samedi 26 janvier 2013

Mercredi 30 Janvier 2013 : Et si on parlait de Descartes.



1939, Le Reichsleiter nazi Rosenberg  « mandataire du Führer pour la haute surveillance de l'ensemble du travail de formation et d'éducation idéologique dans le Parti national-socialiste d'Allemagne », est venu en France tout exprès pour prononcer un discours.

On avait choisi, comme cadre, la salle des séances de la Chambre des députés, Le discours de M. Rosenberg a été publié par la "Deutsche Zeitung in Frankreich", sous le titre : « Règlement de comptes avec les idées de 1789 » dont on célèbre en France le 150ième anniversaire.

Un philosophe, Georges Poltizer (fusillé par les nazis le 23 Mai 1942) publie un texte de défense des Lumières pour s’opposer aux thèses nazies, voici un extrait du passage sur Descartes :
«  Le matérialisme français du XVIIIe siècle sera la fusion de deux courants. L'un vient d'Angleterre et part de Francis Bacon. L'autre vient de Descartes. Marx et Engels ont toujours insisté sur cette dualité des sources de notre philosophie du XVIIIe siècle. Cette connaissance est pour nous importante. D'une part, la réaction a cherché à escamoter avec le matérialisme des encyclopédistes, le matérialisme de Descartes, et, d'autre part, les «perceurs du ciel» font chorus avec les porte-parole de l'Eglise, pour transformer Descartes en un vulgaire scolastique. «Il est, écrit M. Bayet, tout ce qu'on appelle l'homme l´ordre. Conservateur au point de vue religieux, conservateur au point de vue politique, il est, à certains égards, moins hardi que bien des penseurs médiévaux et bien des jésuites». C'est une thèse copiée directement dans les «travaux» des amis des jésuites eux-mêmes.
Bacon proclame contre la science livresque du moyen-âge : «Il faut étudier la science dans le grand livre de la nature»;.
L'idée que toutes les connaissances viennent du monde sensible, à travers les sens, a une grande importance. D'abord, c'est la rupture avec les conceptions mystiques concernant l'origine de la connaissance. Mais, en même temps, l'un des arguments invoqués en faveur de l'existence de Dieu consistait à dire que l'homme a en lui l'idée innée de Dieu. 

Descartes dira que l'idée de l'être infini est comme le sceau du Créateur dans la conscience de la créature. La théorie des idées innées servait également à appuyer les institutions féodales. Le sentiment inné de l'inégalité des hommes prouve que c'est bien par Dieu que cette inégalité a été instituée.

Faire la preuve que toutes nos idées viennent de l'expérience, c'était réfuter la théorie des idées innées et porter un coup décisif à la théologie et à la métaphysique. 

Telle est l'une des raisons essentielles de l'importance de l'Essai sur l´entendement humain de Locke. 

C'est Condillac qui l'a transporté en France. Condillac développe la doctrine de Locke d'une manière plus conséquente et exerce une très grande influence. Il est intéressant de noter que la bourgeoisie reprendra la théorie des idées innées pour appuyer la propriété capitaliste. 

Tout homme a en lui, disent ses porte-parole, l'idée innée de la propriété, un instinct de propriété. Il en résulte que la propriété capitaliste est naturelle et, puisqu 'elle est naturelle, on ne peut et on ne doit pas y toucher...

Cette évolution, qui va de Bacon à Locke en Angleterre, produit en France Descartes, et à partir de lui, une école de savants et de philosophes matérialistes. 

Descartes rejette en bloc tout l'édifice théorique de la science médiévale. 

Il rejette ses notions, ses méthodes. 

Le Discours de la méthode donne une critique géniale de l'édifice de la scolastique. 

Il proclame, en fait, la liberté de la recherche scientifique contre la méthode d'autorité et justifie cette négation par le principe dont l'énoncé constitue le début bien connu du Discours : «Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée». 

En matière de science, la vérité est proclamée accessible en principe à tout le monde : la découverte ne dépend pas d'une «assistance du ciel», mais d'une méthode que chacun peut acquérir. 

Descartes veut en enseigner les règles. 

Il ne dit pas qu'il les a trouvées par des voies surnaturelles. 

Il déclare qu'il les a découvertes en analysant par quels moyens on faisait des découvertes là où l'on y arrivait effectivement. 

Il dégage les règles de la méthode de la pratique effective de la recherche scientifique. 

Dans le Discours de la méthode, la recherche scientifique est définitivement dépouillée de «l'auréole de la consécration divine». 

Descartes élabore alors son explication du monde, sa physique, d'où est sortie la physique moderne. Il continue à attribuer la création du monde à Dieu dont il démontre l'existence. 

C'est cette partie de sa philosophie qu'on appelle la métaphysique. Seulement Dieu ne joue aucun rôle dans sa physique qui est matérialiste «où la matière est la seule substance, la raison unique de l'être et de la connaissance». (Marx)

Chez Descartes, la science est déjà à la veille de rompre complètement avec la théologie et de se dresser ouvertement contre elle.
En 1637, le Discours de la Méthode est un chef-d'oeuvre qui émet des conceptions scientifiques d'une rigueur sans précédent et d'une audace que même Voltaire avait mal interprétée, et dont la science contemporaine devait montrer qu'elle était nullement «déraisonnable», avec l'ironie sans réplique possible et la malice qui consiste à réfuter la scolastique sur son propre terrain, en retournant contre elle la forme de ses arguments, avec un contenu nouveau. 

Parlant des scolastiques, Descartes écrit : Toutefois, leur façon de philosopher est fort commode pour ceux qui n'ont que des esprits fort médiocres, car l'obscurité des distinctions et des principes dont ils se servent, est cause qu'ils peuvent parler de toutes choses aussi hardiment que s'ils les savaient, et soutenir tout ce qu'ils en disent contre les plus subtils et les plus habiles, sans qu'on ait moyen de les convaincre. 

En quoi ils me semblent pareils à un aveugle qui, pour se battre sans désavantage contre un qui voit, l'aurait fait venir dans le fond de quelque cave fort obscure.
Aujourd'hui aussi, nous avons des scolastiques de ce genre, faits de distinguo subtils. »


Goerges Politzer « La philosophie des Lumières et la pensée moderne » - 1939




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