METS TA PHYSIQUE,
METAPHYSIQUE ?
La métaphysique est l’étude de
« l’être en tant qu’être », de la « substance ». C’est, par
exemple, l’étude des questions fondamentales telles que l’immortalité de l’âme,
l’existence de Dieu, les raisons de l’existence du Mal (conduisant à la notion
de libre-arbitre) ou le sens de la vie.
Toute considération philosophique, ou
presque, dépend de ce thème. Il est donc crucial. Se réfère-t-on à des faits
pour fonder nos raisonnements et développer une philosophie matérialiste ou,
alors, l’esprit se donne-t-il le « libre-arbitre » de s’échapper en
roues libres ? Peut-on, par goût ou facilité, choisir de suivre quelque
idée que ce soit pour se lancer dans une philosophie idéaliste,
métaphysique ?
– Envole-toi avec moi et les anges dans
l’éther diaphane de la symphonie des sphères adamantines qu’anime le Primus
Motor transcendant siégeant dans l’au-delà du monde.
– Non, j’observe le firmament, analyse et
mesure les phénomènes. J’en induis les lois qui le gouvernent, dont je déduis
ensuite des prévisions chiffrées.
– Quelle idée !
– Décidément, vous les métaphysiciens ne
connaissez que vos fantasques lubies.
Pour comprendre cette béance
métaphysique millénaire et toujours actuelle, une perspective historique et
factuelle de très long terme est nécessaire. Deux mille ans avant notre ère,
les Babyloniens mesuraient en chiffres le retour d’évènements célestes singuliers.
Les Grecs, eux, observaient les trajectoires géométriques des astres. Modèle de
pensée numérique contre modèle géométrique, l’un et l’autre permettaient, en
alliant faits et raison, de prévoir sans avoir recours aux mythes et aux dieux.
Ce furent les premiers pas de la
philosophie, d’abord de la nature, principalement avec Anaximandre par lequel
naît une pensée « scientifique ». L’idéalisme de Parménide de
l’immobilité, de la permanence absolue et de la sphéricité parfaite a conduit
Platon et Aristote au dogme d’un cosmos infini dans lequel est plongé un
univers fini constitué de sphères solides et concentriques. « Bien
naturellement » la plus centrale et immobile (est-ce que je bouge, moi !
Oui, à 1600 km/h à l’équateur) est la Terre des hommes. Dans la plus externe
sont fichées les étoiles fixes du firmament. Vue de la Terre, elle tourne d’est
en ouest. Ce qui explique son mouvement diurne. Par ce
« libre-arbitre » métaphysique, l’homme se met erronément au centre
et fait tout tourner autour de sa personne.
Jusqu’à Copernic, le carcan intellectuel
de ce mode de penser métaphysique perdurera pendant vingt siècles dans les
« sciences » et la philosophie confondues. Le carcan d’Aristote
concerne la physique du monde supralunaire gouverné par une rationalité absolue
que les mathématiques ont pour mission d’exprimer. En bas de la hiérarchie
des sphères, il y a le monde où nous vivons, changeant et corruptible, gouverné
par une physique du même ordre. L’Église reprendra la vision d’Aristote en
plaçant le paradis au ciel et Le Dieu unique et transcendant au-delà de la
dernière sphère des fixes, qu’Il fait tourner pour animer le monde qu’Il a
d’abord créé de toute pièce.
Tels sont les dogmes des monothéismes
imposant un argument d’autorité absolu. Mais les métaphysiques nouvelles de
Copernic et Galilée ouvraient une brèche en revendiquant le droit à la critique
à partir d’autres représentations du monde, elles aussi métaphysiques,
prétendant tirer des vérités « plus scientifiques » à partir de faits
avérés, nécessaires, oui, mais encore insuffisants. Outre l’élégance du modèle,
les arguments physiques soutenant l’hypothèse héliotropique de Copernic furent
les découvertes par Galilée des phases de Vénus et des satellites de Jupiter.
