dimanche 26 janvier 2025

Sujet du 29 Jan. 2025 : METS TA PHYSIQUE, METAPHYSIQUE ?

 

METS TA PHYSIQUE, METAPHYSIQUE ?

 

La métaphysique est l’étude de « l’être en tant qu’être », de la « substance ». C’est, par exemple, l’étude des questions fondamentales telles que l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu, les raisons de l’existence du Mal (conduisant à la notion de libre-arbitre) ou le sens de la vie.

 

Toute considération philosophique, ou presque, dépend de ce thème. Il est donc crucial. Se réfère-t-on à des faits pour fonder nos raisonnements et développer une philosophie matérialiste ou, alors, l’esprit se donne-t-il le « libre-arbitre » de s’échapper en roues libres ? Peut-on, par goût ou facilité, choisir de suivre quelque idée que ce soit pour se lancer dans une philosophie idéaliste, métaphysique ?

– Envole-toi avec moi et les anges dans l’éther diaphane de la symphonie des sphères adamantines qu’anime le Primus Motor transcendant siégeant dans l’au-delà du monde.

– Non, j’observe le firmament, analyse et mesure les phénomènes. J’en induis les lois qui le gouvernent, dont je déduis ensuite des prévisions chiffrées.

– Quelle idée !

– Décidément, vous les métaphysiciens ne connaissez que vos fantasques lubies.         

Pour comprendre cette béance métaphysique millénaire et toujours actuelle, une perspective historique et factuelle de très long terme est nécessaire. Deux mille ans avant notre ère, les Babyloniens mesuraient en chiffres le retour d’évènements célestes singuliers. Les Grecs, eux, observaient les trajectoires géométriques des astres. Modèle de pensée numérique contre modèle géométrique, l’un et l’autre permettaient, en alliant faits et raison, de prévoir sans avoir recours aux mythes et aux dieux.

 

Ce furent les premiers pas de la philosophie, d’abord de la nature, principalement avec Anaximandre par lequel naît une pensée « scientifique ». L’idéalisme de Parménide de l’immobilité, de la permanence absolue et de la sphéricité parfaite a conduit Platon et Aristote au dogme d’un cosmos infini dans lequel est plongé un univers fini constitué de sphères solides et concentriques. « Bien naturellement » la plus centrale et immobile (est-ce que je bouge, moi ! Oui, à 1600 km/h à l’équateur) est la Terre des hommes. Dans la plus externe sont fichées les étoiles fixes du firmament. Vue de la Terre, elle tourne d’est en ouest. Ce qui explique son mouvement diurne. Par ce « libre-arbitre » métaphysique, l’homme se met erronément au centre et fait tout tourner autour de sa personne.

 

Jusqu’à Copernic, le carcan intellectuel de ce mode de penser métaphysique perdurera pendant vingt siècles dans les « sciences » et la philosophie confondues. Le carcan d’Aristote concerne la physique du monde supralunaire gouverné par une rationalité absolue que les mathématiques ont pour mission d’exprimer. En bas de la hiérarchie des sphères, il y a le monde où nous vivons, changeant et corruptible, gouverné par une physique du même ordre. L’Église reprendra la vision d’Aristote en plaçant le paradis au ciel et Le Dieu unique et transcendant au-delà de la dernière sphère des fixes, qu’Il fait tourner pour animer le monde qu’Il a d’abord créé de toute pièce.

 

Tels sont les dogmes des monothéismes imposant un argument d’autorité absolu. Mais les métaphysiques nouvelles de Copernic et Galilée ouvraient une brèche en revendiquant le droit à la critique à partir d’autres représentations du monde, elles aussi métaphysiques, prétendant tirer des vérités « plus scientifiques » à partir de faits avérés, nécessaires, oui, mais encore insuffisants. Outre l’élégance du modèle, les arguments physiques soutenant l’hypothèse héliotropique de Copernic furent les découvertes par Galilée des phases de Vénus et des satellites de Jupiter.

 

Puis Descartes y oppose le doute méthodique de l’esprit critique reposant sur le principe d’une raison universelle antithétique à tout dogme, nécessairement particulier. « Le Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences » est un texte révolutionnaire qui énonce la démarche dite aujourd’hui scientifique et sa primauté sur la démarche obscurantiste fondée sur les Textes sacrés et l’autorité des anciens (Aristote et les pères de l’Église). Descartes singularise ainsi la prééminence d’une saine philosophie matérialiste (sous-tendue par des faits avérés) sur la philosophie idéaliste ou métaphysique fondée sur des vues de l’esprit conçues au gré de leurs créateurs. Si bien qu’on pourrait se demander quel serait le sexe des anges et comment ils traversent les sphères de cristal du firmament telles de pures Idées à la Platon. Ou, encore, si un dieu infiniment bon a pu créer le mal et le faire prospérer à seule fin d’éprouver le « libre-arbitre » de ses dévoués adorateurs.

 

Mais voilà néanmoins que Newton puis Einstein et Bohr, tous métaphysiciens, convertissent de pures expériences de pensée en théories mathématiques qui « étrangement » se vérifient dans le réel. Mais, précisent-ils avec grande justesse, uniquement dans leurs domaines de validité respectifs. Bohr étudie les conséquences de son modèle atomique et, avant 1922, prédit l’existence dans le tableau périodique d’éléments encore inconnus qui seront découverts par la suite.

