatalité, elle ne procède ni d'une pulsion agressive originelle chez l’Homme comme le dit Freud, ni d’une cruauté innée, comme le pensait Nietzsche. Elle n'est pas génétiquement déterminée, car, même si le comportement violent est conditionné par certaines structures cognitives, le milieu familial et le contexte socioculturel jouent un rôle important dans sa genèse.        
D'après les données archéo­logiques, les Hommes préhistoriques du Paléolithique vivaient sans violence institutionnalisée. L’apparition de celle-ci a donc des causes historiques et sociales. Elle est l’un des vecteurs de mutation de leur histoire.
 » M. Patou-Mathis – Préhistoire de la violence et de la guerre -2017

Faute de pouvoir montrer qu’il fait de la science, que son savoir est adossé à des connaissances sûres, au réel de ce qui était connu depuis longtemps déjà  - à son époque -, Freud utilise ses pirouettes habituelles (récupérations) :
« Peut-être avez-vous l’impression que nos théories sont une manière de mythologie qui, en l’espèce, n’a rien de réconfortant. Mais est-ce que toute science ne se ramène pas à cette sorte de mythologie ? En va-t-il autrement pour vous dans le domaine de la physique ? »

Disqualifié par son ignorance des sciences sociales de son époque, il doit fournir un alibi scientifique à sa psychanalyse, à ses « lois de la mythologie de l’instinct ». La lettre d’Einstein lui offre la formidable opportunité de tenter de se hisser au niveau des sciences de son temps et qui plus est à celle qui révolutionne le plus l’épistémologie scientifique : la physique. C’est tout bénéf ! Psychanalyse physique, même combat …mythologique bien sûr !

Mais il y a plus encore dans cette lettre de Freud :

« Je crois que le motif essentiel pour quoi nous nous élevons contre la guerre, c’est que nous ne pouvons faire autrement. Nous sommes pacifistes, parce que nous devons l’être en vertu de mobiles organiques. Il nous est désormais facile de justifier notre attitude par des arguments. » 
    
Dans son délire, Freud est du côté du bien – forcément – il est pacifiste ! Mais pas par conviction, par « mobiles organiques ». L’éros de Sigmund est au plus haut, donc il veut la paix, c’est plus fort que lui. Par contre, comme il dit, comme « argument » c’est un peu léger et assez essentialiste. Freud n’a donc plus besoin de penser la guerre ou la paix. Il EST pacifiste, comme on est grand ou petit.
Mais lancé dans sa diatribe sur la « raison », la paix et tout le reste Freud lâche le morceau :

« Actuellement déjà les races incultes et les couches arriérées de la population s’accroissent dans de plus fortes proportions que les catégories raffinées.      
Peut-être aussi ce phénomène est-il à mettre en parallèle avec la domestication de certaines espèces animales ; il est indéniable qu’il entraîne des modifications physiques ; on ne s’est pas encore familiarisé avec l’idée que le développement de la culture puisse être un phénomène organique de cet ordre. ».

Freud écrit cela en septembre 1932. Janvier 1933 Hitler et les nazis arrivent au pouvoir en Allemagne.

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