Puis Descartes y oppose le doute
méthodique de l’esprit critique reposant sur le principe d’une raison
universelle antithétique à tout dogme, nécessairement particulier. « Le
Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la
vérité dans les sciences » est un texte révolutionnaire qui énonce
la démarche dite aujourd’hui scientifique et sa primauté sur la démarche
obscurantiste fondée sur les Textes sacrés et l’autorité des anciens (Aristote
et les pères de l’Église). Descartes singularise ainsi la prééminence d’une
saine philosophie matérialiste (sous-tendue par des faits avérés) sur la
philosophie idéaliste ou métaphysique fondée sur des vues de l’esprit conçues
au gré de leurs créateurs. Si bien qu’on pourrait se demander quel serait le sexe
des anges et comment ils traversent les sphères de cristal du firmament telles
de pures Idées à la Platon. Ou, encore, si un dieu infiniment bon a pu créer le
mal et le faire prospérer à seule fin d’éprouver le « libre-arbitre »
de ses dévoués adorateurs.
Mais voilà néanmoins que Newton puis
Einstein et Bohr, tous métaphysiciens, convertissent de pures expériences de
pensée en théories mathématiques qui « étrangement » se vérifient
dans le réel. Mais, précisent-ils avec grande justesse, uniquement dans leurs domaines
de validité respectifs. Bohr étudie les conséquences de son modèle atomique
et, avant 1922, prédit l’existence dans le tableau périodique d’éléments encore
inconnus qui seront découverts par la suite.
C’est à partir de là que des DELEUZE,
DERRIDA, GUATARI, IRIGARAY, BERGSON, LACAN, LESTOUR, LYOTARD, SERRES,
BEAUDRILLARD, KRISTEVA, LATOUR, VIRILIO..., s’autorisant des transgressions
décérébrées de ces bornes, participent d’une déconstruction de la raison
systématique et inique. La tromperie est patente par l’application de ses
concepts à l’homme. Et donc explicitement hors du domaine de validité défini
par Bohr. Cette arnaque intellectuelle, assortie d’une interprétation
fallacieuse du postulat de « non localité » de la particule
quantique, a fait abusivement accréditer la croyance à l’accès de l’esprit à la
télépathie et à la prophétie. L’esprit serait donc capable de guérison à
distance, notamment par des prières absconses ou des correspondances platoniciennes.
« Le roi est nu ». Et pourtant cela peut rapporter gros, très gros
tant la déconstruction de la raison est répandue et profonde.
En 1997 Bricmont et Sockal dans
« Impostures intellectuelles » ont alors pu faire accepter par une
revue scientifique de renom un canular des plus fantaisistes mais écrit avec le
plus grand sérieux scientifique, la forme et la nouveauté cachant la parfaite
vacuité du fond. L’acceptation aveugle de l’imposture souligne le degré de
décérébration avancé de la société. Celui-ci a depuis abouti à la déraison du
rejet de la binarité biologique des enfants, du transgenrisme, de la police du
langage interdisant une appréhension réaliste du monde au profit d’un nouvel
obscurantisme métaphysique. En 2025 des mutuelles de santé ne remboursent-elles
pas des séances de sophrologie, hypnose, aromathérapie et, pourquoi pas
bientôt, de psychanalyse spiritualo-quantique... ?
A l’instar de Marie de France (lais du
XIIe s.), Erasme, Montaigne et des philosophes des Lumières en leur temps,
aujourd’hui essayons « En toute chose, savoir raison garder ». Cela
permettra d’éviter d’être plus que bo(h)rder-line en nous prenant pour des
« électrons libres » de tout bo(h)rd et autres inepties
psychédéliques dont on veut nous farcir le système à raz-bo(h)rd.
Enfin, et ce point est crucial concernant
la science et la philosophie matérialiste qui la sous-tend, il faut souligner
que le caractère de vérité d’une découverte scientifique n’est en rien irrévocable.