C’est à partir de là que des DELEUZE, DERRIDA, GUATARI, IRIGARAY, BERGSON, LACAN, LESTOUR, LYOTARD, SERRES, BEAUDRILLARD, KRISTEVA, LATOUR, VIRILIO..., s’autorisant des transgressions décérébrées de ces bornes, participent d’une déconstruction de la raison systématique et inique. La tromperie est patente par l’application de ses concepts à l’homme. Et donc explicitement hors du domaine de validité défini par Bohr. Cette arnaque intellectuelle, assortie d’une interprétation fallacieuse du postulat de « non localité » de la particule quantique, a fait abusivement accréditer la croyance à l’accès de l’esprit à la télépathie et à la prophétie. L’esprit serait donc capable de guérison à distance, notamment par des prières absconses ou des correspondances platoniciennes. « Le roi est nu ». Et pourtant cela peut rapporter gros, très gros tant la déconstruction de la raison est répandue et profonde.

 

En 1997 Bricmont et Sockal dans « Impostures intellectuelles » ont alors pu faire accepter par une revue scientifique de renom un canular des plus fantaisistes mais écrit avec le plus grand sérieux scientifique, la forme et la nouveauté cachant la parfaite vacuité du fond. L’acceptation aveugle de l’imposture souligne le degré de décérébration avancé de la société. Celui-ci a depuis abouti à la déraison du rejet de la binarité biologique des enfants, du transgenrisme, de la police du langage interdisant une appréhension réaliste du monde au profit d’un nouvel obscurantisme métaphysique. En 2025 des mutuelles de santé ne remboursent-elles pas des séances de sophrologie, hypnose, aromathérapie et, pourquoi pas bientôt, de psychanalyse spiritualo-quantique... ?

 

A l’instar de Marie de France (lais du XIIe s.), Erasme, Montaigne et des philosophes des Lumières en leur temps, aujourd’hui essayons « En toute chose, savoir raison garder ». Cela permettra d’éviter d’être plus que bo(h)rder-line en nous prenant pour des « électrons libres » de tout bo(h)rd et autres inepties psychédéliques dont on veut nous farcir le système à raz-bo(h)rd.

 

Enfin, et ce point est crucial concernant la science et la philosophie matérialiste qui la sous-tend, il faut souligner que le caractère de vérité d’une découverte scientifique n’est en rien irrévocable. Il est primordial de le savoir. Même si c’est souvent peu compris ou partiellement assimilé. Quoi qu’on puisse en penser c’est, par exemple, le cas du mouvement de la Terre. Souvent erronément nous l’acceptons aujourd’hui sans examen comme une vérité révélée, indiscutable et donc non scientifique... Et nous nous faisons, pourtant hors raison, des gorges chaudes des opinions divergentes. Il faut pourtant bien comprendre cela pour, in fine, pouvoir en toute raison séparer philosophie et métaphysique.

Ainsi, si la Terre ne tournait pas autour du Soleil, il faudrait montrer, par exemple, que

  la parallaxe serait due à un déplacement de toutes les étoiles de période un an, déplacement d’autant plus important qu’elles sont proches de la Terre,

  et que l’effet Doppler-Fizeau serait créé par un mouvement périodique annuel des étoiles, surtout celles situées dans l’écliptique.

 

Ces explications sont plausibles. Comme beaucoup d’autres d’ailleurs. Mais il resterait alors encore à expliquer ces mystérieux mouvements annuels de toutes les étoiles. En effet, que plusieurs phénomènes distincts puissent être ramenés à une cause unique constitue un argument fort, mais non une preuve indubitable, pour prendre cette cause au sérieux et explorer si d’autres phénomènes encore inconnus n’en seraient pas également une conséquence.

 

A cet égard, en 1905 Poincaré faisait remarquer que dire « La terre tourne » n’a aucun sens. Et que les deux propositions contradictoires, « la Terre tourne » et « la Terre ne tourne pas » ne sont pas plus vraies l’une que l’autre... Eh, oui, car soutenir le contraire, ce serait affirmer l’existence de l’espace absolu. Or cette affirmation n’a pas un caractère physique mais métaphysique. Car le mouvement n’a de sens que par rapport à un repère.

 

Mais, néanmoins, si l’une des deux propositions nous révèle des rapports vrais que l’autre nous dissimule, on pourra la regarder comme physiquement plus vraie que l’autre puisqu’elle a un contenu plus riche.

 

C’est ainsi qu’en disant que la Terre tourne, on affirme que de multiples phénomènes ont un rapport intime. Et cela est vrai, et reste vrai bien qu’il n’y ait pas et qu’il ne puisse y avoir d’espace absolu. Les deux propositions, la Terre tourne et il est plus commode de supposer que la Terre tourne, ont un seul et même sens. Protagoras le sophiste aurait un peu raison : « L’homme est la mesure de toute chose ». Mais peut-être pas pour la bonne raison. Ce qui serait encore pire que d’avoir tort. Là se situe la subtilité du concept de « vérité scientifique ».

 

« Mets ta physique », voilà ce que sans cesse nous apprendrons à faire. Plutôt que de vouloir porter « sa » métaphysique, tel un pisseux manteau de bure scolastique (cf « Le nom de la rose », Umberto Ecco, 1980).

 

Or ce n’est généralement pas ce que nous faisons quand nous voulons erronément nous persuader d’avoir adopté la démarche scientifique, en accord avec une philosophie matérialiste. Mais sans effectivement le faire. Et, dès lors, nous perdurons dans la métaphysique d’une conviction de vérité irrévocable. La leçon est dure. Mais cruciale.

 

Car, en effet, souvent ne préférons-nous pas la quête facile et réconfortante, mais illusoire, de « Mon Amérique à moi ! » ?

  Ohé, l’Amérique, c’est encore loin ?

  Tais-toi, nage au lieu de faire la planche. Un poisson-scie fonce sur toi.

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