lundi 2 juin 2014

Sujet du Merc. 4 juin 2014 : "Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être" Danton 1793

"Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être"



« Le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Puisqu’on a osé dans cette assemblée rappeler les journées sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gémi je dirai, moi, que si un tribunal révolutionnaire eût existé le peuple auquel on a si souvent, si cruellement reproché ces journées ne les aurait pas ensanglantées. Faisons ce que n’a pas fait l’Assemblée législative, soyons terribles pour éviter au peuple de l’être et organisons un tribunal non pas bien, c’est impossible, mais le moins mal qui se pourra, afin que le peuple sache que le glaive de la liberté pèse sur la tête de tous ses ennemis. Je demande que, séance tenante, le tribunal révolutionnaire soit organisé, et que le pouvoir exécutif reçoive les moyens d’action et d’énergie qui lui sont nécessaires. »
(Danton—10 Mars 1793– A la Convention).






En 1793 la situation de la révolution est critique. Dissensions internes, révoltes populaires à Paris et début des troubles en Vendée.
C’est dans ce contexte que doit être ramenée la phrase de Danton.
Il importe, aussi, de replacer dans leur contexte historique les mots utilisés et le sens que leur donnent leurs auteurs.

Le peuple :
Tous les grands acteurs politiques du moment, Robespierre, St Just …. Ont comme référence historique la République Romaine et le mot même de peuple fait référence ici au « peuple romain ».
"Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire?" demande Robespierre dans son discours sur les principes de la morale publique (séance de la Convention du 5 Février 1794)."La vertu j'entends la vertu publique qui fait de si grandes merveilles en Grèce et à Rome et qui accomplirait encore de plus admirable dans la France républicaine; de la vertu ,qui n'est autre que l'amour de la patrie et des lois" .Et ils désignent alors formellement les Athéniens et les Spartiates comme "peuples libres". Il évoque à tout moment le peuple au sens de l'antiquité ,et cite ses héros et ses corrupteurs: Lycurgue, Démosthène, Miltiade, Aristide, Brutus et Catilina, César, Clodius, Pison.
Dans son rapport sur l'arrestation de Danton, Saint-Just dit textuellement
: "Le monde est vide depuis les romains; et leur mémoire l'emplit et prophétise encore la liberté". Son réquisitoire sur le mode antique est dirigé contre Danton, traité de Catilina. Enfin saint-Just caractérise d'un seul mot la trinité "liberté, Justice, Vertu" qu'il réclame quand il dit :"Que les hommes révolutionnaires soient des romains".
Pour ces hommes le peuple est vertueux et leur vision politique du peuple est idéalisée parleur fond culturel.
Il serait, en conséquence incongru, de considérer que leur vision est ….. sociologique.


Terrible :
« qui inspire la crainte, la peur ». Le contexte de la phrase nous permet de comprendre qu’il faudra être terribles (au travers d’un tribunal) pour le peuple sache que la peur de la justice révolutionnaire plane sur la tête des ennemis du peuple, existants ou potentiels (agioteurs, royalistes, fonctionnaires de l’Etat …)

Mais dans cette phrase la justification de l’instauration du tribunal révolutionnaire et de la Terreur repose sur un autre principe : la volonté « d’éviter au peuple de l’être » (terrible).

Dans une interprétation répandue et de premier niveau du type de Furet et de ses épigones, la Terreur serait la réponse non à une situation de luttes entre aristocratie, monarchies européennes, corruption interne; mais l’apparition d’une « théorie du complot » mise en place par un groupe de radicaux dans le seul but d’établir un pouvoir autoritaire.

Nous laisserons cette vision, triomphant dans les manuels scolaires modernes, à ceux qui veulent vider de tout sens, de toute analyse l’histoire de cette époque en particulier, et de l’histoire en général (ce qui est le but de Furet !) - Furet, avatar du post-modernisme anti-lumières, ne peut qu’avoir l’aval de tout pouvoir désireux d’instaurer le révisionnisme en Histoire.


Tentons donc une autre approche.
On peut dire de Robespierre, St Just …. de toute cette génération de lettrés qu’ils ont été formés tout à la fois aux classiques de l’Antiquité et aux idéaux des Lumières.
Ils sont aussi hommes de leur position sociale : petite bourgeoisie (juristes, militaires ...) de l’ancien régime.
Emportés dans la Révolution ils en deviennent, un temps, les dirigeants. Ils constatent le rôle important du peuple dans l’insurrection, du peuple au sens de ceux qui ne sont que des sujets, qui n’ont que des emplois mineurs et aucun pouvoir politique.
 Ils constatent aussi la violence qui se déchaine après des siècles de monarchie, contre les aristocrates et les symboles de leur pouvoir (palais, églises, tombeaux..);
mais aussi dès 1793, la violence paysanne des Vendéens contre le jeune pouvoir républicain.

