SANS ?
La
bouffe c’est comme la philo. C’est vrai, au fond il nous faut bien
« penser ». Qu’il le veuille ou pas l’homme pense. Le veilleur de
nuit et Kant pensent.
Il
y en a qui pensent comme quand on se fait un MacDo. D’autres qui préfèrent
penser qu’il faut impérativement
s’abstenir de manger du MacDo. Cet impératif là ne nourrit pas son
homme, certes, mais à y regarder de plus près obéit à la règle (il en
faut !) de « évitez de manger
trop gras, trop sucré, trop salé ».
Éviter les excès en tout genre est un gage de
« vie bonne », nous assure Épicure. Et il en connaissait un bout lui
qui disait par ailleurs « tout vient du ventre ». Remarque frappée du
bon sens : sans alimentation ni de boisson point de vie, donc point de
pensée.
L’état et ses services sanitaires, veillant sur les
hommes mangeant-pensant, ont voulu lui éviter les désagréments d’une nourriture
qui était devenue dangereuse. Non que les hommes mangeassent n’importe quoi
dans des conditions hygiéniques dégradées…. Que nenni !
En fait depuis plus un siècle environ l’homme
occidental ne sait plus faire pousser des salades ou tuer un lapin. L’éducation
nationale et la SPA ont réussi à faire sortir les gens de leurs jardins et
autres poulaillers pour les amener peu à peu à habiter des poulaillers … sans
jardin. Le jardin s’appelle Supermarché. Et c’est Monsieur Supermarché qui tue
les lapins.
(Heidegger y voyait là un de ces progrès techniques
qui avait perverti l’âme humaine. Auschwitz n’étant, pour lui, que l’extension,
à une population donnée, du concept de supermarché = « fabrication de
cadavres »).
Si les hommes ont désormais les mains propres (pas
de terre ni de sang sur les mains) – Quoiqu’en pense Mr Sartre, quelqu’un doit veiller à ce qu’ils mangent,
car, rappelons-le, l’homme pense !
Et c’est une tâche difficile. Notre époque le
montre parfaitement. L’état et ses services sanitaires veillent à notre santé.
D’abord on a arrêté le nuage de Tchernobyl juste au dessus des Alpes (les
suisses et les italiens ont tout gardé). Aujourd’hui, grand paradoxe
philosophico-nutritionnel (apparent, comme tout paradoxe philosophique), on
retire des éléments de nos aliments tout en conservant leur masse et leur prix
(ici git le paradoxe !). Désormais on nous donne du « sans » (à
défaut de nous fournir du sens, qui semble – pourtant - être le but premier de
la philosophie –.
Tous les consommateurs ne sont pas des philosophes,
il est vrai – Mais est ce une raison suffisante pour ne point
s’interroger ?).
Nous nageons dans l’absence : sans paraben, sans gluten, sans huile de palme, sans
lactose, sans sucres, sans gras, sans sel, sans dioxine, sans caféine, sans
aspartame, avec 0 calories ….
Que
nous reste t il ? : Des ersatz ? Du minerai de cheval ? Des abats lyophilisés ? Des
placebos ?
Et
malgré cela, malgré tous ces « sans » qui, logiquement, devraient
donner du « moins », nous sommes toujours plus … gros. Au point que
c’est devenue une maladie : l’obésité. Comme dirait l’autre : il y a
un malaise dans la civilisation. Obèses au Nord, rachitiques au Sud.
A
moins que, sortant le nez de nos assiettes afin de voir l’horizon, ce qui est
déjà une certaine forme du « penser », nous réfléchissions à d’autre
« sans », d’autres absences : les sans emploi, les sans domicile
fixe, les sans papiers ….. Mais nous voilà à nouveau confrontés à un autre
paradoxe tous ces « sans » ça fait du « plus » : plus d’employés
à Pôle Emploi, plus de concerts de soutiens aux pauvres, plus de restos du
cœur, plus de bons sentiments et qui plus est on recycle la marchandise périmée
vers les pauvres. Mr Supermarché a décidé que les dates de péremptions étaient
sans effet sur les corps des pauvres.
Notre
société exalte le « toujours
plus », qui se manifeste - sous sa forme extérieure - par l’obésité que
nous évoquions plus haut. Forme extérieure, car au fond (sur le fond), que
reste t il de nos corps et de nos pensées après un lavage d’estomac sans
sucre, sans sel, sans lactose, sans calories ; sans abri, sans travail,
sans identité ?
Un
Président aurait dit qu’il se méfiait des « sans-dents » ; déjà
un roi avait dit qu’il se méfiait des « sans-culotte ». Ils avaient
raison. La stabilité politique ne peut reposer sur le dépouillement des gens
mais quand il est trop tard faut-il s’étonner de perdre la tête ?.
Si
l’homme pense (présupposé philosophique) c’est que son corps le lui permet, que
les conditions qui lui sont faites exigent qu’il pense. Un grain de riz ou une miette de pain (avec ou
sans gluten), pour tout repas, ça laisse à penser Et le problème est bien là.
L’illusion ou le réel du « sans » qu’on nous vend pour notre bien
c’est la porte ouverte à la réflexion.
La
réflexion est le contraire de la contrainte du « sans ». C’est la
libération de la recherche du sens. Et elle ne se construit qu’avec des …. « avec ». Avec
l’autre, les autres, la nature, le travail, la recherche ….
Les
hommes ont toujours dû faire « avec ». Ils sont même devenus hommes
en s’appropriant des techniques et des savoirs, confrontés qu’ils étaient à une
nature qu’ils apprirent à domestiquer.
A
nous de poursuivre ce processus. Il va falloir faire avec !
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