PEUT-ON CROIRE SANS ÊTRE TROMPE ?
« Je crois » ; « Je ne crois
pas » ; « J’y croyais » ; « Je n’y crois
plus » : ce sont là des phrases que nous utilisons tous les jours.
Mais croire à quoi ? Croire à qui ? Pourquoi croire ? Peut-on
croire sans être trompé ?
Si, bien entendu nous ne pouvons pas répondre à chacune
de ces questions, en répondant à la dernière, nous répondons en partie aux
premières. Alors peut-on croire sans
être trompé ?
Le sujet n’est pas nouveau et Dieu sait qu’il a déjà fait
l’objet à plusieurs reprises de débat ici dans cette salle. Mais il existe
plusieurs façons de traiter un même sujet.
Alors pour répondre à la question posée, nous devons
d’abord chercher à savoir ce qu’est
« croire » ou « ne pas croire » ? Quelle est
l’origine de l’une ou de l’autre ?
Quand nous croyons dans la fiction, sommes-nous trompés ?
Vous l’avez compris, à travers la définition du mot
« croire » il va se dégager l’idée qu’il est difficile de croire sans
être trompé dans une première partie.
Et dans une deuxième partie sera développée l’idée que
croire ou ne pas croire ne dépend pas forcément de nous et que l’on peut croire
sans être trompé, tout dépend de ce en quoi l’on croit.
Croire, un verbe
porteur d’une connotation péjorative.
De nos jours, dans les sociétés occidentales, croire,
c’est un défaut, c’est s’incliner vers quelque chose qui confine à la bêtise.
Et pourtant on pourrait considérer que croire est une qualité, celle qui
consiste à faire confiance aux autres. Non. Croire est plutôt considéré comme
être naïf, simple d’esprit, sot, dupe.
N’oublions pas que toute la tradition philosophique de la
Grèce Antique avait fait de la prudence, l’une des quatre vertus cardinales et
théologales à côté du courage, de la tempérance et de la justice.
Pour Platon, la prudence dispose la raison pratique à
discerner en toute circonstance le véritable bien et à choisir les justes
moyens de l’accomplir.
Épicure plaide en faveur
de la prudence et contre la crainte de Dieu et la crainte de la mort qui
poussent à croire. Il préconise la
recherche de plaisir raisonnée. Le plaisir est donc pour lui le
commencement et la fin d’une vie bienheureuse. Epicure ne fait pas un plaidoyer
d’un hédonisme sans borne. Si la recherche d’un plaisir effrénée peut
immanquablement conduire à des troubles et à des inquiétudes, une recherche
prudente du plaisir mène au bonheur. Le bonheur n’est donc pas dans les
croyances mais dans des plaisirs bien
calculés.
Diogène LAERCE mentionne que « De la prudence viennent la
maturité et le bon sens ».
La prudence c’est donc la réflexion préalable et la
prévoyance par lesquelles on évite les dangers de la vie. Et croire empêche
cette forme de réserve et de défiance qu’est la prudence.
La crédulité
conduit à développer une certaine propension qui pousse un esprit à croire trop
facilement, trop hâtivement et sans examen critique.
Croire trop facilement, à un certain degré, c’est être
crédule, c’est prendre le risque d’une pathologie de croire, développer une
certaine passivité qui s’attache à toute croyance. En
congédiant la preuve, la croyance se place dans l’impossibilité d’avancer des
motifs rationnels.
En ce moment, croire
revient toujours à accepter la possibilité d’être trompé, ce qui peut aboutir à
l’abandon de l’esprit critique.
Pour Alain, le
doute est le sel de l’esprit et
croire, c’est dormir les yeux ouverts comme le font les bêtes. Il faut donc
se réveiller c’est-à-dire se refuser à croire sans comprendre, examiner,
chercher.
Croire c’est
toujours obéir selon Alain et l’obéissance d’esprit est toujours une faute.
Croire, c’est être docile, se soumettre facilement à l’autorité.
Les croyances
occupent une place importante chez les enfants ( croyance au père Noel, à la
Cigogne qui apporte des bébés).
Mais elle n’est pas le propre des enfants. On mentionne souvent la crédulité des
anciens et des primitifs. Et lorsqu’on refait le tour de la mythologie
grecque, on se demande aujourd’hui comment les Grecs de l’époque ont pu croire
ces fabulations.
On s’est aussi interrogé sur ce que Levy Brühl a pu
appeler la mentalité primitive. Cette
croyance naïve en des forces et des puissances occultes qui explique la
docilité selon lui de ces hommes.