En lecteurs de Machiavel ils savent que la violence ne doit servir qu'à des fins de survie politique, par exemple en créant un climat de terreur dans un territoire nouvellement acquis qui contient beaucoup de rebelles. La violence est donc nécessaire non seulement à la fondation mais aussi au bon fonctionnement de l’Etat. 

Mais la leçon de Machiavel sur laquelle s’articule —et ce sera mon présupposé — la phrase « soyons terribles pour éviter au peuple de l’être » est celle-ci :

"Le plus souvent les troubles sont causés par les possédants, parce que la peur de perdre engendre chez eux la même envie que chez ceux qui désirent acquérir." et ajoute Machiavel, " il y a plus : leur comportement incorrect et ambitieux allume, dans le cœur de ceux qui n'ont rien, l'envie de posséder, soit pour se venger d'eux en les dépouillant, soit pour pouvoir eux aussi atteindre aux richesses et aux charges dont ils voient faire un mauvais usage".

Ainsi leur décision d’instaurer un tribunal révolutionnaire d’exception peut être considérée comme une conception très moderne des rapports peuple/pouvoir/politique.
En effet sous les propos de Danton, les discours de Robespierre, St Just et de tous ceux qui ont marqué cette époque (1793) se cristallise une conception nouvelle reposant sur deux prémisses :

1  -  Le  peuple n’est pas naturellement « bon » car « ..leur comportement incorrect et ambitieux  (celui des possédants) allume, dans le cœur de ceux qui n'ont rien, l'envie de posséder, soit pour se venger d'eux en les dépouillant, soit pour pouvoir eux aussi atteindre aux richesses ... »

Les moyens de coercition physique ou mentaux (armée, église …) dont disposent les puissants peuvent influer  sur les comportements et modes de pensée du peuple. Dès lors il serait utopique et dangereux, contraire aux buts que l’on s’assigne de considérer   le peuple comme une entité « en-soi », bonne, forcément bonne !.
Ce thème sera développé ultérieurement par Marx dans ses écrits sur l’aliénation.
L’histoire — entre autre — de l’Allemagne du début du 20ième siècle  éclaire cette analyse d’une lumière crue.


2 -  Qu’est ce qu’une élite politique ?
Danton, Robespierre, St Just … et d’autres ont peu d’hésitation. Dans la situation historique qu’ils vivent ils ont deux choix :


-
Premier choix : Laisser faire les aristocrates, laisser agir les Vendéens, laisser faire les monarchies d’Europe … laisser exploser la colère populaire dont le déferlement anarchique peut (et ce n’est alors pas une hypothèse d’école !) dissoudre totalement le lent travail organisationnel et politique qui s’est accompli depuis 1789.
Ce serait signer l’arrêt de mort de la jeune République.

- Deuxième choix : Définir une ligne politique, se doter de moyens organisationnels extrêmes — et provisoires  - afin :             
                    + d’une part de préserver les acquis de 1789.
 + d’autre part  de donner une assise POLITIQUE ET JURIDIQUE à la colère populaire. La violence fit des victimes du coté des fonctionnaires, des curés et de la noblesse. (entre 1200 et 3000 personnes paris en une année et demi  -  A comparer à ce que coutèrent les guerres de conquête napoléoniennes).

Cette période si particulière de notre histoire  va bouleverser tous les mouvements politiques insurrectionnels et révolutionnaires à venir.


On peut en dégager deux grandes leçons qu’il serait facile d’illustrer :