Il est primordial de le savoir. Même si c’est souvent peu compris ou
partiellement assimilé. Quoi qu’on puisse en penser c’est, par exemple, le cas
du mouvement de la Terre. Souvent erronément nous l’acceptons aujourd’hui sans
examen comme une vérité révélée, indiscutable et donc non scientifique... Et
nous nous faisons, pourtant hors raison, des gorges chaudes des opinions
divergentes. Il faut pourtant bien comprendre cela pour, in fine,
pouvoir en toute raison séparer philosophie et métaphysique.
Ainsi, si la Terre ne tournait pas autour
du Soleil, il faudrait montrer, par exemple, que
– la
parallaxe serait due à un déplacement de toutes les étoiles de période un an,
déplacement d’autant plus important qu’elles sont proches de la Terre,
– et
que l’effet Doppler-Fizeau serait créé par un mouvement périodique annuel des
étoiles, surtout celles situées dans l’écliptique.
Ces explications sont plausibles. Comme
beaucoup d’autres d’ailleurs. Mais il resterait alors encore à expliquer ces
mystérieux mouvements annuels de toutes les étoiles. En effet, que plusieurs
phénomènes distincts puissent être ramenés à une cause unique constitue
un argument fort, mais non une preuve indubitable, pour prendre cette cause
au sérieux et explorer si d’autres phénomènes encore inconnus n’en seraient pas
également une conséquence.
A cet égard, en 1905 Poincaré
faisait remarquer que dire « La terre tourne » n’a aucun sens. Et que
les deux propositions contradictoires, « la Terre tourne » et
« la Terre ne tourne pas » ne sont pas plus vraies l’une que l’autre...
Eh, oui, car soutenir le contraire, ce serait affirmer l’existence de l’espace
absolu. Or cette affirmation n’a pas un caractère physique mais métaphysique.
Car le mouvement n’a de sens que par rapport à un repère.
Mais, néanmoins, si l’une des deux
propositions nous révèle des rapports vrais que l’autre nous dissimule, on
pourra la regarder comme physiquement plus vraie que l’autre
puisqu’elle a un contenu plus riche.
C’est ainsi qu’en disant que la Terre
tourne, on affirme que de multiples phénomènes ont un rapport intime. Et cela
est vrai, et reste vrai bien qu’il n’y ait pas et qu’il ne puisse y avoir
d’espace absolu. Les deux propositions, la Terre tourne et il est plus commode
de supposer que la Terre tourne, ont un seul et même sens. Protagoras le
sophiste aurait un peu raison : « L’homme est la mesure de toute
chose ». Mais peut-être pas pour la bonne raison. Ce qui serait encore
pire que d’avoir tort. Là se situe la subtilité du concept de « vérité
scientifique ».
« Mets ta physique », voilà ce
que sans cesse nous apprendrons à faire. Plutôt que de vouloir porter
« sa » métaphysique, tel un pisseux manteau de bure scolastique (cf
« Le nom de la rose », Umberto Ecco, 1980).
Or ce n’est généralement pas ce que nous
faisons quand nous voulons erronément nous persuader d’avoir adopté la démarche
scientifique, en accord avec une philosophie matérialiste. Mais sans
effectivement le faire. Et, dès lors, nous perdurons dans la métaphysique d’une
conviction de vérité irrévocable. La leçon est dure. Mais cruciale.
Car, en effet, souvent ne préférons-nous
pas la quête facile et réconfortante, mais illusoire, de « Mon Amérique à
moi ! » ?
–
Ohé, l’Amérique, c’est encore loin ?
–
Tais-toi, nage au lieu de faire la planche. Un poisson-scie fonce sur
toi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
1 - Tout commentaire anonyme (sans mail valide) sera refusé.
2 - Avant éventuelle publication votre message devra être validé par un modérateur.