L’ethnologue soutient que l’enfant comme le primitif
possède une mentalité prélogique.
Mais la crédulité
est une attitude de tous les temps et de tous les pays. Partout où il y a des
hommes, il y a des esprits crédules. Et parce qu’il y a des crédules, il y aura
des imposteurs, des séducteurs, des rhéteurs, des sophistes pour exploiter
cette crédulité.
Nous y croyons les yeux fermés, nous y croyons dur comme
fer.
Faut-il pour autant refuser de croire, être
incrédule ?
L’incrédule refuse qu’une croyance puisse lui venir de
l’autre. S’il doit recourir à une croyance, celui-ci sera entièrement à son
initiative : « Je ne croirai
pas une telle histoire, me fut-elle contée par Platon ».
Et là le pari de
Pascal nous vient à l’esprit. « Abêtissez
vous » disait Pascal, « car
en réalité, nous sommes automates autant qu’esprit ».
Poussé à un certain degré, l’incrédulité devient une
maladie de la confiance. On pourrait considérer la jalousie comme un refus
maladif de faire confiance.
II-Croire ou ne
pas croire ne dépend pas forcément de nous et l’on peut croire sans être
trompé.
Sartre dans l’idiot de la famille nous explique
que cette propension à la passivité qui nous pousse à croire facilement, trouve
son origine dans l’enfance du sujet qui croit.
Sartre nous raconte que Gustave Flaubert a connu des
blocages affectifs et caractériels pendant son enfance. Il aurait pour cela
développé une sorte de structure passive qui aurait contribué à faire de lui un
prisonnier de la croyance. L’enfant
est habité par le besoin de croire et de faire croire, ce qui lui permet d’exister.
Le manque chez Flaubert viendra de la mère, Marie
Caroline, marquée par les deuils et la mort ( sa propre mère était morte en la
mettant au monde) : ce que les psychanalystes appellent la malédiction de
la mère.
Femme de devoir et de religion, elle accepte son fils
mais celui-ci n’est pas désiré.
Cette pénurie de
tendresse sera pour Gustave, un manque irrémédiable. L’enfant se tourne
alors vers son père, qu’il va adorer, mais qu’il décevra ; Gustave en
effet échouera à l’apprentissage de la lecture. D’où la condamnation paternelle :
« Tu seras l’idiot de la famille ».
Gustave ne se remettra Jamais de cette condamnation. Il
devient une créature passive, passivité qui se manifeste par les hébétudes et
par la crédulité. L’enfant Flaubert est un enfant rêveur, crédule et naif. Flaubert
restera toute sa vie soudée à la petite enfance. « Gustave n’est jamais sorti de l’enfance,
écrit Sartre ». La mort de son père le libérera. C’est alors que
Flaubert va tenter, écrit Sartre de compenser « sa pauvreté d’être » en faisant le choix de l’art, de
l’écriture, de l’irréel.
Le cas Flaubert
montre que la crédulité peut résulter d’une immaturation d’une dépendance aux
parents qui n’a pas pu être surmontée. Impuissante à se poser comme autonome,
la conscience crédule ne parvient pas à s’affirmer, elle reste infantile et
puérile. Gustave souffrira toute sa vie du syndrome dira Sartre « d’un égo
absent ». Il est aliéné.
On pourrait également raconter dans le même prolongement
l’histoire de Freud qui, à l’âge 8 ans, et ayant fait pipi dans son pantalon,
son père lui dit : « Tu n’as
n’arriveras à rien ». Marqué à vie par cette invective, Freud
s’investit et sera le plus grand psychanalyste de tous les temps pour prouver à
son père le contraire de ce qu’il a pensé.
Si l’on envisage
le cas de la fiction dans son rapport à la croyance, on peut dire qu’elle
est un produit de l’imagination, de l’esprit. Elle renvoie aux créations de
l’art, du théâtre, du cinéma et de la littérature. De ce point de vue, la
fiction se définit par un écart avec la réalité.
Pour pénétrer
l’univers fictionnel, il faut d’abord que l’esprit y donne son adhésion.
Peut-on pour autant, dans le cas de la fiction, parler d’un phénomène de
croyance ? Le lecteur ou le spectateur croit-il à l’existence du
personnage que représente un acteur ? Peut-on parler de mensonge ? Le
lecteur d’une œuvre littéraire peut-il accuser l’auteur de l’avoir
trompé ?
Nous nous heurtons ici, en effet, au paradoxe de la fiction.
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