1  -  L’unilatéralité de la conception du peuple foncièrement « bon » ou « mauvais » suivant qu’on se situe dans une optique à la A. Smith, Hobbes ou Rousseauiste; s’effondre ou en tout cas s’effrite
.
La juste compréhension qu’un corps social ou une partie de celui-ci n’existe qu’à travers des relations, des processus non unilatéraux, marquera désormais toute les politiques révolutionnaires à venir.
Voir le basculement du peule allemand aux cotés du nazisme, l’adhésion massive des travailleurs étazuniens à la « patrie » de la monnaie de singe et de la police mondiale.
Voir sur la marge de nos sociétés, ces non-salariés, « rois du sytème D » :
"Le lumpenproletariat  - cette lie d'individus déchus de toutes les classes qui a son quartier général dans les grandes villes - est, de tous les alliés possibles, le pire. Cette racaille est parfaitement vénale et tout à fait importune. Lorsque les ouvriers français portèrent sur les maisons, pendant les révolutions, l'inscription : « Mort aux voleurs ! », et qu'ils en fusillèrent même certains, ce n'était certes pas par enthousiasme pour la propriété, mais bien avec la conscience qu'il fallait avant tout se débarrasser de cette engeance. Tout chef ouvrier qui emploie cette racaille comme garde ou s'appuie sur elle, démontre par là qu'il n'est qu'un traître."
K. Marx  -  La sociale démocratie allemande.
2  -  La conscience du peuple ? Dès lors si le peuple n’est plus cette entité quasi déifiée, il devient justifié de se poser la question de savoir d’où vient la conscience non pas de la révolte, mais de la révolution.c’est à dire d’un processus visant la prise du pouvoir.
C’est en cela l’expérience de la Terreur est enrichissante. La conscience ne peut venir que de l’extérieur de soi (le soi social surdéterminant le soi « individuel »), dès lors que ce soi ne « raisonne » que par chimères, habitudes, reflet en soi des « comportements ambitieux et incorrects » (Machiavel). Dès lors, les idées justes « ne tombant pas du ciel »! Il importe que des groupes d’hommes assument la fonction d’éducateurs, littéralement de « conduire du dehors » .
Aucun des grands bouleversements sociaux du 20ième siècle n’aurait pu exister sans ces principes.
Tout cela est bien sûr à contre courant de la bien pensance dominante. Et c’est par une de ces ruses de l’histoire qu’il est advenu qu’il appartient désormais aux lettrés de « gauche » et leur admirateurs d’être les plus féroces adversaires de tout cela.
L’affaire est entendue.  le peuple  -  désormais  - --  joue au foot (ou en tout cas participe à sa mise en spectacle et en marchandise, il joue au tiercé et de plus il vote LePen  !
Alors ou sont les Robespierre, les Marat, les St Just,  les Louise Michel, les Rosa Luxembourg, les Giap, Ben Bella, Ho chi Minh … d’aujourd’hui?
Où sont passés ces intellectuels combattants/éducateurs ?

Le concept est-il mort ou les intellectuels de la modernité ont-ils choisi la quiétude que leur offre leur position ?
Combien de temps vont-ils laisser le champ libre à la restauration de l’obscurantisme religieux, aux divertissements imbéciles, les deux versants « modernes » de l’aliénation ?
 
Tout le monde critique, la télé, la malbouffe, l’école, l’armée, l’argent. Plein de livres. Plein de constats et jamais de ….. COMMENT !
Mais ce « comment » comporte un inconvénient fâcheux, celui de se salir éventuellement les mains …. Et dans cette époque hygiénique, le principe de précaution prévaut …...Raison suffisante ?
Marx disait:" Il n'est pas loisible à la masse de considérer les produits de sa propre aliénation comme des fantasmagories idéales, ni de vouloir anéantir  l'aliénation matérielle par l'action spirituelle et purement intérieure... Pour se délivrer il ne suffit pas de se lever en esprit et de laisser planer sur sa tête réelle et sensible le joug réel et sensible qui ne se laisse pas détruire par de simples idées. La critique absolue a appris l'art de transformer les chaînes réelles et objectives et extérieures à ma personnes, en chaînes purement idéales subjectives et intérieures et de muer toutes les luttes extérieures et sensibles en luttes en simples luttes idéales"
« Les philosophes sont même des gens qui ont plus de partis pris que les profanes dont ils traduisent méthodiquement l'esprit. Et il n'y a jamais eu que deux partis à prendre celui des oppresseurs et celui des opprimés. La philosophie bourgeoise au temps de son adolescence a pris elle-même un parti qui était celui de la bourgeoisie opprimée. Tout le malheur vient de la propre distraction de ses représentants: aucun n'a vu se transformer en philosophie des oppresseurs ce qui avait été la philosophie des opprimés. Personne n'a vu  Voltaire, personne n'a vu Kant passer de l'autre côté des barricades. Seul s'en est avisé le prolétariat devenu en cent ans le seul représentant et la seule masse des opprimés. Mais les philosophes continuent à affirmer que la philosophie en général ignore les partis et les partis pris. Cette vierge aime la vérité pour elle-même comme sainte Thérèse aimait Dieu. Et même ils le croient. Ils ne prennent point garde qu'on a toujours pris la vérité qu'à la sauce qu'on voulait... La nature de la philosophie, comme de toute autre activité humaine est au vrai de servir des personnes et des intérêts »
P Nizan  -  Les chiens de garde  -  1932.

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